Yamina Benguigui : "C’est le cinéma qui m’a appris que ma vie ne serait pas d’appartenir à un père, puis à un mari, puis au cimetière"

La réalisatrice et productrice française était la première invitée des talks Women In Motion qui rythment le 74e Festival de Cannes. Engagée depuis toujours, elle s’est exprimée sur la force du lien à construire entre les femmes, dans le cinéma.

Elle l’a souligné à plusieurs reprises : les actrices qu’elle a dirigées dans son dernier film, Sœurs (Isabelle Adjani, Rachida Brakni, Maïwenn…) sont toutes d’origine algérienne. Et c’est précisément cette «algérianité» qu’elle leur a demandé d’aller «chercher», pour faire «un film français, un film franco-algérien». Née à Lille de parents algériens, Yamina Benguigui ne cesse, depuis son premier documentaire, Femmes d’islam, en 1994, ou via sa première fiction Inch’Allah Dimanche, en 2001, de questionner la place des femmes dans l’immigration : leurs chances, leurs familles, le poids de leur passé, la richesse de leur avenir.

Invitée du premier talk Women In Motion organisé par Kering au 74e Festival de Cannes, le vendredi 9 juillet, elle s’est souvenue des difficultés qu’elle a dû affronter, dès ses débuts, en tant que réalisatrice, le peu de confiance qu’on a pu parfois lui accorder, voire le mépris qu’on lui a manifesté. Mais Yamina Benguigui sait désormais «faire de la phrase « c’est impossible » un top départ», et s’il le faut, riposter : «Maintenant je sais que je sais bien me défendre. Une réflexion déplacée : je me défends.»

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Aller plus loin que Me Too

Soeurs, sorti le 30 juin, résonne avec l’un des grands élans qui anime la société actuelle : celui de la sororité. Pour Yamina Benguigui, qui a grandi dans une fratrie de six enfants, être une «sœur» vous conditionne à vie : au-delà de la famille, ce sont les autres femmes que l’on épaule ensuite. Celle qui a été ministre déléguée chargée des Français de l’étranger et de la Francophonie en 2012 place l’éducation en première ligne d’un mouvement émancipateur : «Comment peut on évoluer dans ce monde si on retire des filles de l’école à 10 ans ?» a-t-elle questionné à Cannes.

Pour elle, si le mouvement Me Too a été «très important», il n’a que «fissuré le plafond de verre», laissant peut-être dans leur silence les stagiaires ou techniciennes ayant peur de faire entendre leur voix, qu’il s’agisse de violences ou, simplement, de porter leurs projets. «La sororité est l’avenir cinématographique de la femme», a déclaré la réalisatrice et productrice. «Si l’une d’entre nous a besoin de quelque chose, nous nous devons de lui répondre.» Et de citer, en exemple, Hafzia Herzi (également à l’affiche de Sœurs), qu’elle a aidée pour le montage de son premier film, le très beau Tu mérites un amour, présenté à Cannes en 2019 à la Semaine de la critique. Deux ans plus tard, Hafzia est d’ailleurs de retour sur la Croisette avec Bonne Mère, son deuxième long-métrage, présenté dans la sélection Un Certain Regard.

Le cinéma comme outil d’émancipation

Enfin, Yamina Benguigui s’est exprimée sur son travail. Celle qui a réalisé et produit des documentaires, une série, des fictions et des courts-métrages l’affirme avec force : «Je fais du cinéma. Je ne veux pas m’enfermer dans une case.» La Lilloise s’est souvenue de sa jeunesse passée à la bibliothèque municipale, dans les murs de laquelle un trou permettait d’accéder à la cinémathèque. Là, elle a découvert Agnès Varda, Elia Kazan, tous les cinéastes qui l’ont inspirée : «C’est le cinéma qui m’a appris que ma vie ne serait pas d’appartenir à un père, puis à un mari, puis au cimetière», a-t-elle déclaré. «Ce sont les films qui m’ont appris qu’en tant que femme, j’étais un individu à part entière, que mon chemin de vie ne serait pas la soumission.»

Convaincue qu’il y a aura de plus de en plus de femmes dans le milieu du cinéma, elle déplore cependant que jusqu’ici, le Festival de Cannes n’ait décerné sa palme d’or qu’une unique fois, à Jane Campion, pour La Leçon de Piano, en 1993. «C’est une honte, il faut que ça change», a-t-elle martelé. Sans détours, en toute liberté.

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