Procès d’Harvey Weinstein : que sont devenues les dizaines d’accusations pour viols et agressions sexuelles contre le producteur ?

Où en sont les procédures lancées contre Harvey Weinstein ? L’ancien producteur de cinéma a été accusé publiquement par une centaine de femmes de harcèlement sexuel, d’agressions sexuelles et de viols. De nombreuses actrices et anciennes collaboratrices, des mannequins et des anonymes, ont mis en cause le magnat d’Hollywood dans les médias et sur les réseaux sociaux depuis plus de deux ans, mais n’ont pas toutes porté l’affaire en justice. Les plus connues d’entre elles, Angelina Jolie, Gwyneth Paltrow ou encore Salma Hayek, n’ont, à ce jour, pas entrepris de démarches judiciaires.

Environ 60 victimes déclarées ont en revanche entamé des procédures, au pénal ou au civil. Seules les plaintes de deux femmes ont pour le moment abouti à un procès criminel, à New York. Il s’est ouvert lundi 6 janvier et doit durer environ deux mois. Plusieurs plaintes sont encore en cours d’instruction, aux Etats-Unis et ailleurs. D’autres ont été écartées. Franceinfo fait le point sur les procédures judiciaires en cours, abandonnées ou empêchées par des accords de confidentialité.

Les procédures en cours au pénal

• Un procès pour viol et agressions sexuelles à New York. Le premier procès pénal du producteur s’est ouvert le 6 janvier, devant la Cour suprême de New York. Harvey Weinstein est jugé pour viol et agressions sexuelles commis sur deux femmes en 2006 et 2013. Dans ce premier procès, il risque la prison à vie. L’identité de la victime de viol a été gardée anonyme jusqu’ici. On sait toutefois que les faits dénoncés remontent au 18 mars 2013, dans un hôtel à Manhattan, selon le procureur. La seconde plaignante est Mimi Haleyi, ex-assistante de production d’Harvey Weinstein. Elle accuse le producteur de lui avoir imposé un cunnilingus, en 2006. 

Un juge new-yorkais a par ailleurs autorisé l’actrice Annabella Sciorra à témoigner au procès. Elle accuse le producteur de l’avoir violée en 1993, des faits aujourd’hui prescrits. Trois autres femmes devraient aussi être appelées comme témoins. Il s’agit pour les procureurs d’essayer d’alourdir de la notion de « prédation » les charges à l’encontre du producteur, en accumulant les témoignages, y compris pour des faits prescrits.

Mimi Haleyi à New York, le 26 octobre 2017. (EVAN AGOSTINI/AP/SIPA)

Une assignation pour agression sexuelle à New York. L’ancienne mannequin Kaja Sokola a assigné l’ex-producteur devant la justice civile pour agression sexuelle sur mineure, le 19 décembre 2019. Elle raconte avoir été présentée à Harvey Weinstein en 2002, alors qu’elle avait 16 ans et voulait devenir actrice. Elle explique dans sa déposition que le producteur l’a invitée à déjeuner en lui faisant croire qu’il voulait l’aider. Alors qu’elle s’attendait à un déjeuner de travail au restaurant, Harvey Weinstein aurait emmené l’adolescente dans son appartement new-yorkais. Elle raconte avoir été « terrifiée et abusée sexuellement ».

C’est une loi entrée en vigueur en août 2019 dans l’Etat de New York, qui a permis à Kaja Sokola, 33 ans, d’engager des poursuites, en allongeant les délais de prescription pour les agressions sexuelles sur mineurs. Les victimes déclarées ont désormais jusqu’à 55 ans pour porter plainte au civil.

• Une plainte pour trafic sexuel à New York. Un juge fédéral de New York a déclaré recevable, en août 2018, une plainte pour « trafic sexuel », déposée par l’actrice britannique Kadian Noble. Elle accuse Harvey Weinstein de l’avoir emmenée dans une chambre d’hôtel à Cannes, en 2014, prétextant une audition, puis de l’avoir forcée à le masturber. Pour les avocats de Kadian Noble, cette situation est comparable à de la prostitution et du trafic sexuel. Les avocats du producteur tentent de faire rejeter la plainte, objectant que les faits ne constituent pas un « acte sexuel commercial ». Le juge estime toutefois que « pour une actrice en herbe, rencontrer un producteur de films de renommée mondiale a de la valeur en soi ». Bien que l’affaire ne soit « pas un acte de trafic sexuel typique », le juge considère que les allégations établissent de manière plausible « que Weinstein a violé la loi fédérale sur la protection des victimes de la traite ».

• Une inculpation pour viol et agression sexuelle à Los Angeles. Alors que son procès s’ouvrait sur la côte Est, Harvey Weinstein était inculpé sur la côte Ouest. La procureure du comté de Los Angeles, Jackie Lacey, a mis en examen le producteur pour deux affaires. Il est accusé d’être entré de force dans la chambre d’hôtel d’une femme pour la violer, le 18 février 2013, et d’avoir agressé une autre le lendemain, selon un communiqué de la procureure. L’identité des deux victimes déclarées n’a pas été précisée. En décembre 2019, la magistrate avait fait savoir qu’elle examinait au total huit plaintes pour agressions sexuelles et viols, déposées auprès de la police de Los Angeles et de Beverly Hills.

