Ultime outrage sentimentale, la redoutable rupture via message numérique se révèle aussi condamnable que banale. Doublement blessante, elle révèle les limites de notre inflexion au zapping amoureux, sur fond d’ego blessé et de lâcheté normalisée.
“Ça ne marche plus, restons-en là. Je te déposerai ta clé”. Après trois années d’une belle – et loyale – relation, c’est le message lapidaire qu’a reçu un beau matin Grégoire*, de la part de son désormais ex-petit copain. “J’ai essayé de comprendre, mais je n’ai jamais eu de réponses à mes appels, sms, mails”, déplore-t-il.
Telle une bande de cire froide qu’on arracherait d’une jambe brûlée au 1er degré, la rupture par sms, mail ou messagerie instantanée fait partie de ces modes de séparation 2.0 par essence ultra-douloureux, en raison notamment de leur unilatéralité. “C’est d’une extrême brutalité pour la personne qui subit la séparation”, explique Maïté Tranzer, psycho-clinicienne basée à Paris**. La personne quittée va ressentir un sentiment de non considération et penser qu’elle ne mérite même pas une explication en face-à-face, ce qui peut entailler considérablement son estime de soi”, poursuit-elle.
Double peine
Au-delà du traumatisme inhérent à toute rupture, la séparation par sms induit généralement une impossibilité de s’exprimer, de défendre son point de vue, source d’une grande frustration, mais aussi d’une grande remise en question chez celui ou celle qui a été quitté(e).
“Ne pas avoir d’explication, c’est abrupt. Tu n’as pas le choix, tu ne peux rien dire. Il n’y a pas de dialogue possible”, confirme Grégoire, dont la rupture s’est accompagnée d’un ghosting en bonne et due forme, son ex-compagnon l’ayant également bloqué sur les réseaux sociaux.
D’autres, comme Julie, larguée par sms après un dernier message plutôt enthousiaste (“Je suis trop heureux avec toi (emoji coeur)!”) et une déroutante semaine de silence, vivent à l’inverse cette forme de lâcheté numérique comme une libération rédemptrice. “Autant son “ghosting” m’avait pourri la vie, autant son message tout moisi m’a finalement reboosté tant je l’ai trouvé nul !”, plaisante celle qui préfère être seule que mal accompagnée.
Tinder Nation
Qu’elle soit bien ou mal vécue, la rupture par message électronique n’en reste pas moins largement répandue, notamment parmi les millenials. Selon une étude de l’entreprise américaine SimpleTexting, 57% des Américains admettent avoir déjà rompu par sms tandis que 69% des millenials interrogés affirment avoir déjà été plaqué via texto. “Cela touche en effet particulièrement les jeunes générations qui sont habituées aux réseaux sociaux et aux communications via des applications de messagerie instantanée”, souligne Maïté Tranzer.
Pour le meilleur comme pour le pire, les modes de consommation 2.0 ont en effet radicalement altéré notre façon de nous rencontrer… et par extension de nous séparer. “Juste un swipe , et l’on se rencontre après quelques messages échangés ! Tout est facile ! Rompre devient alors aussi simple qu’une rencontre : la relation ne nous convient plus donc on change, sans prendre le temps de réfléchir à la réelle cause de mésentente, ni aux conséquences que cela peut générer”, explique la psychologue.
Un phénomène qui serait donc banal et dont on peut comprendre l’ampleur au détour d’innombrables mêmes, voire de comptes Instagram dédiés, à l’image de @tejpartexto qui recense les violentes pépites envoyées (et reçues) par certains d’entre nous.
“C’est pas toi, c’est moi”
Autre déterminant de la rupture par sms, moins socio-culturel que psycho-individuel : la volonté pour celui qui envoie le message d’instaurer d’emblée, par la symbolique de cet acte, une distance avec l’être dont il se sépare, face à une réalité qui devient trop contraignante.
La rupture étant une forme de blessure que l’on inflige à l’autre, l’adresser sous forme virtuelle permet d’éviter le regard de l’autre et passer outre le sentiment de sa propre culpabilité. Une peur de la confrontation, un besoin de se protéger, une indifférence face à l’autre qui traduisent finalement une peur de fragiliser son ego.
“La personne qui rompt par sms va d’abord penser à sa propre charge émotionnelle avant de prendre en compte ce que la personne quittée pourrait ressentir”, explique la psychologue qui souligne l’importance de prendre en compte l’histoire personnelle et les schémas de construction psychologique et familiaux de chacun. “Dans certaines situations, cela peut se rapprocher d’un comportement un peu passif-agressif, le partenaire se sent agressé ou incompris par son/sa partenaire, et va donc faire souffrir l’autre par la brutalité du sms”, évoque également la psychologue.
La personne quittée par sms va vouloir comprendre par tous les moyens, quitte à harceler pour avoir le moindre indice sur la cause qui aurait pu mener à une séparation
Sadisme, lâcheté, indifférence, manque pathologique d’empathie : si les raisons d’une telle rupture façon post-it peuvent finalement varier, elles se soldent généralement par un réflexe, certes humain, mais relativement étrange de la part de celui qui la subit de plein fouet : vouloir obtenir une explication.
“La personne quittée par sms va vouloir comprendre par tous les moyens, quitte à harceler ou à espionner ce qui se passe sur les réseaux sociaux pour avoir le moindre indice sur la cause qui aurait pu mener à une séparation. Mais, souvent cela épuise plus qu’autre chose et les réponses ne restent que des suppositions… “, détaille la psychologue.
La solution selon elle ? Lâcher-prise et laisser la colère et la tristesse s’exprimer pour avancer et se détacher sainement de l’autre. “Si l’on est quitté de façon aussi brutale ou irrespectueuse, il faut mieux désinvestir la relation et mettre son énergie dans quelque chose de plus constructif.” souligne-t-elle, à raison. Et pourquoi pas en vous-même ?
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*Les prénoms ont été changés
**Maïté Tranzer, psychologue-clinicienne basé à Paris
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