Le Distilbène a été prescrit à 200 000 femmes enceintes entre 1948 et 1977, causant malformations et cancers génitaux chez leurs enfants, principalement les filles. Trente ans après, ces tristes héritières se battent toujours pour obtenir réparation.
Le Distilbène est la marque commercialisée par UCB Pharma de l’hormone diéthylstilbestrol (DES), conçue pour prévenir les fausses couches pendant la grossesse.
On estime qu’entre 1948 et 1977, ces pilules rondes, vertes et roses, aussi vendues sous le nom de Stilboestrol-Borne et Furostilboestrol, ont été consommées par 200 000 femmes enceintes.
Dans les années 1970, on commence à découvrir que l’hormone a provoqué, in utero, des malformations et cancers chez les enfants de ces femmes, particulièrement chez les filles.
Presque trente ans plus tard, celles qu’on appelle les “filles Distilbène” peinent encore à être reconnues comme victimes et indemnisées. Elles sont environ 80 000 en France.
Une nocivité connue dès les années 1970
L’oestrogène de synthèse DES présente dans le Distilbène a été prescrite, en France, à partir de 1948 pour prévenir les fausses couches mais aussi les naissances prématurées. Le médicament a même connu un pic de prescription entre 1964 et 1972.
Au début des années 1970, plusieurs cas de cancers du vagin et du col de l’utérus chez des filles suite à leur contact in utero avec le Distilbène ont alerté.
En 1977, l’hormone de synthèse est officiellement contre-indiquée aux femmes enceintes en France, 6 ans après les Etats-Unis.
Et ce n’est qu’en 1983, lorsque la gynécologue Anne Cabau publie ses recherches dans un article du Monde, que l’ampleur du scandal éclate au grand jour.
Plus de 70 procès depuis 1991
Le premier procès Distilbène début en 1991, initié par deux “filles DES”. Pour se défendre, les laboratoires demandent la preuve écrite que leurs mères a bien pris le médicament.
Entre 1992 et 1999 a eu lieu une expertise générale, déposée en 1999. Elle conduit, en 2002, puis à nouveau en 2003, à la reconnaissance officielle par le Tribunal de Grande Instance de Nanterre de la responsabilité de l’oestrogène dans les maladies des deux “filles DES” dans le procès débuté en 1991.
Un fond d’indemnisation dédommage en moyenne quatre fois moins une victime qu’une décision de justice. Une vraie modification de la législation s’impose
Par la suite, les procès se succèderont, une des victimes décédera des suites d’un cancer, en 2004, deux jours après le début de son procès, que les laboratoires perdront.
En tout, plus 70 procès ont incriminé le médicament, d’après l’association de victimes DES France.
Des maladies sur trois générations
Les filles du Distilbène sont plus susceptibles de développer des cancers du col de l’utérus, du vagin et du sein, d’être infertiles, de faire des fausses couches (une grossesse sur deux n’arrive pas à terme, mais aussi d’être ménopausées très tôt. Mais la nocivité héréditaire du Distilbène ne s’arrête pas à la seconde génération.
En avril 2011, une étude française concernant la 3e génération d’enfants Distilbène révèle que ces petits-enfants subissent aussi les dommages du médicament. Ils ont entre 40 et 50 fois plus de chance de naître avec des malformations génitales
Après de nombreuses études épidémiologiques, une nouvelle, réalisée en 2014, démontre des cas de cancers du sein ont été recensés chez des filles Distilbène, mais aussi leurs mères, surtout après 40 ans.
Reconnaissance des victimes, où en est on?
Elles n’ont pas été crues et parfois raillées. Marie Darrieusecq, marraine de DES France, a déclaré à l’Express, en 2013 : “Pour les médecins, on était des emmerdeuses.”
Il aura fallu attendre octobre 2016 pour qu’une victime soit reconnue par la justice sans avoir à prouver que sa mère avait pris ce médicament, preuve quasiment impossible à trouver. Les experts ont jugé que ses malformations étaient caractéristiques du Distilbène et n’étaient imputable à aucune autre cause.
Récemment, en février 2019, les laboratoires UCB Pharma ont été condamnés à verser 3 millions d’euros à un “petit-fils Distilbène”, qui vit avec un handicap moteur et cérébral.
La justice n’est pas le seul recours pour les victimes : aux Pays-Bas, un fond d’indemnisation existe depuis 2007. Une pétition a été lancée, en août 2019. Adressée à Agnès Buzyn, elle demande la mise en place d’un fond d’indemnisation.
La bataille des filles Distilbène est loin d’être terminée.
Entretien avec Martine Verdier, avocate de plusieurs familles victimes du Distilbène
Marie Claire : Que pensez vous de cette pétition réclamant un fond d’indemnisation ? Peut-elle avoir un impact ?
Martine Verdier : Dans les années 1990, cela avait déjà été évoqué. Mais beaucoup d’argent était en jeu pour les laboratoires, et ça n’a pas abouti. Aujourd’hui, un fond pourrait voir le jour en France si les laboratoires se mettent d’accord. Une une telle pétition peut raisonnablement peser dans la balance. Cela dit, l’affaire Distilbène fait toujours office de grande oubliée des scandales sanitaires, et Agnès Buzyn est déjà engluée dans les fonds de l’affaire Dépakine et l’incendie de l’usine Lubrizol de Rouen.
Si cette cagnotte d’indemnisation voit le jour, pourra-t-elle être suffisante ?
Elle aura ses limites, en terme d’argent. Un fond d’indemnisation dédommage en moyenne quatre fois moins une victime qu’une décision de justice. Une vraie modification de la législation s’impose. Les textes actuels ne sont pas adaptés à ces risques médicamenteux. Parce qu’ils sont propres à chaque individu, et sont une bombe à retardement sur plusieurs décennies, voire générations, comme pour le Distilbène.
Où se situent les blocages pour ce dédommagement des victimes médicamenteuses ?
Il faut adapter la loi à ces dommages transgénérationnels. J’estime qu’être exposé à un tel médicament devrait être imprescriptible. Contrairement aux Etats-Unis, en France, le système de pharmacovigilance ne marche pas. Les médecins ne déclarent pas les problèmes dus aux médicaments, en vérité peu de ceux qui ont entre 30 et 50 ans connaissent le DES et ses effets. Si les victimes ne se mobilisent pas, et si les ministres ne prennent pas des décisions, on n’associera plus, dans le futur, ces malformations et cancers à leur cause : le Distilbène.
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