Mises à mal par la pandémie et les centres commerciaux de périphérie, les boutiques des centres-villes ne sont pas encore mortes. Nombreux sont ceux qui volent à leur secours.
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À l’ère du commerce mondialisé et dématérialisé, les Français déclarent leur amour à leurs échoppes de quartier. Acheter ses livres chez le libraire du coin plutôt que sur Internet, ou ses escarpins dans la rue piétonne en bas de chez soi, c’est « un acte citoyen » pour neuf personnes sur dix sondées en octobre dernier par l’institut CSA/Clear Channel. Avec le baisser de rideau des enseignes dites « non essentielles », les confinements de 2020 ont réveillé notre attachement à la vitalité marchande de nos lieux de vie. Un peu partout, on a vu fleurir des slogans : « j’achète sur ma zone, pas sur Amazon » ou encore « mon petit commerce est essentiel ». Pour épauler nos magasins déjà fragilisés par le déclin des centres-villes, les communes, les associations de commerçants ou les consommateurs eux-mêmes redoublent d’inventivité. Petit florilège de ces initiatives salutaires et toujours en vigueur.
Qui veut gagner une voiture ?
Une loterie alléchante, c’est l’idée de Karl Olive, le maire de Poissy (Yvelines), pour inciter ses 38 000 administrés à consommer local. Dans sa commune qui héberge une usine Peugeot, sa loterie met en jeu deux modèles 208 (18 000 € l’une) et huit vélos électriques (dont quatre financés par les commerçants) valant chacun 2 000 €. L’opération en deux temps, initiée en décembre dernier, a d’abord ciblé les 420 boutiques et étals des marchés de la ville. Chaque client y recevait un coupon numéroté par tranche d’achat de 30 €, à déposer dans une urne dédiée, avec un plafond de 600 € par foyer. Dès le premier jour, la parfumerie Beauty Success se frottait les mains avec 90 bons distribués et une hausse de 30 % de son chiffre d’affaires. « C’est exactement le volume d’achat additionnel que nous escomptons pour tous nos commerçants », se félicite Karl Olive qui a prévu un deuxième tirage au sort mi-février, cette fois au profit des restaurants de la ville.
Les bons comptent…
Certaines communes offrent un sérieux coup de pouce, financé par les fonds de soutien Covid. À Issoire (15 000 habitants), dans le Puy-de-Dôme, un ticket de 60 € ne vous en coûte que 40. C’est la mairie qui règle la différence. De la même façon, ces chèques de ville sont abondés à hauteur de 25 % à Cherbourg dans la Manche et à 20 % à Argenteuil dans le Val-d’Oise. Le principe ? « Une bonne action, une bonne affaire », explique Erwan Simon, l’un des fondateurs de la plateforme solidaire Sauve ton commerce, dont la mécanique promotionnelle se sophistique avec le ticket commerçant (sur le principe du Ticket-Restaurant), en test à Laval, Saint-Brieuc et Saint-Malo (Bretagne), où les habitants reçoivent un chèque de 25 € à dépenser dans les échoppes de la ville. « Nous incitons nos administrés à redécouvrir leurs magasins de proximité et à renouer le lien », explique Émilie Bellot, manager de centre-ville à Cherbourg. Et ça marche ! « Sur place, le consommateur dépense souvent plus que le montant du ticket », se réjouit Martine Varischetti, l’adjointe au commerce du maire d’Issoire.
Village people
Depuis dix ans qu’elle habite le quartier d’Auteuil à Paris, Fleur Gazzola s’alarme de la fermeture des commerces de bouche et d’artisanat, au profit des banques et autres agences immobilières. Cette jeune maman a lancé dès septembre 2019 un groupe Facebook baptisé Vie de quartier à Auteuil « pour maintenir son esprit village », dit-elle. Avec les confinements, l’audience a explosé atteignant 6 500 inscrits. Dans la boucle, les quelque 700 commerçants – en particulier ceux des marchés qui n’avaient plus accès à leurs clients – ont pu maintenir et même développer leurs ventes. « Au début, j’étais la seule à poster des photos et des vidéos pour faire découvrir telle ou telle boutique et inciter à s’y rendre. Maintenant, tout le monde s’y met ! » La solidarité joue dans les deux sens. Plusieurs commerçants se sont portés volontaires pour stocker des boîtes de Noël confectionnées à l’attention des plus démunis. Tandis que d’autres offrent des réductions, même symboliques, aux membres du groupe.
