Interrogé sur le risque d’être cantonné à son rôle de beau vampire ténébreux dans Twilight, l’acteur anglais Robert Pattinson a eu cette réponse dans le Guardian (en anglais) : « Je ne voudrais pas finir comme le gars qui a joué Luke Skywalker. Comment s’appelle-t-il déjà ? » C’est Mark Hamill, le nom que cherchait Robert Pattinson. Un acteur qui a endossé à 25 ans la tunique de l’apprenti-fermier le plus célèbre de la galaxie pour ne plus réussir à s’en débarrasser ensuite. Le syndrome de l’acteur cannibalisé par son plus grand rôle porte même son nom à Hollywood. Pourtant, Luke, qui revient sur les écrans mercredi 18 décembre dans le neuvième volet de la saga, L’Ascension de Skywalker, a-t-il tué la carrière de Mark ? Ça se discute.
Un boulet nommé George Lucas
Au milieu des années 1970, quand il parvient enfin à faire accepter son histoire par les producteurs, George Lucas a une idée précise du casting en tête. Pour les trois rôles principaux, surtout pas de têtes connues. Pour le rôle du héros de cette quête initiatique, l’obscur Mark Hamill, qui a fait quelques apparitions dans des séries télé, tire le gros lot. Le rôle de la princesse échoit à Carrie Fisher, qui n’avait fait, jusque-là, qu’une minuscule apparition dans une comédie musicale. Harrison Ford, qui incarne le contrebandier Han Solo, est déjà un peu plus connu des cinéphiles, notamment pour son rôle dans American Graffiti, avec derrière la caméra un certain George Lucas.
Harrison Ford affiche une dizaine d’années de plus que ses camarades, et ce surplus de bouteille lui permet d’en imposer au réalisateur, notamment au niveau des dialogues, qui sonnent parfois atrocement niais. C’est lui, par exemple, qui convainc Lucas de faire répondre à Han Solo « je sais » quand Leia lui déclare sa flamme. Mais Mark Hamill n’a pas la même assurance.
« Je voulais même retirer les films de mon CV »
L’acteur tente pourtant de se débarrasser de ce rôle avec énergie en s’exilant à New York pour tenter sa chance sur les planches, dès 1979. Ce qui était sur le papier une bonne idée pour relancer sa carrière se solde par un échec. Pour sa première à Broadway dans l’adaptation d’Elephant Man, les producteurs ne trouvent rien de mieux que de placarder partout des affiches 4×3 où l’on voit Mark Hamill en costume de Luke Skywalker, avec le slogan : « La force continue… à Broadway ». En raison de cette promotion calamiteuse, le spectacle sera arrêté trois semaines après son lancement. « Au lieu de constituer une percée dans ma carrière, Star Wars m’a conduit à galérer encore plus », confie Mark Hamill dans les années 1980 à un publicitaire.
Et quand il rebondit en incarnant avec succès Mozart sur les planches dans Amadeus en 1983, il encaisse une nouvelle rebuffade en voulant jouer dans le film du même nom. Le réalisateur Milos Forman le fait poireauter dans une suite d’hôtel alors qu’il fait passer les auditions pour le rôle de Constance, la femme de Mozart. Après sept heures d’attente, Mark Hamill ose interrompre le réalisateur : « Milos, pourquoi ne m’auditionnez-vous pas pour jouer Mozart ? Parce que je l’ai déjà incarné à Broadway ? » La réponse claque comme un coup de fouet : « Mark, personne ne va croire que Luke Skywalker est Mozart ! » Si le comédien avait pu briser son image en incarnant le compositeur dans Amadeus, qui fera une razzia aux Oscars, ou s’il était apparu dans Midnight Express, autre film acclamé par la critique où il rate le premier rôle d’un cheveu, nul doute que sa carrière aurait été différente.
« Il y a une époque de ma vie où je grognais quand on me parlait de Star Wars. Je voulais même retirer les films de mon CV et les remplacer par la phrase ‘Connu pour avoir joué dans une série de science-fiction à succès' », raconte avec bonhomie Mark Hamill à Paris Match. Le temps a effacé la rancœur. S’il a vite reconnu qu’Harrison Ford évoluait dans une autre catégorie – « Je ne me suis jamais pris pour le rôle principal de Star Wars, je n’étais que le faire-valoir un peu gamin » – il a souffert de la comparaison avec la carrière brillantissime de son aîné.
