Télétravailler, se ravitailler, faire l’école aux plus grands, occuper les tout petits, apprendre à vivre à deux ou plus toute la journée dans quelques mètres carrés. Jusqu’à quand ? Récits de nos vies au ralenti en période de confinement.
Métro, boulot, dodo, c’est fini… Sauf si votre attestation de sortie prouve que vous vous vous déplacer pour vous rendre au travail, faut de pouvoir télétravailler ! Tandis que la France est officiellement en confinement depuis ce mardi midi, en vue de ralentir la propagation du coronavirus Covid-19, chacun s’organise tant bien que mal. Il y a le travail qu’il faut continuer depuis chez soi, les enfants à garder, l’école à faire aux plus grands, le divertissement à assurer pour les plus petits. Et puis le ravitaillement à assurer, à l’heure ou les files d’attente s’allongent devant les supermarchés et les pharmacies.
Face à cette situation inédite, a priori signée en CDI, la rédaction de Marie Claire partage chaque jour son quotidien bouleversé. Toute ressemblance avec des personnes et / ou situations existantes ou ayant existé ne serait pas totalement fortuite.
Confinement jour 2 : chez Nathalie et ses amies, mères de famille
7H. Comment ça, on n’a plus de Doliprane ? Et qu’est-ce qu’on fera si on tombe malade, on restera cloîtrés à délirer de fièvre sans possibilité d’atténuer le haut-mal ? Cap sur la pharmacie, dès 8H du mat, pour tenter de choper des médocs en mode préventif. On se sent un peu comme un vieux junkie en manque, prêt à tout pour son subutex, mais tout le monde a l’air de trouver ca normal alors… Ah oui, à la Pharma, penser à prendre aussi du shampooing anti-poux (ça, personne n’en veut, les rayons sont pleins) : voilà dix jours que nous avons été alertés par la maîtresse que des copains étaient infectés. Et là, justement, on a enfin le temps de s’y coller. Après une heure et demie de queue, on repart avec 6 boîtes de paracétamol et beaucoup de Pouxit. Ô, riantes perspectives.
Ah oui, à la Pharma, penser à prendre aussi du shampooing anti-poux…
9H30. « Homeschooling », c’est l’intitulé du groupe WhatsApp mis en place avec des mamans d’élèves (où sont les pères ? Peut-être que, eux, ils télétravaillent pour de vrai ?). On s’échange des photos de nos bambins, charmants, penchés studieusement sur leurs cahiers. On s’enquiert des divers problèmes de connexion. Derrière les jolis clichés, la réalité est toute autre : après l’entrain d’hier, les enfants sont aujourd’hui beaucoup plus rétifs. Comme si tout cela commençait, déjà, à moins les faire rire, eux aussi. Comment font les copines ? Le syndrome Instagram a frappé : pourquoi toutes les autres mères ont-elles l’air d’être aussi calmes et efficaces que maman Ingalls ? Et dire qu’on est seulement à J+2 de l’école à la maison…
Après-midi. Et pourquoi on ne l’a pas achetée, cette petite maison de campagne dont on rêvait ? Ça aurait été bien utile, pour faire comme tous ces Français qui sont partis se mettre au vert. En attendant, et pour se changer de l’info covid 19, on rêvasse sur seloger.com. Et les vacances d’été, on peut en parler ? Un petit tour sur Airbnb n’a jamais fait de mal à personne… En juillet, c’est sûr, on sera sortis de ce cauchemar et on pourra de nouveau se réunir avec les gens qu’on aime, prendre le soleil en terrasse, délicieusement serrés les uns contre les autres. En attendant, rêver, rêver, rêver.
Confinement jour 2 : chez Philomène et sa famille, à Paris
8H. Réveil, tic-tac, tic-tac, compte à rebours avant le confinement total, vague angoisse. Allumer ou ne pas allumer la radio ? Céder au virus de l’info, se sentir en communion, à l’unisson de ses chères et chers compatriotes de galère via les ondes, ou se recroqueviller dans sa coquille, dans un tout aussi légitime réflexe de protection ? On ne se refait pas et on allume le poste. Un jeune philosophe explique qu’on aura désormais tout le loisir de relire Blaise Pascal et de méditer sa célèbre pensée : « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre ». Au passage, l’intervenant nous incite aussi à nous replonger dans la lecture d’illustres philosophes. Joli programme pour démarrer cette improbable journée, on aime. On souhaiterait même s’y mettre dès ce matin, et rester sous la couette avec Blaise, mais derrière la porte, les enfants (12 et 9 ans) trépignent : déjà deux jours qu’ils n’ont pas mis le nez dehors, la nervosité commence à gagner.
10H. Côté collège, la plate-forme numérique de l’aînée ne marche toujours pas, tandis que les devoirs envoyés par mail par les profs s’accumulent. Le fil WhatsApp de la 5ème sonne toutes les 10 secondes : les parents en manque de connexion s’affolent. J+1 sans école : pour la première fois, l’enfant pressent la perspective d’avoir, de longues semaines durant, ses parents sur le dos pour contrôler son travail, il s’agace, répond, le ton monte. Le site Ecole directe redémarre enfin : la prof de maths vient d’envoyer dix exercices corsés à rendre pour le lendemain sur la proportionnalité. Ça calme tout le monde.
