Les femmes qui désirent différer une grossesse hors raisons médicales devraient pouvoir bientôt congeler leurs ovocytes. Focus sur la révision de la loi bioéthique et témoignages.
Le ciel était bleu à Paris, le vendredi 27 septembre dernier, un ciel parfait pour changer le monde. Ils n’étaient pourtant que 44 députés – sur 577 – sur les bancs de l’Assemblée nationale pour se prononcer, à 39 voix pour et 5 contre, sur l’article 2 de la révision de la loi bioéthique. Un texte qui ouvre le droit à l’autoconservation des ovocytes pour toutes les femmes, hors raisons médicales, quand, aujourd’hui, seules les femmes atteintes de pathologies mettant leur fertilité en danger y ont accès. Cet article pourrait donc changer la vie de nombreux futurs parents. En 2019, les couples se font et se défont, la contraception est efficace, les études s’allongent et les carrières se bâtissent, pour les hommes comme pour les femmes. Si bien que l’âge de l’envie de parentalité des femmes s’aligne de plus en plus sur celui des hommes : 25,4 % des femmes ont plus de 35 ans quand elles accouchent pour la première fois.
35 ans , un âge charnière
Reste un obstacle de taille : la biologie. La fertilité est un contre-la-montre dont la femme découvre souvent les règles trop tard. Dès 35 ans, la production et la qualité des ovocytes chutent de façon drastique, et, après 37 ans, de nombreuses femmes doivent passer par une assistance médicale à la procréation (AMP). «L’autoconservation, c’est prélever et congeler des ovocytes pendant la période de fertilité maximale, donc avant 35 ans, ovocytes qui quelques années plus tard pourront permettre des fécondations in vitro (FIV) plus efficaces», résume Joëlle Belaisch-Allart, vice-présidente du Conseil national des gynécologues et obstétriciens français. Selon elle, 77 % des gynécologues de l’association sont favorables à l’autoconservation des ovocytes pour raison sociétale (un âge de la parentalité repoussé), et non plus strictement médicale. Michaël Grynberg est de ceux-là. Le jeune médecin a succédé au célèbre Professeur René Frydman à la tête du service de santé reproductive de l’hôpital Antoine-Béclère de Clamart, près de Paris. Il permet aux patientes atteintes de cancers, de maladies auto-immunes ou d’endométriose de congeler leurs ovocytes, comme l’autorise la loi depuis 2011. Mais ce ne sont pas les seules à venir lui demander de l’aide : «Au quotidien, raconte-t-il, nous apprenons aux patientes qu’à 42 ans elles ont 5 % de chances que la FIV fonctionne. Je ne peux pas leur dire : “Vous auriez pu vous décider plus tôt.” Car ça n’a pas été leur vie. Et j’en ai assez de ne pas pouvoir les aider alors que l’on sait faire de la médecine préventive.»
Audrey s’est rendue en Espagne en 2014 pour congeler ses ovocytes. La Parisienne a alors 35 ans et se sépare de son partenaire de longue date. «C’était la double peine, se souvient-elle : j’étais seule, et j’étais passée du “j’ai le temps” à “c’est déjà trop tard pour faire un bébé avec quelqu’un de nouveau que je devrais apprendre à connaître”.» Elle voit sur Facebook une publicité pour une clinique barcelonaise, prend rendez-vous. «J’ai subi trois cycles de congélation, avec un gros traitement hormonal et des ponctions très douloureuses : ça a été une épreuve physique et financière (une dépense de l’ordre de 10 000 euros, NDLR). C’était loin d’être une garantie d’avoir un bébé, mais ça m’a soulagée ensuite, ôté une pression dans mes rencontres avec les hommes.» À 41 ans aujourd’hui, Audrey est amoureuse et enceinte de huit mois, après avoir «épuisé son stock» au cours d’un long parcours de FIV dans la cité catalane. «Je ne répondais pas aux critères de la FIV en France car je ne pouvais pas prouver deux ans de concubinage avec mon compagnon», explique-t-elle.
Elles seraient donc plus de 2 000, chaque année, à se rendre en Belgique, en Espagne, au Royaume-Uni, en Grèce ou en Ukraine dans des cliniques qui reçoivent des trentenaires célibataires inquiètes de leur horloge biologique, mais aussi des couples de femmes homosexuelles, des personnes trans, des couples hétérosexuels ayant dépassé l’âge légal de prise en charge ou le nombre de tentatives de FIV autorisées en France.
En vidéo, onze conseils pour bien vivre sa grossesse
Un enfant à deux
Basé à Barcelone, le Professeur André Guérin exerce au centre Ivi, un groupe de cliniques espagnoles pionnières en la matière, qui a reçu 730 patientes françaises entre 2014 et 2018. «La demande n’a cessé de croître, au niveau national et international (augmentation de 100 % entre 2014 et 2018)», explique le médecin. Selon les statistiques de la clinique, les femmes sont célibataires (à 90 %) quand elles font cette démarche, mais la majorité (65 %) revient avec un compagnon ou une compagne. «Pour une grande part, elles viennent nous voir car elles veulent faire un enfant à deux», conclut le professionnel. Même écho de la part du Pr François Olivennes (1), médecin spécialiste de la fertilité à Paris : «La question de la carrière n’est pas le facteur numéro 1 expliquant les grossesses plus tardives : pour beaucoup, il faut être deux pour faire des enfants, or les hommes veulent des enfants plus tard, 70 % des personnes veulent plus d’un enfant, et il ne faut pas négliger les divorces ainsi que les familles recomposées qui génèrent des grossesses tardives.»