Moins sur le devant de la scène, mais plus heureux
« Pourquoi je ne suis pas Harrison Ford ? Je n’en sais rien ! » a-t-il hurlé à un journaliste du San Francisco Gate (en anglais) en 1995. La blessure est-elle refermée ? Le réalisateur Seth MacFarlane raconte avoir eu droit à la visite d’un Mark Hamill furibard dans ses bureaux quand il a fait dire à un de ses personnages de la série animée Family Guy : « Je suis Han Solo, capitaine du Faucon Millenium, le seul acteur dont la carrière n’a pas été détruite par Star Wars.«
Détruite, vraiment ? Outre-Atlantique, Mark Hamill s’est refait une célébrité en empruntant des chemins de traverse. Carrie Fisher, qui a souffert profondément d’être résumée à la princesse Leia, au point d’avoir envoyé une lettre à son personnage, dans laquelle elle qualifie le rôle de « prison », était devenue une script-doctor réputée. Pour Mark Hamill, le salut passe par le jeu vidéo et surtout par le doublage. La voix du Joker dans les nombreux dessins animés de Batman, c’est lui. « C’est le rêve de tout acteur un peu flemmard, ironise Hamill, toujours dans Paris Match. Vous n’avez pas à apprendre vos répliques, vous pouvez venir travailler habillé n’importe comment ! »
Contrairement à ses deux comparses – Harrison Ford n’aura de cesse de se distancier de la saga, qualifiant même son personnage d’« Ham Yoyo » sur le plateau de David Letterman – Mark Hamill a toujours considéré avec tendresse les geeks qui faisaient la queue des heures durant pour obtenir son autographe au Comic Con, la grand-messe annuelle des comics à San Diego (Californie, Etats-Unis). « Quand j’ai commencé à y aller dans les années 1970, il y avait 3 000 personnes à tout casser, se remémore avec tendresse l’acteur au Times (en anglais). Aujourd’hui, on en compte 150 000 au bas mot, et il faut que je me faufile par une porte dérobée avec un masque de Hulk sur le visage pour pouvoir m’y promener. J’adore chiner des comics, regarder les gens les humer… »
« Il touche à l’éternité »
Héros éternel des geeks, Mark Hamill serait sans doute devenu un souvenir poussiéreux pour le commun des mortels sans la résurrection de la saga, et le retour au premier plan de Luke Skywalker. Barbu, vieilli, crépusculaire, il n’a qu’une seule réplique dans le premier volet de la nouvelle trilogie, sorti en 2015. Mais tous les spectateurs se souviennent du frisson qui accompagnait son apparition, en robe de bure, devant une falaise.
« Sa présence est devenue magnétique », commente Nico Prat. Devenu cool sur le tard, Mark Hamill endosse le rôle du patriarche pour les héros et les fans de la nouvelle génération. Dernier survivant de l’équipe initiale depuis que George Lucas a vendu ses parts à Disney, il apparaît légitime pour critiquer l’évolution de son personnage dans l’épisode VIII. Et au fond, patriarche, c’est toujours mieux que has been. « Le fait qu’il ne soit pas devenu Bruce Willis ou Tom Hanks pourrait lui être reproché comme un manque de succès, abonde William Salyers, qui a participé avec lui au doublage du dessin animé Regular Show. Mais quel acteur ne se sentirait pas extrêmement chanceux d’avoir eu la carrière qu’il a accomplie ? »
« Un rôle comme celui-ci, l’immense majorité des comédiens ne peut qu’en rêver. Il touche à l’éternité grâce à Luke Skywalker, et même si sa carrière en a souffert, il n’a jamais arrêté de travailler, relativise à son tour Nico Prat. On ne devrait pas parler du syndrome Mark Hamill, mais du syndrome Hayden Christensen, l’acteur qui incarne Dark Vador dans la ‘prélogie’, celle que la plupart des fans n’aiment pas. Lui, sa carrière a vraiment coulé. Il a ensuite joué dans quelques films, qui n’ont pas marché, puis monté sa boîte de production, qui n’a rien produit de bien marquant. La dernière fois que j’ai lu de ses nouvelles, il prenait du recul dans une ferme. Peut-être y est-il toujours… »
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