Depuis juillet, deux comptes Instagram ont émergé et s’attachent chacun à dénoncer le harcèlement de rue, avec des pseudos plus qu’évocateurs : @disbonjoursalepute et @toutenuedanslarue.
Le premier, lancé par l’influenceuse Emanouela, partage des témoignages de harcèlement de rue en masse ; l’autre, fondé par Anna, Wendy et Amal, tend à mettre des mots sur ces comportements abusifs, souvent bien loins du simple « Hey mademoiselle. »
Marie Claire a parlé à trois de ces femmes, qui constatent, au quotidien, que le confinement a peut-être bien rendu le harcèlement plus fréquent encore au sein de l’espace public.
Moyens différents, objectif commun
Qu’on s’entende, Anna, Wendy, Amal et Emanouela ont la même ambition : faire prendre conscience au plus grand nombre du problème du harcèlement de rue et le faire reculer. Mais pour ce faire, elles ont recours à des méthodes bien différentes. Témoignages pour l’un, partages en masse pour l’autre. L’objectif : montrer que le harcèlement de rue représente bien plus qu’une drague un peu lourde.
Pour @toutenuedanslarue, la popularité du compte sur Instagram s’explique selon Wendy par la forte exposition d’Anna et Amal, deux activistes avec lesquelles la jeune femme s’est associée pour ce projet. Déjà connues sur le média social, elles n’ont en effet pas peur de partager leurs propres expériences, en se confiant un peu sur leur vie privée.
C’était le cas par exemple lors de la création de leur template, qui a réuni en quelques jours à peine une dizaine de milliers de femmes à leurs côtés. Le visuel se partage après avoir coché différentes situations d’harcèlement de rue subies, comme « [On t’a déjà] sifflé », « insulté gratuitement » ou « entouré en bande », et les réactions de défense que l’on a pu avoir, telle que « faire semblant de téléphoner », ou « changer de rame de métro/bus par peur ».
Simple, efficace, à forte potentialité virale car la majorité des femmes ont vécu au moins une fois l’une de ces situations, ce template a été fait « sur un coup de tête dans une voiture », détaille Anna à Marie Claire.
Tu confies avoir été harcelée sans avoir à raconter ta propre expérience. Pour certaines, ça peut être un soulagement.
Pour le réaliser, rien de plus simple : il leur a juste fallu noter leurs propres expériences de harcèlement de rue, et ajouter des cases.
« Ça a marché car cocher des cases, c’est impersonnel, une copine le fait donc toi aussi, et voilà, tu confies avoir été harcelée sans avoir à raconter ta propre expérience. Pour certaines, ça peut être un soulagement », estime la jeune activiste.
De son côté, Emanouela n’hésite pas à dire par voie de presse que c’est une tentative de viol éprouvée par le passé qui l’a tournée vers l’activisme féministe. Toutefois, celle-ci ne souhaite pas, avec @disbonjoursalepute, s’exposer d’une quelconque façon, au contraire.
« Je ne souhaite pas particulièrement prendre la parole sur le sujet, je me contente d’être en retrait et de partager le vécu des femmes qui se confient à moi », assure la fondatrice, qui a fêté ce week-end ses 31 ans.
Le confinement, catalyseur du harcèlement de rue ?
Cependant, les deux comptes se rejoignent au moins sur un support : la vidéo. Quasi simultanément, ils ont publié en images des témoignages de femmes, « témoins et victimes » de harcèlement de rue. Un passage nécessaire mais « glaçant » d’après Wendy, et qui crée « le malaise », selon Emanouela.
Pour l’un comme pour l’autre, le succès est fulgurant : 13.000 abonnés en moins d’un mois pour @toutenuedanslarue, plus de 50.000 pour @disbonjoursalepute. Cette portée s’expliquerait, selon les jeunes femmes, par une recrudescence du harcèlement de rue à la suite du confinement.
Là-dessus, elles sont toutes les trois unanimes. Wendy et Anna se baladaient ensemble à Bruxelles en juillet et ont été harcelées « plus que jamais auparavant ». De son côté, Emanouela dit avoir été « lourdement harcelée » par un homme, une semaine auparavant, alors qu’elle attendait sa mère à la gare.
Face à ces événements qui les « choquent profondément », elles décident qu‘il est temps d’agir. Pour elles, et comme le dit Anna, le harcèlement de rue « nie la place de la femme au sein de l’espace public ». Ce qu’Emanouela confirme : « C’est patriarcal comme attitude, la volonté n’est pas de nous draguer mais de nous faire peur, de contrôler nos mouvements, de nous inciter à rester chez nous ».
