Les César sont revenus vendredi 12 mars à une vieille habitude en concentrant ses plus grandes récompenses sur un film, cette année, Adieu les cons d’Albert Dupontel. La tendance de ces dernières années était en effet de soupoudrer les récompenses. Toutefois, la révélation de la soirée restera le documentaire de Sébastien Lifshitz, Adolescentes, avec quatre César, alors que Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait, d’Emmanuel Mouret, avec 13 nominations, est reparti avec un seul trophée.
Autre dominante, les revendications des professionnels du cinéma qui ont dénoncé la gestion gouvernementale du monde culturel depuis le début de la pandémie de coronavirus, et particulièrement le 7e art. Ainsi la soirée a été émaillée de nombreuses interpellations des remettants et lauréats à destination de la ministre de la Culture Roselyne Bachelot, présente dans la salle de l’Olympia, mais jamais cadrée par le réalisateur de la retransmission sur Canal+, Tristan Carné.
Frustration et revendications
Si les cérémonies des César ont été souvent ponctuées de discours revendicatifs de la part des intervenants sur scène, surtout à propos du statut des intermittents du spectacle, ces discours ont été particulièrement violents cette année. Le sommet était atteint avec la comédienne Corinne Masiero, apparue sur scène sous la défroque d’une peau d’âne ensanglantée, puis dévêtue jusqu’au nu intégral, pour stigmatiser le monde culturel privé de ses lieux dédiés, dont les salles de cinéma. Sur sa peau dévêtue, deux slogans : sur son torse, « No culture, no futur », et dans le dos « Rend nous l’art Jean ! », jeu de mots dédié au Premier ministre Jean Castex. Une performance exécutée tout en référence aux manifestations des Femen.
À l’image de la raréfaction des films distribués en France depuis le 14 mars 2020, cette 46e cérémonie a été dominée par le sentiment de frustration de toute la profession, orchestrée par un gouvernement négligeant à l’égard de la sphère culturelle taxée de « non essentielle ». L’art est ainsi passé au second rang, à l’image d’une soirée animée par une Marina Foïs qui a multiplié les références scatologiques. L’humour de rigueur dans l’exercice était en-dessous de la ceinture, la comédienne renouant avec l’image de marque de la troupe des Robin des Bois, où elle avait débuté dans les années 1990.
Sous le signe de Vénus
Suite à la refonte de l’organisation de l’Académie des César, après la polémique Roman Polanski de 2019-2020, les récompenses du cinéma français ont recentré le tir, en mettant en avant les femmes de cinéma.
Après la manifestation féministe devant la salle Pleyel durant l’édition 2020 et le départ fracassant de la comédienne Adèle Haenel à l’annonce du César du meilleur réalisateur remis à Roman Polanski pour J’accuse, la cérémonie a vu défiler sur scène plus de femmes que de coutume. Remettantes ou lauréates se sont succédé : Marina Foïs, maîtresse de cérémonie, Isabelle Huppert, Sofia Alaoui, trois femmes ingénieures du son, puis Corinne Masiero, Jeanne Balibar, Chiara Mastroianni, Valérie Lemercier…
« Chaque génération doit trouver sa mission, l’accomplir ou la trahir« , a déclaré l’acteur-réalisateur, citant l’essayiste Frantz Fanon. « Ma mission, c’est la mission de l’égalité« , a-t-il ajouté, soulignant que son film parlait « avant tout d’humanité« , en enchaînant sur l’évocation des acteurs et cinéastes noirs ou issus de la diversité qui ont « ouvert la brèche » avant lui, d’Omar Sy à Ladj Ly. Mais cette récompense souligne également le retour de la comédie au sein des César. Sami Bouajila, d’origine tunisienne, recevait quant à lui le prix du meilleur acteur, pour Un fils du Tunisien Mehdi M. Barsaoui.
La comédie réhabilitée
La comédie, parent pauvre des César, a été valorisée cette année, comme pour compenser une lacune souvent pointée du doigt les années précédentes. Le César du public a bien tenté depuis 2018 de la mettre en avant, comme genre préféré des Français, mais en vain, pour aboutir cette année à son abandon.
Les sept César revenus à Adieu les cons, récompensent une comédie, même si son scénario dénonce la concurrence professionnelle et la non reconnaissance des compétences, tout comme la solitude résultant d’une maladie incurable. Des sujets graves, mais traités avec la distanciation de l’humour, au rythme d’un film poursuite dynamité par l’absurde et le burlesque.
Enfin, l’hommage rendu à la troupe du Splendid, qui révéla de nombreux talents – Josiane Balasko, Marie-Anne Chazel, Michel Blanc, Gérard Jugnot, Christian Clavier, Thierry Lhermitte, Bruno Moynot – était la cerise sur le gâteau. Avec un César pour chacun, cette 46e cérémonie tenait à marquer le coup.
La trilogie des Bronzés, Le Père-Noël est une ordure, ou Papy fait de la Résistance, régénérait dans les années 1970-80 une comédie devenue moribonde.
Enterrement de première classe
Cette 46e cérémonie restera sans doute l’une des plus tristes depuis la naissance des César en 1976. Elle était à l’image de la mise en berne des salles de cinéma qui empêche la sortie des films, ce qui fragilise une industrie déjà sensible, même si son mode de financement est sans doute le meilleur du monde. Une des exceptions culturelles françaises.
Marina Foïs lançait le ton dès son entrée, en ramassant une crotte de chien sur la scène, puis en déclinant durant toute la cérémonie les variations scatologiques. Elle enfonçait le clou en stigmatisant des César qu’ »on fait quoi qu’il en coûte », et en identifiant le cinéma à un cas de « comorbidité professionnelle » traitée par « une ancienne pharmacienne, comme ministre de la Culture » (Roselyne Bachelot).
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