De 1969, année riche en évènements, les Américains ont surtout retenu le premier pas de l’Homme sur la Lune, le festival de Woodstock et celui, qui se termina dans le sang, d’Altamont… Mais un festival mémorable s’est aussi déroulé à Harlem (New York) cette année-là, dont personne n’a entendu parler, au point que certains participants n’étaient pas loin de penser l’avoir rêvé.
Cinquante ans plus tard, le documentaire Summer of Soul en exhume les images hautes en couleur et fait revivre ce « barbecue noir ultime« , comme le résume avec tendresse un participant, qui, alors âgé de 5 ans, n’avait jamais vu autant de ses semblables réunis.
Effacement d’un moment fort de la culture noire américaine
Comment un festival de cette envergure, filmé avec soin de surcroit, a-t-il pu tomber dans les oubliettes de l’histoire avec une telle facilité ? Et pourquoi le festival de Woodstock, emblématique de l’ère hippie, qui se tenait quelques jours plus tard à moins de 200 kilomètres de là, est-il resté si prégnant dans l’imaginaire ?
Il se trouve que les 40 heures de rushes qui témoignaient de ce moment exceptionnel à Harlem n’intéressaient personne, ni aucun média. Elles ont donc pris la poussière durant 50 ans dans un sous-sol, jusqu’à ce que le batteur du groupe de hip-hop The Roots, Ahmir « Questlove » Thompson, n’en découvre l’existence et décide de les partager avec le monde entier en réalisant ce documentaire, son premier. Pour lui, il était crucial de montrer tous ces artistes au pic de leur art, mais aussi les ressorts de l’effacement de la mémoire et de la culture noire aux Etats-Unis.
Quant à l’aura éternelle de Woodstock, Questlove a une théorie là-dessus. « Woodstock en lui-même n’a pas été déterminant. Ce qui l’a été c’est le film sur Woodstock« , raisonne-t-il dans une interview à Pitchfork. « Ce qui a rendu Woodstock génial c’est le fait qu’on nous ait dit que Woodstock était génial.«
Révolutions, petites et grandes, sont abordées
Ainsi, entre deux extraits de concerts réjouissants, sont abordés tout autant le style vestimentaire et l’avènement des nouvelles coiffures afros que la politique, avec l’attitude bienveillante du maire (blanc) républicain progressiste John Lindsay, un peu plus d’un an après l’assassinat de Martin Luther King et de la révolte qui avait suivi. La question de la drogue, en particulier l’héroïne qui décimait Harlem à ce moment-là, y trouve autant sa place que la linguistique – 1969 fut en effet « l’année où le nègre est mort et où le black est né« , y compris imprimé dans les pages du prestigieux New York Times, nous rappelle le film.
Alors que Neil Armstrong mettait un pas sur la Lune, aimantant les yeux du monde entier vers les étoiles, la mention sur scène par Stevie Wonder de la mission Apollo n’avait remporté que huées au Harlem Cultural Festival. « On s’en fiche de la Lune, mettez plutôt un peu de ce cash à Harlem« , lançait un festivalier. Il attend toujours.
« Summer of Soul » de Ahmir Questlove Thompson (1h56) est disponible en France à partir du 30 juillet 2021 sur Disney+
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