Deux heures du matin, le téléphone vissé à la main et un feed Twitter déprimant mais happant qui vous empêche de tomber dans les bras de Morphée ? Si vous pensez attendre le sommeil, sachez que vous êtes plutôt en train de le chasser à coups de nouvelles angoissantes, parce que vous doomscrollez.
Bien que lunaire de prime abord, ce terme alliant les anglais doom et scroll (traduisible par « faire défiler à perte »), pourrait bien mettre un nom sur une pratique commune, celle de consulter nos fils d’actualité à l’infini, même si ce que nous y lisons est loin d’être rassurant.
Au delà de son appellation rigolote, le doomscrolling ou doomsurfing est donc une habitude que l’on prend parfois sans même s’en rendre compte et qui, à la longue, nuit autant à notre santé mentale qu’à notre bien-être physique.
Pour nous, Marion Blique*, psychologue-clinicienne installée à New York, décrypte ce phénomène, mis en lumière par la crise de la Covid-19.
A quoi reconnaître un « doomscroller » ?
Après les crampes du pouce, les yeux abîmés par la lumière bleue ou encore les phénomènes d’addiction, le doomscrolling s’ajoute à la liste des méfaits des nouvelles technologies.
« Il provient du fait que les gens sont connectés 24h/24, toujours en train de regarder les réseaux sociaux, les nouvelles… », confirme Marion Blique.
Allié de la fameuse FoMo qui fait que de nos jours, on veut être au courant de tout, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, le doomscrolling est « une espèce de manifestation d’hypervigilance et sachant que notre cerveau enregistre beaucoup plus les informations négatives, on y répond beaucoup plus fort », explicite notre experte.
Les gens vont de site en site, de nouvelle en nouvelle, c’est comme si on avait une alarme de maison qui était toujours en train de sonner sans résolution
Si le doomscrolling n’est pas attaché à une plateforme spécifique, les réseaux sociaux restent son terrain de prédilection. « Moi c’est mon fil Twitter que je ne peux m’empêcher de faire défiler, et même quand j’arrive à un tweet que j’ai déjà vu, j’ai juste à rafraîchir la page pour en voir de nouveaux », raconte Liana.
Des effets néfastes décuplés par la Covid-19
« Au début du confinement, j’avais du mal à trouver le sommeil. Je pouvais facilement passer deux heures sur les réseaux sociaux au lieu de dormir, ce qui faisait que j’étais tout le temps angoissée avant d’éteindre. Tous les soirs c’était la même rengaine, je guettais les sites d’actualités pour connaitre les chiffres morbides du jours… », continue la jeune femme.
Des « symptômes » bien synonymes du phénomène. Car si vérifier constamment ce qu’il se passait à l’extérieur alors que nous étions enfermés pouvait paraître rassurant, finalement, ce trop-plein d’informations qui nous rattachait au monde par une énième actualité sombre, n’était pas sans conséquences sur notre santé.
« Les gens vont de site en site, de nouvelle en nouvelle, de théories catastrophes en théories du complot, c’est comme si on avait une alarme de maison qui était toujours en train de sonner sans résolution parce que la menace n’est pas visible et sans fin depuis février », explique Marion Blique.
Le seul fait de ne plus pouvoir prévoir a ainsi créé une sorte de menace collective, que nous avons essayé de saisir en nous gavant d’informations, le doomscrolling se révélant alors comme une sorte de mécanisme de défense. La psychologue confie même qu’elle n’a « jamais eu autant de clients qui vont mal ». « Si les gens vont vers l’info pour se rassurer, je pense que ça ne fait qu’amplifier l’incertitude dans laquelle on baigne », appuie-t-elle.
Un phénomène pas si nouveau
Un cercle vicieux, qui même s’il a été mis en lumière par la crise sanitaire, est en fait discuté depuis 2018, année au cours de laquelle le terme est apparu pour la première fois… sur les réseaux sociaux !
Une idée confirmée par Florian, victime du doomscrolling alors qu’il préparait les concours des écoles de journalisme. « En termes de stress, j’ai été servi car je me suis longtemps questionné sur le fait que le métier que je voulais faire plus tard consistait à parler de ce qui ne va pas dans le monde », raconte le jeune homme.
S’il a eu besoin de quelques mois pour appréhender l’idée que la réalité du métier était différente du trop-plein d’actualités pesant bien connu des préparations aux concours, l’étudiant reconnait que le phénomène a pu aiguiller sa perception de la réalité. « C’est sûr que quand tu traites beaucoup d’actualités pas très jolies et que souvent on sélectionne celles qui parlent de ce qui ne va pas dans le monde alors qu’il y a beaucoup de choses qui vont bien, forcément, tu as une vision du monde qui est moins rose, moins belle… « , confie-t-il.
Comment se détacher du doomscrolling ?
Malgré tout, si pour Florian la première année de préparation a été compliquée à gérer, en partie parce que le doomscrolling l’accompagnait, il montre que se détacher de cette habitude est bien possible ! L’idée est de ré-apprendre à consommer sainement l’actualité et peut-être aussi, de prendre plus de temps pour soi que pour son smartphone.
« Cette année, je faisais partie de la Chance (La Chance pour la diversité dans les médias, ndlr) et ils nous ont beaucoup aidé à garder le moral. L’an dernier, je faisais partie d’une autre prépa où l’on s’était plaint du trop-plein d’actualités et du trop-négatif. Là on avait des ateliers de sophrologie et dès que ça n’allait pas dans le fichage, qu’on trouvait que c’était lourd on pouvait toujours en parler, avoir une oreille bienveillante et cette prise en charge, même si elle était aussi due au coronavirus était globale », raconte le futur journaliste.
Des pratiques qui permettent de se recentrer sur soi que conseille aussi notre experte psychologue. « Je pense qu’il faut se débrancher au moins la nuit et une journée par semaine. Il faut revenir à son corps, se relaxer, revenir à la nature pour retrouver un équilibre. »
Marion Blique ajoute aussi que les effets du doomscrolling s’arrêtent à partir du moment où nous nous rendons compte que nous sommes les seuls juges de ce que nous voulons prendre du monde extérieur, en fonction de notre sensibilité.
« Il faut essayer de ne pas se faire peur, et pas seulement par les médias. En fait il faut faire une espèce de chasse. Se demander si l’on se sent mieux après avoir vu telle ou telle chose ou au contraire, plus inquiet, anxieux ? Et méditer, le silence, la musique… tout ça, ça peut aider et nous apaiser », termine la psychologue.
Alors, si vous doomscrollez pour vous rassurer, il est temps d’arrêter !
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*Marion Blique , psychologue-clinicienne, auteure de J’arrête les croyances limitantes ! 21 étapes pour une vie libre, inspirée et épanouie
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