"Marriage Story" : quand le divorce aide une femme à reprendre sa vie en main

Réalisé par Noah Baumbach et disponible sur Netflix depuis le 4 décembre, "Marriage Story" voit un couple d’artistes se déchirer pour la garde de leur fils, entre New York et Los Angeles. Scarlett Johansson et Adam Driver livrent une prestation poignante, où l’amour menace de céder à la cruauté.

Deux époux, collaborateurs et parents, qui deviennent presque des inconnus l’un pour l’autre, d’une côte à l’autre des États-Unis. Marriage Story, déjà nommé aux Golden Globes 2020, est le dernier film original en date proposé par Netflix, disponible sur la plateforme depuis le 4 décembre. À la réalisation, on retrouve Noah Baumbach, l’un des tenants du cinéma indépendant américain contemporain (Frances Ha, While We’re Young), plébiscité dans les festivals pointus. 

L’Américain âgé de 50 ans s’est inspiré de son long divorce avec l’actrice Jennifer Jason Leigh pour raconter celui de Charlie (Adam Driver), metteur en scène new-yorkais à succès, et Nicole (Scarlett Johansson), actrice qui a quitté Hollywood pour les planches de cet époux besogneux. Au milieu d’eux se trouve leur fils de huit ans, Henry, que Nicole décide d’emmener à Los Angeles, auprès de sa famille, alors que le couple est séparé. Par cette fuite, Nicole débute alors un combat sans merci pour obtenir la garde de leur fils, tandis que Charlie, décontenancé par son choix de divorcer, refuse de faire des concessions. 

Tout divorce commence par une histoire d’amour. C’est le point de départ de Marriage Story. Le film démarre par une scène montrant le couple face à un médiateur. Il leur avait demandé de rédiger ce qu’ils aiment chez l’un et l’autre, puis de le lire à voix haute. Mais Nicole, triste et en colère, refuse de se soumettre à l’exercice, et quitte la pièce.

Les yeux minuscules, les paupières gonflées et rougies, Scarlett Johansson excelle dans ce rôle de femme blessée par cet époux qui ne la voit plus, fatiguée des sacrifices qu’elle a concédés pour lui. Plus que la tristesse, c’est la colère qui l’habite.

Pourtant, nous, spectateurs, entendons cette double déclaration d’amour. D’abord celle de Charlie, puis celle de Nicole, par-dessus des images d’un quotidien somme toute idyllique. Un début qui fend le coeur, et pousse à s’interroger : qu’est-ce qui a pu mal tourner chez ce couple d’intellectuels parfait ?

Dans Marriage Story, Nicole et Charlie divorcent, notamment parce qu’ils y sont poussés par des forces extérieures. L’hésitante Nicole, perdue, finit dans le bureau rose et duveteux de Nora Fanshaw (Laura Dern), avocate de renom à Los Angeles, spécialiste du sujet. 

Cette quadragénaire tirée à quatre épingles, qui donne par ailleurs l’impression d’être cool et affirmée avec peu d’efforts, demande à Nicole de lui « raconter son histoire ». Pour qu’elle puisse, à son tour, la défendre devant un juge.

Dans un monologue d’une dizaine de minutes, sa future cliente retrace le parcours de son couple qui semblait démarrer sous les meilleurs auspices, et qui a fini par l’enfermer dans un rôle qui l’étouffe. Celui d’une actrice qui avait joué dans « ce film à succès un peu vulgaire », et qui a eu la chance qu’un metteur en scène prometteur tombe amoureux d’elle, et lui permette de se racheter une réputation dans ses pièces contemporaines et inventives. Mais Nicole se sent aussi enfermée dans son rôle d’épouse délaissée, muse devenue trop passive dans les yeux de celui qui est vu comme un génie, vénéré par son équipe. 

À mesure qu’elle relate les dix dernières années de sa vie à voix haute, sans interruption, Nicole se la réapproprie, sous nos yeux. Scarlett Johansson sourit, pleure, soupire, grogne, se lève, se rassoit, cherche l’approbation de l’avocate, s’indigne, tour-à-tour, dans un chaos de sentiments tourbillonnant, et saisissant.

Disons-le : avec Marriage Story, l’actrice, que l’on a surtout vue, ces dernières années, dans la saga de super-héros Avengers ou dans des films d’action/science-fiction décriés (Lucy, Ghost In The Shell), assure l’une de ses meilleures prestations depuis longtemps. Sans artifice, sans maquillage, elle porte avec nuance et intensité les émotions de son personnage, à fleur de peau, qui commence à se réinventer.