Graphiste de 39 ans, Julie est allée faire ponctionner ses ovaires à Waterloo, en Belgique. «Très tôt dans notre relation, j’avais informé mon compagnon de mon envie d’avoir une famille, et il la partageait. Mais quelques années plus tard, nous nous sommes séparés.» Elle congèle ses gamètes pour laisser le temps à son cœur de se remettre, tout en protégeant ses arrières. «Le parcours a été très compliqué, je n’avais pas d’informations, j’ai appris à faire mes piqûres seule… pour, au final, gagner seulement 4 % de chances de plus que les personnes qui font une FIV à 42 ans.» Quelques mois après le protocole, Julie avance dans la vie sans avoir l’obsession d’un géniteur, tombe amoureuse d’un garçon. «Un amour déconnecté», comme elle dit. Parce qu’elle a découvert un nouveau problème médical (trompes bouchées), elle a démarré récemment un parcours de FIV en France, en laissant pour le moment en Belgique ses ovocytes congelés.
Un enjeu de société
Journaliste, Myriam Levain s’est confrontée à la même question : «Comment admettre à 35 ans, célibataire, que le temps joue contre moi ?» Elle a enquêté, publié un ouvrage de référence Et toi tu t’y mets quand ? (Éd. Flammarion), et elle en est convaincue : permettre l’autoconservation des gamètes pour toutes en France est une question d’égalité, mais aussi une occasion collective de questionner la norme. «Penser à concevoir un enfant après 35 ans, c’est aussitôt réfléchir aux raisons pour lesquelles on vit comme un échec le fait de ne pas avoir coché plus tôt la case de la parentalité.» Comme si, pour beaucoup de femmes encore, leur était renvoyée l’idée que ne pas désirer d’enfant serait égoïste, en faire trop tôt serait irresponsable, en faire trop tard démontrerait une attitude carriériste.
De longs mois passés à rassembler des informations l’ont aussi convaincue du manque criant d’éducation sur le fonctionnement et le vieillissement des ovaires. Célia a 35 ans quand elle questionne sa gynécologue sur sa fertilité. Elle croyait être dans la prévention, elle se retrouve dans l’urgence. «Mes résultats étaient très mauvais, j’avais une très faible réserve ovarienne, je montrais des signes de préménopause. Si je voulais garder la possibilité d’avoir des enfants, il fallait faire un choix tout de suite.» Lesbienne, la jeune femme sait qu’elle ne peut alors bénéficier de soins en France. Conseillée par une gynécologue, elle décide avec sa compagne qui vit en Allemagne de conjuguer congélation de gamètes et PMA au Royaume-Uni, pour sa politique de semi-anonymat des donneurs. Un parcours du combattant mené des deux côtés de la Manche : «Il ne faut pas avoir de phobie administrative pour suivre des protocoles à l’étranger, au final on se sent presque clandestine dans son propre pays», dit-elle. Après un éreintant parcours, Célia dispose de deux embryons qui l’attendent à Londres. Le couple prévoit bientôt de prendre l’Eurostar.
Si les sénateurs, au mois de janvier, valident le fameux article 2 de la révision de la loi bioéthique, ce sera sur la base de deux limitations ajoutées par les députés. D’une part, il y aura un âge de prise en charge par la Sécurité sociale (qui pourrait être de 28 à 37 ans, selon une source informée), d’autre part, seuls une trentaine d’établissements publics (rattachés aux Centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains, ou Cecos) seraient habilités, excluant les centres privés sous contrat, qui aujourd’hui effectuent la majorité des PMA en France. De quoi laisser certains spécialistes sceptiques.
Constat d’échec
«L’application de cette loi risque d’engorger l’hôpital public, qui est déjà dans une situation catastrophique», estime Michaël Grynberg. Selon lui, les files d’attente provoquées par cet étranglement continueront de pousser les femmes à se tourner vers l’étranger. Cette loi accompagne aussi, pour beaucoup de professionnels, un constat d’échec sur l’éducation et l’information concernant la fertilité des femmes. «À 15 ans, vous recevez un papier sur la prévention bucco-dentaire, à 50 ans sur le dépistage du cancer du côlon ou du sein… Pourquoi n’en serait-il pas de même avec la fertilité féminine ? Une consultation gratuite avec votre gynécologue, une campagne sur les réseaux sociaux…, il est possible de faire de la prévention sans être intrusif ou faire pression pour la parentalité», estime Catherine Patrat, médecin biologiste du Cecos basé à l’hôpital Cochin, à Paris. Le Pr Pietro Santulli exerce lui aussi en santé reproductive à Cochin. Il ajoute : «Une vraie stratégie passe par la sensibilisation de la population sur la réalité biologique, et par un réaménagement profond de notre société, plaçant au même niveau les hommes et les femmes par rapport à leur projet familial. Les femmes ne devraient plus subir de discrimination au travail (or, en 2011, une étude commandée par le défenseur des droits montrait que 25 % des salariées enceintes s’estimaient victimes de discriminations, NDLR). Les congés paternité devraient être allongés. C’est finalement facile de congeler des ovocytes. Ça l’est moins de changer une société ».
(1) Le Pr François Olivennes est l’auteur de Faire un enfant au XXIe siècle, Éditions Flammarion, 13,99 euros.
Source: Lire L’Article Complet