Six semaines, ni plus, ni moins. C’est le délai que devraient scrupuleusement respecter les heureux parents qui souhaitent reprendre gaiement la route du coït après l’accouchement de l’un.e d’entre eux…. du moins selon la majorité des professionnels de santé. Adossée à la tenue de la fameuse visite post-natale*, la consacrée règle des 6 semaines correspondrait au temps nécessaire pour se remettre des séquelles physiques de l’accouchement et ainsi s’éviter toute forme d’infection et/ou de complications.
Une période de guérison salvatrice pour l’appareil génital, qui s’accompagne fatalement d’une période d’abstinence conjugale plus ou moins forcée pour les principaux concernés. Et c’est là que les choses se compliquent. Car comme toujours en matière de sexe et d’amour physique, établir un mode d’emploi général et absolu pour l’ensemble des êtres humains impliqués se révèlent le plus souvent aussi pertinent qu’un algorithme Tinder ou qu’un porno masculiniste.
Et le sexe post-partum n’échappe pas à la règle. Problématique à géométrie (très) variable, la reprise d’une sexualité après un accouchement s’inscrit dans des schémas conjugaux aussi singuliers et divers que les individus qui les composent. Autrement dit, la façon dont un couple X, fraichement parents, appréhendera la copulation sera foncièrement différente de celle d’un couple Y ou d’un couple Z en proie à ces mêmes bouleversements, n’en déplaise aux médecins partisans d’une homogénéisation un brin déshumanisante de leurs recommandations.
C’est du moins ce que révèlent les entretiens conduits auprès de jeunes mamans françaises, hétérosexuelles, qui contrairement à nos habituels appels à témoins, ont été très nombreuses à se porter volontaires pour nous confier les dessous (et les dessus) de leur nouvelle vie sexuelle.
Un désir porté disparu
Et si toutes nos témoins font état d’expériences personnelles singulières et rappellent en préambule que “chaque femme est différente”, toutes sont d’accord sur un point : après avoir expulsé un être vivant de son corps, on a généralement envie de tout, sauf de forniquer.
En cause ? Une fatigue intense, une charge mentale tout aussi insurmontable, des parties génitales en pleine reconstruction, une matrescence plus ou moins exacerbée mais aussi (et surtout) un désir en berne couplé d’un sentiment de désirabilité au point mort, a fortiori lorsque l’accouchement s’est révélé physiquement traumatisant.
Physiquement, je m’en remets à peine et côté désir, c’est plutôt le néant. Je me sens maman et pas du tout amante pour l’instant.
“Ça a été un peu compliqué : j’ai eu le droit aux forceps, ventouse et à la clé trois déchirures internes et externes. Donc physiquement, je m’en remets à peine et côté désir, c’est plutôt le néant. Je me sens maman et pas du tout amante pour l’instant. Et vu que mon corps n’est pas au top, mon ventre tout mou, je ne me trouve pas du tout sexy et désirable”, nous confie Charlotte, mère depuis un mois seulement, et clairement pas prête à se remettre en selle.
Même son de cloche pour Julie qui a subi une déchirure (et donc des points de suture) lors de son accouchement. “Autant te dire qu’après ça, dans ma tête c’était ‘plus personne n’approche cette zone avant TRÈS longtemps' », raconte-t-elle, précisant que la naissance “n’est que le début d’un long périple de fatigue et de chute d’hormones où l’on se sent lourde, pas féminine”, y compris au delà de la période fatidique des 6 semaines.
C’est ainsi que pendant près d’un an et demi, Tiffany affirme avoir perdu contact avec toute forme de désirabilité. “Physiquement, j’aurais pu reprendre une activité sexuelle plutôt rapidement mais je ne me sentais pas du tout attirante. Ma libido était au plus bas, la charge mentale incroyable, l’attention tellement portée sur le bébé… je préférais largement dormir !”, se souvient-elle.
Une sexualité sous pression
Problème ? L’autre en face, celui avec qui on a consenti à co-créer ce petit-être humain, a généralement envie de reprendre du service, se montrant tantôt patient, tantôt pressant, quand ce n’est pas la jeune mère qui, sous l’effet de pressions sociétales induites, de sentiment de culpabilité et de cette incorrigible tendance au “people pleasing*”, se force précocement à satisfaire son partenaire.
“J’appréhendais énormément les premiers rapports, et la première fois – environ un mois après l’accouchement -, les points me faisaient encore trop mal, j’ai préféré arrêter. Aujourd’hui encore ce n’est pas forcément agréable mais disons que je fais l’effort », raconte Julie, qui décrit une libido en dents de scie.
Des rapports sexuels sans trop de plaisir qui sont source de mal-être et qui restent parfois encouragés par un personnel soignant peu empathique. “Ma sage femme m’avait dit « l’appétit vient en mangeant », sous-entendu faut se forcer un peu, j’ai essayé mais j’ai eu mal parce que psychologiquement je n’étais pas prête”, nous écrit Tiffany qui, aujourd’hui séparée de son compagnon, n’a jamais réussi à retrouver une intimité avec le père de son enfant. “Il tentait des approches, mais je n’avais pas envie, À force, il a lâché l’affaire en attendant que ça vienne de moi. On est rentré dans un cercle vicieux où plus on attendait, moins on avait envie. On a repris après un an et demi, mais c’était routinier, dans le noir, sans réelle intimité. On a pas su gérer la situation.”