L’hésitation et la douceur de Nicole se cognent à la pugnacité de Nora. Cette dernière la secoue, la pousse à demander le divorce, et obtenir beaucoup au change. On sent une certaine gêne chez Nicole, qui voudrait simplement pouvoir rester vivre à Los Angeles, et partager équitablement la garde de son fils. 

Forte de son expérience, l’avocate élégante et moderne sait, pourtant, qu’une femme en procédure de divorce ne peut se contenter de demander ce qui est « raisonnable ». Plus qu’avocate, elle devient presque une coach pour sa cliente, et l’encourage à être plus exigeante. Montrer les crocs au lieu de prendre le risque d’attendre d’être dévorée. Oser demander plus. Comme dans une négociation où la demande de base est plus élevée que ce que l’on espérait, dans l’espoir, justement, d’obtenir ce que l’on espérait au départ. 

Vers le milieu du film, Laura Dern lâche ainsi un court monologue énervé incroyable, où elle dénonce les doubles standards sexistes pesant sur les mères, liés à un idéal judéo-chrétien tenace : Marie, la Vierge tombée enceinte, qui tient son enfant mourant dans ses bras, en l’absence de Dieu. « Ça ne fait que trente ans qu’on s’attend à avoir de bons pères, rappelle Nora. Avant cela, on attendait d’eux d’être silencieux, absents, pas fiables et égoïstes, et nous espérions toutes qu’ils soient différents. Mais on les acceptait quand même. On aimait leurs manquements. Mais en aucun cas, ce genre de manquements ne sont vus comme acceptables chez les mères. »

Au départ, Charlie et Nicole voulaient régler ce divorce par eux-mêmes, sans avocat. La rencontre de Nora pousse Nicole à changer de stratégie, sans que cela ne soit explicitement démontré. Mais le spectateur le comprend, et c’est l’une des nombreuses finesses scénaristiques de Marriage Story

Pris de court par la décision irrévocable de Nicole de demander le divorce, et de faire appel à un avocat, le quotidien de Charlie est en bouleversé. Le metteur en scène, alors accaparé par la préparation d’une pièce qui doit être jouée à Broadway, est obligé de sortir la tête du travail pour faire des allers-retours à Los Angeles. Sa quête d’un avocat est hilarante, mais aussi touchante, car il refuse de rentrer en confrontation avec Nicole. 

Sauf que Charlie refuse l’idée de déménager même partiellement dans la capitale californienne, et quitter son confort new-yorkais pour s’aligner sur la nouvelle vie de sa future ex-épouse. Celle-ci lui reproche, plusieurs fois, de n’avoir jamais fait d’effort pour vivre en Californie, ce qu’il lui avait pourtant promis, estime-t-elle. 

Le divorce amène quasi immanquablement des frictions. Aussi coopératifs qu’ils pensaient pouvoir l’être, Charlie et Nicole n’y échappent pas, à partir du moment où l’actrice décide de dévier du plan initial, qui ne lui convient finalement pas. La tension culmine jusqu’à une scène de dispute explosive et bouleversante, où chacun hurle ses frustrations et déceptions sur l’autre, avec une violence qui égale le besoin désespérément d’être non seulement écouté, mais entendu. « Toi et moi savons parfaitement que tu as voulu de cette vie, lance Charlie à Nicole. Tu la voulais, jusqu’à ce que tu n’en veuilles plus. »

La justesse du film est d’être ponctué de moments poétiques parfois absurdes : lorsque Charlie chante son blues dans un restaurant, ou lorsqu’il doit faire bonne figure devant une inspectrice étrange, venue l’observer dans son quotidien auprès de son fils. Un moment où l’on ne peut être soi-même, un humain forcément imparfait. Les moments, également, où les deux anciens amants semblent se demander pardon, du mal qu’ils se sont infligés, ou s’infligent, d’un regard. Même si Adam Driver a le « mauvais » rôle, il émeut en grand dadais maladroit, poussé dans ses retranchements, et qui a peur de sortir de la vie de son fils.

On ressent de la peine à voir ce couple être peu à peu avalé par les affres du divorce, comme dans des sables mouvants. Sous le soleil californien ou dans le tumulte new-yorkais, l’affrontement est dur, mais salutaire pour chacun. En parlant intelligemment de ce qui nous pousse à nous séparer, Marriage Story réussit à rappeler ce qui doit nous lier, envers et contre tout. Un film d’une grande générosité. 

Marriage Story, de Noah Baumbach, avec Scarlett Johansson, Adam Driver, Laura Dern, disponible sur Netflix 

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