- Je vous salue salope : la misogynie au temps du numérique, de Guylaine Maroist et Lea Clermont-Dion, sort au cinéma aujourd’hui et donne la parole à quatre femmes cyberharcelées.
- Comme signalé dans le documentaire, une étude de l’ONU parue en 2015 montre que les femmes sont majoritairement victimes des phénomènes de harcèlement et de violence sur le Net.
- « Raconter l’histoire d’une seule femme n’aurait peut-être pas convaincu autant de l’ampleur de la misogynie en ligne et de son caractère universel. C’est pour cela qu’on a choisi quatre personnes aux profils différents », a confié la coréalisatrice Guylaine Maroist à 20 Minutes.
Les mots sont d’une rare violence. Insultes, menaces de mort ou de viol : Marion Séclin, Laura Boldrini, Kiah Morris et Laurence Gratton sont victimes de cyberharcèlement. Le documentaire Je vous salue salope : la misogynie au temps du numérique leur donne la parole, quand leurs harceleurs essayent justement de les en priver. Chacune à leur tour, elles racontent leur histoire, comment elles ne sont pas prises au sérieux quand elles dénoncent ce harcèlement numérique, et comment progressivement la peur s’installe. A Paris, la comédienne Marion Séclin dénonce le harcèlement de rue dans une vidéo et dit avoir arrêté de compter à 40.000 messages d’insultes, menaces de mort ou de viol. A Montréal, Laurence Gratton est aujourd’hui enseignante après avoir été harcelée durant ses études par un collègue de classe qui n’a jamais été inquiété. En Italie, suite à son investiture à la présidence de la chambre des députés en 2013, Laura Boldrini reçoit des menaces de mort et de viols par milliers. Des insultes parfois envoyées par des hommes politiques qui siègent au Parlement avec elle. Enfin, dans le Vermont, aux Etats-Unis, Kiah Morris doit faire face à un flot de messages haineux à caractère sexiste et raciste alors qu’elle démarre sa campagne de réélection au poste de représentante de district en 2016. Le documentaire inclut également le témoignage du père de Rehtaeh Parsons, une adolescente violée et cyberharcelée qui a fini par se suicider…
« Le danger pour les femmes est qu’on ne les croit pas quand des crimes sont commis contre elles, estime Kiah Morris. On ne nous croit pas quand il est question de viol, de violence conjugale, d’agression et de harcèlement sexuel ou de discrimination. Ce qui est dangereux, c’est qu’on a pris l’habitude de ne pas écouter les femmes quand on sait qu’il y a un problème ». Ainsi, d’après une étude de l’ONU parue en 2015, c’est la gent féminine qui est majoritairement victime des phénomènes de harcèlement et de violence sur le Net. « C’est une façon de remettre à leur place des femmes de plus en plus influentes », estime Donna Zuckerberg (la sœur de Mark, le fondateur de Facebook), autrice et spécialiste de la misogynie en ligne. Avant d’aborder cette thématique, Guylaine Maroist (journaliste, réalisatrice et productrice québécoise) a réalisé, entre autres, des documentaires sur le nucléaire qui ont fait bouger les choses au Canada. Avec Lea Clermont-Dion, elles espèrent en faire autant avec ce film.
Comment est née l’idée de Je vous salue salope : la misogynie au temps du numérique ?
Je fais des documentaires depuis vingt ans. Lea Clermont-Dion est une jeune autrice féministe très connue au Québec. Elle a reçu des menaces de mort à la suite de la parution d’un livre en 2015. Elle est venue me voir car elle aimait mon travail et elle savait qu’on pouvait faire un film et essayer en même temps de trouver les outils pour créer un changement social. On a consacré trois ans à la recherche. On a interviewé une centaine d’experts et beaucoup de victimes. On s’est rendu compte que raconter l’histoire d’une seule femme n’aurait peut-être pas convaincu autant de l’ampleur de la misogynie en ligne et de son caractère universel. C’est pour cela qu’on a choisi quatre femmes aux profils différents et qui, pourtant, vivent toutes la même chose.
Chaque exposition médiatique réactive le phénomène de harcèlement. Était-ce facile de les convaincre de témoigner ?
