Ces designers ont choisi l’auto-édition

“J’ai d’abord commencé à dessiner du mobilier pour rendre les projets d’architecture d’intérieur de mes clients uniques, puis pour m’assurer qu’il s’adaptait parfaitement à l’espace conçu. Lancer ma marque était une évidence”, explique l’architecte d’intérieur Pierre Yovanovitch. Comme lui, plusieurs décorateurs français ont choisi de combiner auto-édition de mobilier et chantiers d’architecture intérieure pour une clientèle privée, sans jamais dissocier ces deux activités. Stéphane Parmentier souligne : “La création d’objets est une démarche complémentaire à mon métier d’architecte. Si en plus, ces pièces sont dessinées à l’occasion d’un chantier, c’est un plaisir de les inscrire dans un lieu.”

Une autre manière de démocratiser son travail 

“Cheminement naturel” pour India Mahdavi, “besoin viscéral de liberté” pour Joris Poggioli ou nouvelle étape pour Thierry Lemaire, la création d’objets en son nom propre repose sur une tradition française séculaire. “En France, il y a une culture de l’objet de décorateur car nous avons accès à un incroyable réservoir de savoir-faire de très haute qualité”, approuve Pierre Gonalons. Si le mobilier esquissé par les architectes d’intérieur était encore confidentiel il y a peu, la multiplication des ouvertures de showrooms, galeries et e-shops vient confirmer une réelle volonté de s’éloigner d’une confidentialité exclusive tout en s’appuyant sur un artisanat tricolore d’exception. Tour d’horizon de celles et ceux qui ont misé sur l’auto-édition pour partager leur univers avec le plus grand nombre.

Thierry Lemaire, épure et confort en ligne de mire

Thierry Lemaire a ouvert sa galerie en 2017 et lance son e-shop à la rentrée car selon lui, “c’est l’avenir”. À l’instar des appartements et des maisons privées que façonne l’architecte d’intérieur depuis plus de vingt ans, les quelque 80 pièces de mobilier éditées en son nom propre convoquent un sens aigu de l’épure graphique et affichent un habile mélange de matières et d’influences. Fort de son intérêt marqué pour les arts décoratifs des XXe et XXIe siècles, Thierry Lemaire est du genre à oser les contrastes dans les lieux qui lui sont confiés. Pour preuve, son bureau à la ligne minimale “K” en wengé, cuivre et acier qui converse avec le décor rutilant du bureau du président de la République au palais de l’Elysée.

Fauteuil “Koumac” en mouton

>> thierry-lemaire.fr 

India Mahdavi, la palette chromatique intuitive

Pour India Mahdavi, “l’auto-édition était une nécessité” lorsqu’elle a lancé sa première collection de mobilier au début des années 2000. Ne trouvant pas de table ni de canapé adaptés à ses multiples chantiers, cette visionnaire les a inventés. C’est à partir de ces créations initialement destinées à être intégrées dans un projet d’architecture que la designer a décliné une série de luminaires, de chaises et autres tabourets dans la palette chromatique qu’on lui connaît. En plus de donner une seconde vie à ses pièces, elle leur a offert une vitrine au 3, rue de las Cases à Paris. Intuitive et ancrée dans son époque, India Mahdavi vient de lancer son e-shop dédié aux petits objets. De quoi inviter chez soi en quelques clics l’univers coloré et sensuel de la créatrice. 

Tabourets “Bishop” en céramique

>> india-mahdavi.com 

Pierre Gonalons, la singularité des lignes graphiques

Pierre Gonalons revendique d’emblée sa double casquette de designer et de décorateur. Proactif, il veille à accorder la même exigence à ses décors intérieurs qu’à ses pièces ex situ. “Le design est ma première passion”, avoue-t-il. Dès que ce passionné évoque son cheminement créatif, il détaille volontiers : “Je pars de l’objet pour aller vers l’espace mais je ne peux pas les séparer l’un de l’autre.” À rebours des codes du moment, Pierre Gonalons fait appel à son amour des arts décoratifs pour esquisser un dialogue limpide entre passementerie et objets radicaux, fauteuil bergère et technique de découpe ultramoderne, assise réinterprétée qu’il présentera d’ailleurs au cours de la Paris Design Week.

Table d’appoint “Smash” en marbres Grand Antique d’Aubert et Jaune de Sienne

>> pierregonalons.com

Stéphane Parmentier, le luxe silencieux

Oser la comparaison avec la mode ne dérange pas cet ancien collaborateur de Karl Lagerfeld. “Demander à un designer pourquoi il recourt à l’auto-édition, c’est comme demander à un créateur de mode pourquoi il souhaite créer sa propre ligne. Non pas pour ne plus écrire un chapitre de l’histoire d’une autre maison d’édition mais pour raconter la sienne”, soutient-il. Si le décorateur, designer et directeur artistique excelle dans la conception d’espaces au “luxe silencieux” jamais tapageur, il prête une attention équivalente au mobilier qu’il dessine. Dans son showroom rue de Lille à Paris où ses créations sont exposées, il donne à voir la même “confrontation entre le présent et le passé, le télescopage entre sophistication et brutalisme”.