J’aurais peut-être pu attendre plus longtemps, mais mon conjoint en avait envie et j’étais curieuse de « retenter » comme pour m’assurer que tout allait bien.
Pour Katia, au contraire, le désir pour son conjoint était intact, mais elle avait de l’appréhension quant à de possibles douleurs. Le parti-pris a été d’affronter ses craintes en remettant le pied à l’étrier. “J’aurais peut-être pu attendre plus longtemps, mais mon conjoint en avait envie et j’étais curieuse de « retenter » comme pour m’assurer que tout allait bien. Au final, j’ai vu que rien n’avait changé donc ça a été un déclic aussi”, commente-t-elle, un an et demi après la naissance de sa fille.
À l’inverse, Charlotte, encore sous le coup de son récent accouchement, a clairement posé les bases de son retour à la vie sexuelle : ce sera quand elle sera prête et pas avant. “On en parle beaucoup et je lui ai demandé d’être patient, que ça reviendrait mais pas pour l’instant. Je ne me sens pas prête… Je ne sais pas quand ça sera, mais j’ai envie de le refaire comme si c’était la première fois, de me mettre en mode bombasse et de faire les choses bien”, avance-t-elle.
Douceur, créativité et communication
Comme Charlotte, toutes nos témoins prônent finalement la communication du couple comme lubrifiant naturel de cette transition sexuelle parfois périlleuse. “Je pense qu’il faut se faire confiance mutuellement et se laisser le temps. Il faut aussi faire preuve de pédagogie envers son partenaire, car ils ne savent pas tout et ils ne peuvent pas deviner pourquoi on a mal même après plusieurs semaines”, avance Katia, qui n’a pas hésité à répondre à toutes les questions intimes de son conjoint pour parer à son incompréhension éventuelle.
“Il m’a dit ce qu’il avait vu pendant l’accouchement, ce qu’il avait trouvé étrange. Il a posé plein de questions sur la sexualité, en demandant quand on pourrait « reprendre », pourquoi, si c’était dangereux…etc”, poursuit-elle, tout en précisant qu’elle lui a aussi fait part de ses appréhensions et de ses besoins d’un “retour en douceur”. Une ode à l’échange sans tabou que prône également Tiffany qui, a posteriori, regrette que son couple se soit enfermé dans les non-dits, que ce soit par pudeur ou simple peur de blesser l’autre.
Il faut parler, réussir à recréer cette intimité qui mènera à une sexualité normale ou une nouvelle forme de sexualité pour certains couples.
“Les hommes ne vivent pas la grossesse, ni l’accouchement, ni les hormones, ni la charge mentale, bref, tout ce qui découle d’une naissance et qui est difficile à gérer, souligne-t-elle. Donc il faut parler, réussir à recréer cette intimité qui mènera à une sexualité normale ou une nouvelle forme de sexualité pour certains couples.”
Renouer avec sa propre sensualité
Des recommandations didactiques qu’a mis en pratique Sophie les mois suivants son accouchement, mêlant conversations à cœur ouvert, tendresse décuplée et intimité réinventée. “Pour moi, le plus important c’est de parler : des peurs, des envies, des désirs. C’était important qu’il m’écoute et qu’il aille à mon rythme car j’avais un peu peur. Parler permet finalement de ne pas être frustré. Et de passer à l’action mais pas forcément par la pénétration. Il y a tellement d’autres choses !”, s’enthousiasme-t-elle, affirmant aujourd’hui avoir développé une sexualité plus décomplexée qu’auparavant.
“On ose davantage et on est plus fou ! Je trouve que c’est bien mieux et lui aussi !”, souffle-t-elle. Un lâcher-prise salvateur que préconise Katia, qui conseille d’y aller avant-tout au feeling. “Je crois qu’il ne faut pas trop réfléchir et se laisser porter. Plus on doute, plus on craint, plus c’est difficile”, avance-t-elle, tout en précisant qu’elle garde certaines appréhensions pour le second post-partum qu’elle s’apprête à affronter.
Pour d’autres femmes, enfin, le retour à la sexualité conjugale exige au préalable de renouer avec sa propre sensualité, dans ce qu’elle a de plus intime et personnelle. “Me masturber est plus excitant pour le moment, je ne sais pas pourquoi”, explique Julie, avant d’affirmer que le désir pour l’autre revient progressivement, “mais pas tout le temps.”
Ça tombe bien, du temps, il en faut.
*En France, la Haute Autorité de Santé (HAS) définit la visite postnatale comme un « examen médical réalisé entre 6 et 8 semaines après l’accouchement ». Il s’agit d’une « séance individuelle, réalisée au cabinet ou à domicile, comportant des actions de prévention et de suivi éducatif en cas de besoins particuliers décelés pendant toute la grossesse ou reconnus après l’accouchement chez les parents ou chez l’enfant, en réponse à des difficultés ou des situations de vulnérabilité qui perdurent ou à des demandes des parents ».
Merci à Tiffany, Julie, Charlotte, Katia et Sophie pour leurs précieux témoignages.
*Tendance accrue à vouloir faire plaisir aux autres, au détriment de soi. Terme largement usité dans les pays anglophones, notamment aux États-Unis, difficilement traduisible en français.
Source: Lire L’Article Complet