La prof de maths vient d’envoyer dix exercices corsés à rendre pour le lendemain sur la proportionnalité. Ça calme tout le monde.
11H30. Vite, sortir faire des courses avant les douze coups de midi. Quatre personnes à table, trois fois par jour, l’enfer. Promis, on ne dira plus jamais de mal des cantines scolaires, même celles du 18ème, réputées être les pires de Paris. Poissonnier, primeur, boulanger, des files interminables et plus grand chose en rayons. Chez le boucher, la rumeur s’emballe face à la pile de côtelettes qui fond à vue d’œil : Rungis serait déjà à court, le commerçant n’est pas sûr de pouvoir ouvrir le lendemain. Cap chez Picard, qui annonce une fermeture « d’au moins plusieurs jours », faute d’approvisionnement. Il ne reste presque plus rien dans les bacs, hormis des citrons givrés. On n’y aurait pas pensé. On s’interdit de regarder l’étiquette des ingrédients, et on les prend. Souplesse.
Après-midi. Comme une irrésistible envie de sieste contre laquelle lutter. Pas le moindre collègue à l’horizon pour relancer l’énergie, ni faire un point croustillant, autour de la machine à café. Malgré le canapé tout près qui tend ses plus douillets coussins, télétravailler tu dois, télétravailler tu iras !
Sur l’ordinateur, un drôle de mail vient d’arriver, qui tombe à point pour bousculer la torpeur : l’école élémentaire envoie une « fiche de sport à faire à la maison » pour les enfants privés d’exercice physique, et « pourquoi pas pour leurs parents ». Au programme, des activités pleines de promesses : « bondir comme un lapin », corde à sauter en appartement, « ballon voyageur » (un ballon qui voyagerait donc de pièce en pièce ?) , et surtout l’intrigant « chemin des pots ». Tiens tiens… « Dans un couloir, disposer des pots de yaourt espacés de 20 à 40 cm. Se déplacer en slalom (contourner les pots tantôt à droite tantôt à gauche) de plus en plus vite. En arrière en se guidant avec un miroir, en sautant à pieds joints, sur un pied… » On regrette déjà les longues heures à s’embêter au square en regardant sa progéniture taper dans un bon vieux ballon de foot. Et quelque chose nous dit que Blaise Pascal va devoir attendre encore un peu.
Confinement jour 2 : chez Aurélie, seule dans son appartement en banlieue parisienne
6H18. Je me réveille. J’ai chaud. Et voilà, j’ai attrapé ce foutu coronavirus ! En fait non, c’est juste que le chauffage est monté au max et qu’il faut que j’arrête de faire des hypothèses dans ma tête toutes les cinq minutes sur où, quand et à cause de qui j’ai potentiellement été contaminée ces derniers jours. TOUT VA BIEN. Je teste quand même mes capacités pulmonaires avec un petit exercice rapide (on sait jamais) et tente de me rendormir.
10H. Je lance la playlist « This is Chopin » sur Spotify histoire de travailler dans un environnement propice au calme et à la volupté. Mauvaise idée : au bout de quelques concertos j’ai l’impression d’être plongée dans une ambiance « fin du monde » à la Lars von Trier.
11h30. Je me souviens avoir laissé un pack d’eau dans le coffre de ma voiture et décide d’aller le chercher. Ce sera ma dernière sortie sans avoir besoin d’autorisation. Autorisation que je devrais d’ailleurs rédiger moi-même sur un bout de papier recyclé puisque que je n’ai ni imprimante ni feuilles blanches dans mon appartement. Pratique.
Je termine mon déjeuner par quelques Carambars. J’ai acheté le plus gros paquet, le « Family »
13h30. Je termine mon déjeuner par quelques Carambars. J’ai acheté le plus gros paquet, le « Family », lors de mon dernier ravitaillement hier. Il faut ce qu’il faut et je me suis dit que quelques blagues seraient les bienvenues en cette période. Je ne sais pas si c’est l’enfermement qui veut ça ou mon sens de l’humour qui n’est pas très développé mais, sur la dizaine que je me suis enfilée, elles étaient toutes nulles. Tout spécialement celle-ci : « Qu’est qui est orange et qui court dans la rue ? Une orange pressée ». Pardon, mais ce n’est pas drôle. Moi, je ne peux plus sortir dans la rue, ok ? Et je ne sais pas pour combien de temps !
Confinement jour 2 : chez Anna, son conjoint et leur petit garçon
9H. Aujourd’hui premier jour de confinement sans mon conjoint qui a du aller bosser, seule avec mon fils de 20 mois qui se réveille à peine. Quel enfant parfait qui fait la grasse matinée. Journée cool en perspective.