Ce n’est pas simple de suivre à la caméra quelqu’un qui vit une situation traumatisante comme ces femmes le vivent. Le réflexe est de vouloir s’isoler, de ne pas en parler. Elles ont peur des représailles des harceleurs. C’est pour cela qu’on est d’abord allées les rencontrer. Puis on a commencé à tourner en 2018 et on a fini en 2020.
Certains messages haineux reçus par ces femmes sont retranscrits à l’écran. Est-ce nécessaire pour la prise de conscience ?
Oui. Chacun de ces messages est réel. Et il y a beaucoup de choses qu’on n’a pas mises car c’était trop choquant. On banalise tellement la violence qu’il fallait montrer de quoi il s’agit. Parallèlement, on voulait mettre en évidence qu’il y a une idéologie misogyne qui fait son chemin, à travers des vidéos YouTube, des influenceurs, des leaders d’opinion masculinistes qui sont de plus en plus populaires sur toutes les plateformes. Et au moment de la pandémie, on a vu qu’il y avait une croissance.
Volontairement, vous ne donnez pas la parole aux harceleurs…
On a compris que leur but était d’enlever la parole aux femmes. La liberté d’expression des femmes est menacée par cette violence numérique. On s’est dit que le film devait être une prise de conscience de ce qu’elles vivent. C’est comme ça qu’est venue l’idée de les suivre dans leur quotidien.
Le plus choquant est de voir à quel point ces femmes ne sont pas prises au sérieux quand elles demandent de l’aide…
On le sait déjà pour les cas de viol, ou tous les cas de violence à caractère sexiste et sexuel. Puis il y a cette croyance que puisque ça se passe en ligne, ce n’est pas réel. Malheureusement, les dommages peuvent être encore plus graves à travers les plateformes numériques parce que cela dure dans le temps et que les femmes sont plongées dans un état de terreur. Ce qui fait qu’elles se retirent de l’espace public. Aujourd’hui, des jeunes femmes ne veulent pas aller en politique ou avoir un rôle public car elles ont peur d’être cyberharcelées.
Le nerf de la guerre, est-ce une nouvelle fois l’argent ?
Il y a plusieurs fronts mais pour les plateformes et les réseaux sociaux, ce n’est pas dans leur intérêt d’enlever certains contenus. Le plus important dans leur modèle d’affaires, c’est d’avoir le plus d’argent et la haine génère des clics, la haine est partagée. Voilà pourquoi une idéologie misogyne se propage et fait des adeptes. Les plateformes et les réseaux sociaux sont responsables et, aux Etats-Unis, c’est à eux que l’on demande de régler le problème. Ce n’est pas comme ça que cela doit fonctionner dans une démocratie. Nous devons avoir des lois et les faire respecter.
Vous avez commencé à travailler sur ce sujet en 2015. Comment les choses ont-elles évolué ?
On a observé un phénomène grandir, et grandir encore plus avec la pandémie. L’aspect positif, c’est qu’il y a beaucoup d’intérêt pour le film, de partout. Je pense que les gens veulent trouver une solution. Je vois qu’en Europe, une loi vient d’être votée (le Digital Services Act qui impose une régulation aux réseaux sociaux). Encore faut-il appliquer ces lois et sensibiliser la population.
Que deviennent ces femmes aujourd’hui ?
Marion s’est retirée un certain temps des plateformes parce qu’elle était bouleversée par ce qu’elle avait vécu. Aujourd’hui, elle crée toujours des contenus et poursuit sa carrière de comédienne. Kiah Morris est à la tête d’une organisation de sensibilisation contre les violences sexistes et sexuelles dans l’Etat du Vermont. Laura Boldrini continue de lutter. Elle fait preuve d’un courage exceptionnel. Quant à Laurence Gratton, elle a été de nouveau menacée de mort à la sortie du film (en septembre 2022 au Québec). On est allée avec elle porter plainte à la police. Encore une fois, on lui a dit qu’on ne pouvait rien faire, ce qui est faux. On l’a accompagnée dans ses démarches, puis un article est paru dans un journal important de Montréal, donc la police s’est ravisée et maintenant s’occupe de son cas.
Et après ?
Notre but est de continuer à montrer ce documentaire un peu partout, d’aider les gens à faire des campagnes. Au Canada, on est allés à l’assemblée nationale pour demander une formation des personnes travaillant dans tout l’appareil judiciaire, et tout particulièrement les policiers et policières qui reçoivent les plaintes. On veut aider du mieux qu’on peut.
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