Mercredi 25 août 2021, la défense de Cédric Jubillar a déposé une nouvelle demande de remise en liberté devant le tribunal de Toulouse. Emmanuelle Franck, avocate de l’accusé, a accepté de se confier sur le dossier auprès de Femme Actuelle.
- Delphine Jubillar
Depuis le 18 juin 2021, Cédric Jubillar dort en prison. Incarcéré au quartier isolement de la maison d’arrêt de Seysses – à la suite de sa mise en examen pour le “meurtre aggravé” de son épouse Delphine, disparue dans la nuit du 15 au 16 décembre 2020 – le jeune Tarnais de 33 ans continue de nier son implication dans l’affaire. Après avoir vu leur première demande de remise en liberté rejetée par la Cour d’appel de Toulouse, le 8 juillet, les avocats de Cédric Jubillar ont décidé de faire une nouvelle tentative. Mercredi 25 août, une demande a donc été déposée au tribunal. A cette occasion, Maître Emmanuelle Franck, l’une des avocates de l’accusé, a accepté de se confier dans les colonnes de Femme Actuelle.
Femme Actuelle : Quels sont vos arguments pour cette demande de remise en liberté ? En quoi diffèrent-ils de ceux présentés devant la Cour en juillet ?
Emmanuelle Franck : Sur le fond, les arguments sont les mêmes : c’est-à-dire l’absence d’éléments à charge, l’absence d’éléments tout court, suffisants pour justifier le placement et surtout le maintien en détention de Cédric Jubillar. La nouveauté, c’est que deux mois sont passés et que rien n’a été fait. La justice ne semble pas pressée, puisque Cédric Jubillar ne devrait pas être entendu par les juges de l’instruction avant le mois d’octobre. Et nous avons notamment découvert qu’au mois de juillet, la fameuse couette n’avait toujours pas été envoyée au laboratoire de police scientifique, alors même que tous les éléments saisis dans la maison du couple au mois de décembre l’ont été. C’est scandaleux que ça n’ait pas été fait, surtout s’agissant de ce qui est présenté comme un élément clé de l’accusation. Tout cela cumulé fait que cette inertie de la justice, face à un homme qui clame son innocence depuis le départ, est particulièrement insupportable. Nous faisons cette demande de remise en liberté parce que deux mois d’incarcération, ce sont deux mois de trop.
Avez-vous bon espoir que la Cour reconnaisse vos arguments, contrairement à votre dernière demande ?
E.F. : Je suis optimiste, et j’ose espérer que la justice va se réveiller et comprendre qu’on ne peut pas aller si loin avec si peu, s’agissant de la liberté d’un homme. Dire que je suis confiante serait un bien grand mot, mais je crois en cette demande.
Concrètement, comment va se passer cette demande ?
E.F. : Nous n’avons pas de date précise pour la décision de la justice, mais elle doit être rendue sous huit à dix jours. Il n’y aura pas d’audience : on a déposé une demande écrite au greffe des juges d’instruction, et on aura une réponse par écrit également. Ce n’est que si on décide de faire appel qu’il y aura une audience.
« Cédric Jubillar vit évidemment très mal son incarcération »
Que pouvez-vous nous dire du quotidien de Cédric Jubillar en prison ?
E.F. : Il est au quartier d’isolement, où les conditions d’incarcération sont extrêmement difficiles : tout seul en cellule 23 heures sur 24, pas de parloir, pas d’appel téléphonique… Son seul contact est celui de ses avocats. Nous avons récemment adressé une demande aux magistrats instructeurs pour sa sortie du quartier d’isolement. Par ailleurs, Cédric Jubillar vit évidemment très mal son incarcération. Je vous laisse imaginer comment on peut vivre une incarcération lorsque l’on est innocent, et lorsque l’on voit que rien n’a bougé en deux mois. Il a été particulièrement effondré, dépité, de constater que cette couette n’avait pas encore été analysée. Il est assez serein sur les résultats, il sait très bien qu’on ne trouvera rien sur cette couette.
Pourtant, certains gardiens de la prison de Seysses ont livré des témoignages très différents auprès de La Dépêche…
E.F. : Outre le caractère très critiquable de ces témoignages – qui viennent à priori de surveillants qui n’étaient même pas en contact avec Jubillar – je pense que c’est parce que Cédric s’attendait à ce qu’on vienne le chercher. Il n’est pas du tout quelqu’un d’arrogant, mais il n’est pas idiot, il savait très bien que les gendarmes concentraient leur enquête sur lui. D’ailleurs, quand il les appelait pour leur donner des informations, ils ne semblaient pas très intéressés. Je crois surtout qu’il était serein parce qu’il se disait que ça ne durerait pas, puisqu’il est innocent. C’était bien mal connaître le fonctionnement de la justice.
Quelles pistes devraient être étudiées davantage par les enquêteurs selon vous ?