10H30. Je sors avec mon fils faire quelques courses chez le primeur pour qu’il prenne l’air avant midi, heure fatidique du confinement officiel, pour acheter des légumes frais. On arrive, il y a la queue, mais en réalité elle ne sert pas grand chose car il laisse rentrer avant que d’autres clients ne sortent. J’hésite à rentrer attendant que ça se vide un peu mais le vendeur me fait signe. Quinze minutes à courir après mon fils qui remplit mon panier de légumes que je découvrirai en rentrant (pas le temps de vérifier) et touche à tout, surtout au pavé numérique du terminal de carte bleue que chaque client utilise. Il slalome entre les clients, beaucoup trop nombreux pour la taille de l’échoppe, ignorant le regard des gens qui semblent l’observer comme une menace en liberté surtout quand ils touchent leur caddie. Abandonner finalement l’idée de demander un morceau de comté 18 mois à la coupe, trop d’attente avec mon fils qui veut jouer comme si on était au square.
Je sors de là en nage, avec une légère envie de pleurer, en me demandant si c’est OK de laisser son enfant de 20 mois seul dans l’appartement à l’heure de la sieste pour aller faire les courses et s’épargner ce genre d’expérience.
Abandonner finalement l’idée de demander un morceau de comté, trop d’attente avec mon fils qui veut jouer comme si on était au square.
11H15. Retour à la maison je passe un coup de fil à une collègue, pour pouvoir bosser un peu.
Au bout de 10 min mon fils décide de manifester son désir d’attention en ne faisant que des choses dangereuses et interdites, je raccroche à la hâte. Je tente d’enchainer sur la préparation du déjeuner, avec mon fils dans les jambes qui crie et essaie d’attraper tous les couteaux a sa portée, je remets en question ma politique du fait maison pour ses repas.
13H. SIESTE. Ca y est il dort. Coup d’oeil de l’appartement, constat: apocalypse. Bordel partout, mention spéciale à la cuisine. Je me pose à mon ordi pour pouvoir travailler un peu en jetant des regards en coin à mon lit qui me tend les bras.
15H. Fin de sieste, fin de ma « pause boulot » c’est reparti. Ah tiens j’ai pas déjeuné. Bon finalement je vais peut être garder la ligne malgré le confinement.
Confinement jour 2 : chez Corine et son conjoint, à Paris
9H. Je sors acheter une baguette, et suis sidérée par les files dociles qui s’allongent devant les boulangeries, les grandes surfaces, les pharmacies, les tabacs…. Les Parisiens font leurs dernières courses avant le « couvre-feu » (qui ne dit pas son nom) de midi… Combien de temps toute cette belle discipline va-t-elle tenir ? Sur Facebook, un copain, Denis raconte sa mésaventure : il a eu une poussée de fièvre cette nuit, (mais ce matin, il a 37,5) et devant le Monoprix, alors qu’il demandait à une fille, qui le collait derrière lui, de respecter le mètre de sécurité, la nana lui a répondu : « T’as rien à me dire, t’es pas mon père ». Dans ma rue, un crétin crache par terre. Et si je twittais à Castaner pour exiger que les cracheurs soient enfin verbalisés ? A l’ère du Covid-19, on ne devrait pas rigoler avec ça. Après tout cracher dans la rue est bien une infraction.
10H. Ma copine Assia m’a inscrite sur un groupe Facebook qui propose qu’on chante tous ensemble le soir à nos fenêtres et balcons, comme les Italiens, pour nous soutenir le moral face à l’adversité. Trois chansons ont été mises au vote. Celle qui remporte le plus de voix : « Ramenez la coupe à la maison ». Ben ça sera sans moi. (Et si je proposais Résiste !, de France Gall ?)
Midi. Je me demande in petto comment notre couple va surmonter le huis-clos, lui en chômage technique et moi en télétravail. Plus de cinéma, plus de resto, plus de théâtre, plus d’invitations ni de soirées. Fini les brunchs en famille, ou les balades, culturelles ou pas du week end… Le taux de divorce va t-il exploser en fin de quarantaine ? Je pense aussi à toutes celles qui subissent la violence domestique au quotidien, et qui ne sortiront peut-être pas vivante de l’épreuve…
Et les jeunes de mon entourage ? Les nouveaux couples vont-ils affronter ensemble l’épreuve du confinement, et précipiter ainsi leur décision de vie commune, ou rester prudemment chacun de leur côté dans leur studio ou leur coloc ? Le confinement va aussi forcer mes ami.es célibs à rivaliser d’imagination pour conserver une vie amoureuse et sexuelle : à défaut de rencontres en vrai, les gens vont s’écrire, se téléphoner, se découvrir par Skype et WhatsApp. Vont-ils tous redécouvrir les joies de l’écriture ? Côté neurones, je vais enfin pouvoir m‘attaquer à ma PAL, ma Pile à Lire. Et côté forme, j’ai prévu de faire du gainage et des abdos sur mon tapis de gym, de monter 20 fois l’escalier qui mène au 1er étage. Je suis prête à attaquer la quarantaine !
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