L’Orchestre national de jazz (ONJ) célèbre l’héritage musical d’André Hodeir, disparu en 2011, à l’occasion du centenaire de sa naissance (il est né le 22 janvier 1921 à Paris) et du dixième anniversaire de sa mort. Violoniste, compositeur, arrangeur, critique musical, écrivain, pédagogue, Hodeir a établi par son travail des passerelles en France, à partir des années 1950, entre les musiques classique, contemporaine et le jazz, signant des pièces d’une grande originalité et sophistication.
Un artiste « iconoclaste, très en avance sur son temps »
« André Hodeir est un personnage assez iconoclaste, un compositeur très en avance sur son temps », explique Frédéric Maurin, directeur artistique de l’ONJ. « En termes de formation et d’apprentissage de la musique, il est contemporain de Pierre Boulez. Mais il s’est toujours senti proche d’une certaine forme de jazz. Il avait une vision personnelle, un langage musical assez complexe, une façon particulière d’écrire, de penser la musique. Il côtoyait ce qu’on a appelé le Third Stream [ndlr : « troisième courant », né dans les années 50, qui oeuvrait à fusionner jazz et musique classique européenne], un mouvement où l’on trouvait des compositeurs comme Gunther Schuller, George Russell et John Lewis. »
Au milieu des années 60, André Hodeir se lance dans l’écriture d’une œuvre très ambitieuse, Anna Livia Plurabelle, composée sur le texte éponyme du chapitre le plus connu d’un roman de James Joyce, Finnegans Wake, un ouvrage totalement énigmatique, réputé inaccessible, dans lequel l’écrivain irlandais maniait des éléments de différentes langues. Ce texte dépeint un dialogue entre deux lavandières.
Considérée comme l’un des plus grands chefs-d’œuvre du compositeur, cette sorte de cantate de jazz d’environ 50 minutes, écrite initialement en version franco-anglaise pour deux voix et vingt-trois instruments, est retransmise sur France Musique samedi 6 mars 2021, en direct à partir de 19 heures dans l’émission Jazz Club dans le cadre de son cycle Jazz sur le vif. Prévu de longue date, le concert ne pourra pas accueillir de public pour cause de Covid-19. Une autre partie du programme que l’ONJ interprétera à cette occasion ne sera pas diffusée samedi mais captée pour une prochaine émission : elle concerne des pièces écrites pour le Jazz Groupe de Paris, une formation que Hodeir avait fondée en 1954.
Frédéric Maurin a confié la direction de l’orchestre au célèbre contrebassiste, compositeur et chef d’orchestre Patrice Caratini, qui a bien connu Hodeir et a dirigé l’un des rares enregistrements de l’œuvre au début des années 90. Lors de la « reprise de création » (expression employée par l’équipe de l’ONJ pour cette œuvre si rarement jouée jusque-là) de samedi, les parties vocales féminines seront assurées par les chanteuses Ellinoa, mezzo-soprano, et Chloé Cailleton, contralto.
La pièce Anna Livia Plurabelle a été créée en juin 1966 à la Maison de la Radio et diffusée sur les ondes en février 1967. Elle a été reprise en 1971 pour une publication discographique aux États-Unis (rééditée en France en 1981) avec des textes intégralement en anglais. Par la suite, l’œuvre n’a été rejouée qu’en 1992 par l’ensemble Cassiopée du violoniste Philippe Arrii-Blachette, sous la direction de Patrice Caratini, une captation sortie en disque en 1994. « Les versions discographiques existantes sont très différentes, souligne Frédéric Maurin. Celle de 1966 a été enregistrée par les musiciens de jazz de l’époque, tels que Jean-Luc Ponty, Bernard Lubat.. Celle de 1992 a été enregistrée par un effectif comptant des musiciens issus du jazz tels que Marc Ducret, mais aussi d’autres issus de la musique contemporaine. »
Un effectif intergénérationnel
Frédéric Maurin se réjouit de mettre en lumière une œuvre majeure du répertoire jazz français du 20e siècle servie par des artistes d’âges très variés : « Je suis très heureux car la version que nous allons présenter regroupe des anciens musiciens de l’ONJ, des solistes de l’orchestre actuel et des membres de notre Orchestre des jeunes. J’aime beaucoup ce côté intergénérationnel, le tout sous la direction de Patrice Caratini, un acteur majeur du jazz français. »
Jazz Club (Yvan Amar) : l’ONJ joue André Hodeir, Anna Livia Plurabelle, samedi 6 mars 2021, 19H, en direct
Patrice Caratini (direction), Ellinoa (mezzo-soprano), Chloé Cailleton (contralto), Catherine Delaunay (clarinette), Julien Soro (saxophones), Rémi Sciuto (saxophones, clarinette, flûte), Fabien Debellefontaine (saxophones, clarinette), Matthieu Donarier (saxophones, clarinette), Thomas Savy (saxophone baryton, clarinette), Clément Caratini (saxophones, clarinette), Christine Roch (saxophone ténor, clarinette), Sophie Alour (saxophones, clarinette), Frédéric Couderc (saxophone basse, clarinette), Claude Egea (trompette, bugle), Fabien Norbert (trompette), Sylvain Bardiau (trompette), Denis Leloup (trombone), Bastien Ballaz (trombone), Daniel Zimmermann (trombone), Robin Antunes (violon), Stéphan Caracci (vibraphone), Aubérie Dimpre (vibraphone), Benjamin Garson (guitare), Raphaël Schwab (contrebasse), Julie Saury (batterie)
À écouter :
Arnaud Merlin, producteur sur France Musique, présente André Hodeir et Anna Livia Plurabelle dans la matinale « Au fil de l’actu » (5 mars 2021)
À lire :
Sur le site de Jazz Magazine, un dossier de Franck Bergerot sur le thème « Hodeir ! Mais pourquoi Joyce ? » : partie 1 ; partie 2 ; partie 3.
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