Bureau “Master” en bronze et cuir

>> stephaneparmentier.com

Gilles et Boissier, le raffinement à la française

Réputés pour leurs intérieurs raffinés et leurs projets publics d’envergure comme les boutiques Moncler et un hôtel pour Baccarat à New York, Dorothée Boissier et Patrick Gilles — qui oeuvrent ensemble depuis 2004 — ont lancé leur première collection de mobilier en 2019. Dans leur boutique-appartement située 2, avenue Montaigne à Paris, la patte du couple d’architectes est perceptible : lignes sophistiquées, matériaux nobles et interprétation personnelle d’un style purement français. Pour la plupart cumulés au gré de chantiers effectués durant ces dix-sept dernières années, les tables, les canapés et les objets de décoration signés par le tandem illustrent leur style autant polymorphe que cohérent.

Bougeoir “Monceau” en bronze

>> gillesetboissier.com

Charles Zana, savoir-faire et fonctionnalité

“J’aime créer des meubles qui peuvent vivre par eux-mêmes.” Passé maître dans la création de décors d’hôtels, de boutiques et d’intérieurs de particuliers durant près de deux décennies, Charles Zana puise son inspiration dans les références classiques du XVIIIe siècle qu’il twiste d’une implacable modernité. Résultat : une partition à l’identité forte qui séduit. Mêlant fonctionnalité, sobriété des lignes, matières tactiles et savoir-faire, sa gamme de canapés, fauteuils et luminaires — disponible dans sa galerie germanopratine – est tout aussi plébiscitée. “Le mobilier que j’auto-édite est à l’origine issu des intérieurs que je conçois. Je l’adapte et nous le produisons en petite série”, explique l’architecte. Une manière de démocratiser son regard singulier.

Tabouret “Nomad” en marbre Calacatta Oro

>> zana.fr

Humbert et Poyet, des atmosphères vivantes et flamboyantes

Entre réinterprétation Art déco et maniement savant des matériaux précieux, Emil Humbert et Christophe Poyet se sont inventé un style éclatant qu’ils exportent de Séoul à Vienne. Depuis son agence monégasque, le duo d’architectes pilote avec réussite des projets d’hôtels, de restaurants mais aussi de résidences privées pour lesquels ils dessinent presque tout, des lampes aux canapés. “Au bout de huit ans de carrière, nous avions un catalogue étoffé, nous avons sélectionné quelques pièces pour lancer notre première collection. Un processus naturel”, détaille le tandem à l’origine d’atmosphères vivantes qu’ils veulent “aux antipodes d’un showroom figé”.

Fauteuil “Théodore” en noyer et tissu

>> humbertpoyet.com

Joris Poggioli, la sculpture en héritage

“C’était un pari osé !” Guidé par son désir de “créer du mobilier sans limites, ni contraintes”, Joris Poggioli a multiplié les projets d’aménagements publics et privés afin de se donner les moyens de ses ambitions. Une fois acquis le pécule nécessaire, il produit et lance sa première collection en 2017. Le succès est au rendez-vous. Si le Franco-italien a obtenu un double diplôme en design et architecture d’intérieur, il doit aussi son goût pour le marbre et les volumes architecturaux — qui séduisent tant — aux années passées dans l’atelier de son oncle sculpteur. Un héritage qu’il érige en moteur créatif pour livrer des pièces vibrantes à la frontière de l’oeuvre totémique.

Applique “Moon” en marbre Bianco Namibia

>> jorispoggioli.com

Pierre Yovanovitch, un vocabulaire sophistiqué

“C’est la réalisation d’un rêve de toujours et un moyen de faire connaître mes créations à un public plus large”, raconte Pierre Yovanovitch. Le lancement de sa première collection en son nom propre et l’ouverture d’un showroom parisien marquent un tournant dans la carrière de l’architecte d’intérieur. Pendant près de vingt ans, ce natif de Nice a principalement oeuvré pour une clientèle privée. Désormais, il partage aussi son vocabulaire sophistiqué relevé d’une touche d’humour à travers 45 pièces made in France dont des fauteuils, des canapés, des tables, des luminaires et des accessoires qui traduisent son affection toute particulière pour les matériaux nobles et confortables.

Chaise “Clam” en chêne et tissu

>> pierreyovanovitch.com

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Reportage paru dans le n° 527 de Marie Claire Maison

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