Des vitrines qui ont du chien
Consommer local via le web est la tendance du moment, précipitée par les confinements. Le hic ? Seule une échoppe sur trois dispose d’une présence en ligne. Les commerçants, attachés à la relation physique, ont pourtant tout à y gagner. Un surplus de vente mais aussi « une offre accrue de services, comme la préparation des commandes en amont, qui améliore l’expérience client », précise Thierry Chardy, le directeur de la plateforme Ma ville mon shopping qui accompagne déjà quelque 11 000 enseignes dans près de 3 000 communes. Comment les aider à franchir le pas, eux qui manquent de temps, d’argent et de compétences ? À Aix-en- Provence (Bouches-du-Rhône), la municipalité a convaincu les associations de commerçants de recruter des stagiaires bénévoles, allant même jusqu’à rédiger la description de poste pour leur sélection. Une douzaine d’étudiants d’écoles de commerce et autres ont ainsi secondé les boutiquiers pour créer leur vitrine numérique. « La démarche génère en prime du lien social intergénérationnel », souligne l’un des initiateurs de cette expérience. Même action à Fougères, en Ille-et-Vilaine, où une quarantaine d’élèves en classe de 1re Métiers du commerce du lycée Saint-Joseph ont été formés et mobilisés auprès des commerçants de la ville. « Dans la morosité ambiante, ces derniers ont apprécié un tel geste de générosité », souligne Isabelle Collet, l’élue en charge du commerce qui compte inscrire ce partenariat dans la durée.
Plateforme limougeaude
Compliqué de se ravitailler en centre-ville pour ceux qui travaillent loin quand les boutiques ferment à l’heure du déjeuner et baissent leur rideau dès 19 heures. À Limoges, l’association de commerçants Pignon sur rue 87 planche depuis plus de deux ans sur une solution permettant de récupérer ses emplettes tard le soir. Ainsi est née la plateforme locale Shop in Limoges, qui rassemble désormais 90 des quelque 600 magasins de la ville. On y fait ses courses avec un Caddie virtuel comme dans un supermarché, soit par enseigne, soit par rayon. Le principe ? « Un seul paiement, un seul retrait », résume Caroline Fumeron, webmaster de la plateforme. Un gain de temps plébiscité aussi par tous ceux que les files d’attente rebutent. On vient récupérer sa commande entre 18 et 22 heures à la conciergerie de la rue des Bénédictins, où la mairie a libéré quatre places de stationnement gratuit. À moins d’opter pour la livraison à domicile, organisée dans un rayon de 30 km avec un supplément de 5 €. Shop in Limoges, qui aide les boutiquiers à créer leur offre en ligne, prévoit de décliner l’accès à la plateforme sous forme d’appli mobile.
Les idées en or de la bijoutière
Dans ses deux bijouteries de Moulins, dans l’Allier, Claire Chopard n’a pas d’égale pour raconter l’histoire de ses produits et faire craquer les clients. Quand elle a dû provisoirement fermer ses portes, elle a eu l’ingéniosité de poster sur Facebook et Instagram des vidéos où elle fait découvrir ses collections avec le même enthousiasme. Bingo ! Ses séquences, abondamment partagées, lui ont fait gagner en visibilité et en notoriété. Au point de recruter de nouveaux clients des environs et même de Lyon, Nice, Roanne ou Paris. Un bon moyen aussi d’élargir l’horizon de ses habitués, souvent polarisés sur deux ou trois marques. « Le format est bien plus vivant qu’une simple photo et il ne coûte pas plus cher », se félicite Claire Chopard, qui compte poursuivre la cadence à raison de deux vidéos par semaine.
Consommateurs prescripteurs
Rien de tel que des clients conquis pour promouvoir une enseigne. Surtout sur internet, où les commerçants ne maîtrisent pas forcément l’art de faire leur publicité. C’est pourquoi la plateforme Ma ville mon shopping, fondée en 2017 et devenue depuis filiale de La Poste, a créé une communauté de « cityzens » : des consommateurs prescripteurs encouragés à y partager leurs trouvailles, jolies photos et témoignages éloquents à l’appui. À chaque fois qu’ils déclenchent un achat, ils sont récompensés sous forme de bons cadeaux financés non plus par les commerçants – exsangues – mais par les territoires. « Le système fonctionne comme une carte de fidélité inversée », détaille Thierry Chardy, à la tête de la plateforme. « Vous recevez ce bonus si vous aidez le commerçant à vendre et non si vous achetez directement dans sa boutique. »
Artisans à loyer modéré
« L’avenir des centres-villes, c’est de proposer de la différence par rapport aux centres commerciaux périurbains », professe Martine Varischetti à la mairie d’Issoire. La petite ville du Puy-de-Dôme a décidé de revitaliser le quartier touristique de son abbatiale en accordant des loyers préférentiels aux artisans, à condition qu’ils y établissent leurs ateliers. Derrière l’enseigne Les 4 marteaux se cachent un facteur d’instruments à vent, une tapissière et un fabricant de terrariums. Pendant deux ans, leur loyer est financé à hauteur de 75 % par la municipalité, puis à 50 % la troisième année. Une sellière s’est implantée à proximité et une potière bénéficie d’une boutique test non loin de là. Quand la ville rachète des bâtiments pour les réhabiliter, elle y installe au rez-de-chaussée des commerces dynamiques telle que cette enseigne bio dont la surface de 70 m2 est louée 300 € par mois, quand le prix du marché est trois fois supérieur. Résultat ? « La vacance des pas-de-porte est tombée de 14 % à 7 % en trois ans », se félicite l’adjointe au maire. Même politique à Pézenas, dans l’Hérault, cité labellisée ville de métiers d’art. Près de 40 artisans louent leurs échoppes, propriétés de la ville, dans le centre historique, à des prix avantageux. À une condition : être ouvert toute l’année. Pour assurer l’animation.
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