E.F. : Il y a plusieurs pistes, qui ne se rejoignent pas d’ailleurs, qui n’ont pas été suffisamment creusées. Les gendarmes ont fait semblant de fermer les portes sur beaucoup de points. On a ce témoignage d’un chauffeur de taxi qui a vu, à 6 heures du matin, une femme marcher seule sur le bas-côté de la route, avec une tenue vestimentaire qui pourrait correspondre à celle que portait Delphine ce soir-là. On a également deux témoins qui ont vu, vers 7 heures, un homme qui court de manière affolée vers son véhicule, moteur tournant, à quelques kilomètres du domicile des Jubillar. Et on sait que ça ne peut pas être Cédric, puisqu’il était avec les gendarmes à ce moment. On a ensuite l’homme qui s’est accusé, par SMS auprès de son ancienne compagne, avec moult détails, du meurtre de Delphine… Il n’a même pas fait l’objet d’une garde à vue, juste d’une audition. La grosse difficulté dans ce dossier, c’est qu’on ne retrouve pas Delphine Jubillar. Tout laisse à penser qu’elle est malheureusement décédée, mais nous n’avons pas de corps, pas de scène de crime… Il y a forcément des pistes non exploitées, mais également des pistes non envisagées par les gendarmes. Ils se sont concentrés sur Cédric Jubillar depuis le début, avec un raisonnement qui consiste à dire que ça ne peut être que lui. Un raisonnement très dangereux en matière de justice.
« Ce sont les gendarmes qui ont évoqué la piste du Djihad »
Selon Le Parisien, Cédric Jubillar aurait émis l’hypothèse d’un départ de Delphine pour faire le Djihad…
E.F. : C’est toujours complètement déformé, c’est insupportable. Ça apparaît dans une audition de garde à vue il me semble, mais ce sont en réalité les gendarmes qui ont évoqué cette théorie avec Cédric Jubillar. Ils lui ont d’abord demandé si Delphine pouvait s’être suicidée, il a dit que non ; si elle aurait pu abandonner ses enfants pour partir à l’autre bout du monde, il a dit qu’il ne l’imaginait pas. Et ce sont les gendarmes qui évoquent la piste du Djihad, à laquelle il va répondre que cela ne lui semble pas probable, même si son comportement était différent ces derniers temps, notamment par rapport aux enfants, avec qui elle semblait très détachée. Il n’a absolument jamais pensé ça, ce n’est même pas lui qui en parle. C’est complètement délirant. C’est une vérification un peu automatique des gendarmes ces dernières années, dès qu’il y a une disparition.
Et que dire de l’autre théorie de Cédric Jubillar, selon laquelle Delphine aurait pu s’exiler en Espagne avec son amant ?
E.F. : Au tout début, dans ses premières auditions, on lui demande si Delphine a pu partir à l’étranger. Il a dit qu’il ne savait pas, mais que si elle avait un amant, elle serait peut-être partie avec lui en Espagne ou ailleurs. Les gendarmes ont fait des recherches, d’autant plus qu’il y a une homonyme de Delphine Aussaguel (son nom de jeune fille) en Espagne. C’est une phrase du dossier qui a été totalement sortie de son contexte, Cédric Jubillar n’a jamais rien affirmé.
Pouvez-vous nous parler de ces deux connexions sur le téléphone de Delphine Jubillar, le soir de sa disparition ?
E.F. : Nous savons qu’à 0h11, il y a eu une connexion à WhatsApp. La facture détaillée du téléphone indique également un déclenchement de la caméra vidéo à 1h33. Il y a encore des interrogations techniques, pour savoir notamment si la caméra peut être allumée à distance. On sait que Delphine Jubillar avait changé les codes de son téléphone, et Cédric n’y avait pas accès, c’est établi dans le dossier. Même son amant le dit. Il n’aurait donc pas pu aller sur WhatsApp ou sur la caméra. Ces deux éléments démontrent une activité du téléphone. Je pense que c’est elle qui a déclenché la caméra pour aller voir les étoiles filantes, ce qu’elle avait déjà fait au mois d’août et la semaine avant son décès. On sait aussi qu’elle était insomniaque, les jours où elle ne travaillait pas de nuit à la clinique.
Que pensez-vous de la surmédiatisation de cette affaire ?
E.F. : Il y a des aspects bénéfiques à cette médiatisation. Les intervenants judiciaires font certainement plus attention à ce qu’ils font. Il y a aussi des effets néfastes, notamment dans l’opinion publique. On dit tout et n’importe quoi, donc ça donne un ramassis de trucs un peu sensationnels. Ce qui est certain, c’est que cette affaire a été médiatisée depuis le début, et avec la complicité de la justice. Quand le procureur de la République décide de faire une conférence de presse, c’est lui qui surmédiatise le placement en détention de Cédric Jubillar.
Justement, cette surmédiatisation est l’un des arguments pour le maintien de Cédric Jubillar au quartier d’isolement de la prison…
E.F. : On ne peut pas dire à quelqu’un ‘vous allez vivre une incarcération abominable parce que votre affaire est médiatisée et que vous risquez d’être embêté par les autres détenus’. Ce n’est pas le bon raisonnement. Peut-être que l’isolement pouvait être nécessaire dans les premiers jours pour apaiser les choses, maintenant il appartient à l’administration pénitentiaire d’assurer la sécurité de tous les détenus. Je ne suis pas sûre qu’il risque quoi que ce soit pour son intégrité physique, ou pour sa vie.
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