La volonté n’est pas de nous draguer mais de nous faire peur, de contrôler nos mouvements, de nous inciter à rester chez nous.
Elles ne sont pas les seules à ressentir cela : « Je reçois des messages de femmes qui me disent qu’à cause du harcèlement de rue, elles n’osent plus sortir du tout, ou qu’elles adaptent leurs sorties pour se faire embêter le moins possible. C’est aberrant », poursuit Emanouela, qui dit elle-même devoir élaborer des stratagèmes dans l’espoir de se faire moins harceler.
Wendy et Anna aussi d’ailleurs. L’une d’elles raconte : « Je ne me laisse pas intimider par les harceleurs de rue, je leur réponds, mais il va m’arriver de rentrer plus tôt ou de porter une tenue en fonction de là où je me trouve, je vais même éviter certains quartiers, forcément… »
De la nécessité de définir le harcèlement de rue et ses sévices
Mais pour Anna, l’importance du mouvement, ce n’est pas tant de pointer du doigt le harcèlement de rue. « Les gens savent que ça existe », déplore-t-elle. Elle trouve un sens au compte Instagram davantage dans la possibilité de mettre des mots sur le harcèlement de rue.
Une formulation vaste, ambigüe, qui finalement englobe tant de choses : « Se faire coincer dans la rue, se faire toucher les fesses, se faire bousculer… » Ce pourquoi celle-ci semble convaincue de la nécessité de définir ce que les femmes vivent quand on parle de harcèlement de rue, histoire de ne pas le minimiser.
Les gens savent que ça existe
Ces récentes initiatives sur les réseaux sociaux, « source d’espoir » selon Wendy ; s’accompagnent aussi de grandes pressions pour les quatre jeunes femmes. Difficile de recevoir chaque jour des centaines de récits d’harcèlement. Comme « un sentiment d’impuissance« , pour Emanouela, qui détaille vouloir « trouver un moyen pour que ces témoignages ne soient pas vains, qu’ils servent à quelque chose. »
Hélas, chacune le reconnaît, il y a quelque chose de particulièrement démoralisant à voir autant de femmes raconter des expériences similaires. Optimiste, Wendy parle aussi de « sororité ». « Oui, toutes ces femmes partagent des expériences douloureuses, mais on voit grâce aux commentaires que ce sont des communautés bienveillantes et soudées qui se créent, un peu comme si on se tenait toutes la main », relève quant à elle Emanouela.
Cependant, l’influenceuse estime que @disbonjoursalepute l’a rendue d’autant plus anxieuse face au harcèlement de rue. « Maintenant que j’ai conscience du comportement de certains, je ne suis vraiment plus à l’aise dans la rue, je deviens parano, et craint les interactions avec des inconnus. »
Car finalement, elle en est sûre, c’est bien la violence des messages qui interpelle, et elle, en souffre doublement. Au point qu’Emanouela envisage de se faire accompagner sur le projet, pour « partager la peine ».
« À force, les femmes préfèrent rester chez elles »
« À force de ces attitudes, les femmes préfèrent rester chez elles », termine Emanouela. » Quand tu te fais insulter plusieurs fois par jour dans la rue, tu en viens à douter de toi, de ta tenue, de ton corps… Tu te demandes si c’est pas de ta faute… Puis le lendemain tu vas peut-être t’habiller différemment, sortir moins. Mais si on continue comme ça, les harceleurs auront gagné ! », explique celle à qui on doit la centaine de témoignages publiés sur Instagram.
Quand tu te fais insulter plusieurs fois par jour dans la rue, tu en viens à douter de toi, de ta tenue, de ton corps
Wendy raconte à demi-mots que @toutenuedanslarue imagine des actions pour « redonner aux femmes leur liberté dans la rue ». Un combat ambitieux, que les quatre activistes mènent de front, avec le soutien d’autres projets féministes « made in Instagram » comme @jemenbatsleclito.
Une pointe d’optimisme : Emanouela note, qu’outre le soutien féminin présent sur le compte, de plus en plus d’hommes s’abonnent à @disbonjoursalepute, signe que « les mentalités sont peut-être enfin prêtes à évoluer ». De « 3% la première semaine », ils ont atteint les « 13% » la semaine passée.
Régulièrement, les quatres femmes affirment recevoir des messages privés de ceux-là, qui estiment « comprendre » enfin la souffrance des femmes quant à ce sexisme de rue. A contrario, elles comptent les retours négatifs sur « les doigts d’une main ».
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