• Seize plaintes pour abus sexuels à Londres. Au Royaume-Uni, la police de Londres enquête sur seize plaintes émanant de 11 femmes, pour des faits remontant à la fin des années 1980, selon Scotland Yard. Ces enquêtes, connues sous le nom d »opération Kaguyak », pourraient déboucher sur des mises en examen et des procès.

Les procédures abandonnées au pénal

• Une plainte pour viol abandonnée pour « erreur ». Une troisième femme aurait pu faire partie des plaignantes au procès new-yorkais d’Harvey Weinstein. L’actrice Lucia Evans accuse le producteur de l’avoir forcée à lui faire une fellation en 2004, mais l’ancien avocat d’Harvey Weinstein, Benjamin Brafman, trouve une faille : il démontre qu’un détective a omis de présenter aux procureurs un témoignage contradictoire. Ce témoignage, c’est celui d’une amie de Lucia Evans, qui raconte avoir entendu l’actrice déclarer qu’elle avait accepté la fellation pour obtenir un rôle. En octobre 2018, les procureurs renoncent à inclure sa plainte au procès.

Une plainte pour agression abandonnée faute de « preuves ». En mars 2015, Ambra Battilana Gutierrez, une mannequin de 22 ans, accuse le producteur d’agression sexuelle. Elle fournit un enregistrement à la police de New York, dans lequel on entend Harvey Weinstein dire : « Viens dans ma chambre, tu ne vas pas m’humilier ici, je viens tout le temps », puis « je te promets que je ne le referai plus ». Le procureur de New York, Cyrus Vance Jr., ne fait pas arrêter le producteur. Une source policière citée par le New Yorker* assure pourtant : « Nous avions des preuves, plus qu’assez », pour le poursuivre.

Ambra Battilana Gutierrez et le journaliste Ronan Farrow à New York, le 13 avril 2018. (FRANK FRANKLIN II/AP/SIPA / AP)

Pourquoi une telle décision ? Le New Yorker* évoque des dons de 10 000 dollars de la part d’un des avocats d’Harvey Weinstein pour la campagne électorale du procureur Cyrus Vance Jr. (aux Etats-Unis, les procureurs sont élus). Une accusation rejetée par le principal intéressé, qui affirme que l’enregistrement ne constituait pas une preuve suffisante.

Les procédures en cours au civil 

Un accord de principe à 25 millions de dollars. Plus de trente femmes ont intenté un procès au civil contre le producteur pour harcèlement et/ou agressions sexuelles. Aux Etats-Unis, un procès au civil est très similaire à un procès pénal, mais il n’y a pas de procureur. Un juge veille au bon déroulement de la procédure et c’est un jury qui se prononce. Il ne prononce pas de peine, mais décide si une plaignante a subi ou non un préjudice et si elle peut obtenir une réparation.

Harvey Weinstein et son studio sont parvenus, le 11 décembre 2019, à un accord de principe d’un montant total de 25 millions de dollars (22,4 millions d’euros) avec plusieurs dizaines de femmes, rapportent le Wall Street Journal* et le New York Times*. Un tel accord financier, qui doit encore être validé par un juge, mettrait fin à la quasi-totalité des procédures engagées au civil contre le producteur. Selon le New York Times, qui cite plusieurs avocats, ces 25 millions s’inscrivent dans un règlement global de 47 millions de dollars visant à mettre également fin aux dettes et contentieux de la Weinstein Company. Le producteur mis en cause n’aurait pas à débourser le moindre dollar, l’ensemble étant pris en charge par les compagnies d’assurance. Cette proposition est contestée par plusieurs femmes, dont la productrice Alexandra Canosa et l’actrice Wedil David, souligne le New York Times*. 

L’actrice Wedil David, lors de la projection de « Final Destination 5 », le 10 août 2011 à Los Angeles, en Californie (Etats-Unis).  (FRAZER HARRISON / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

Zoe Brock, 45 ans, ancienne mannequin, s’est quant à elle dite « désespérée et vaincue » à la lecture de l’accord. D’autres ont accepté la proposition, parfois à regret. « Je n’aime pas ça, mais je ne sais pas comment faire autrement », a confié l’actrice Katherine Kendall. « Même un accord imparfait peut apporter un peu de justice et de soulagement », a commenté pour sa part l’actrice Caitlin Dulany.

Des accords empêchant toute action judiciaire 

Plusieurs accords financiers avec des actrices et mannequins accusant le producteur. Au fil des années, le magnat d’Hollywood a signé au moins huit accords avec des femmes l’accusant de harcèlement sexuel, d’agressions sexuelles ou de viol, a révélé le New York Times*, le 5 octobre 2017. A travers ces accords de confidentialité, Harvey Weinstein a acheté le silence et l’abandon de toute poursuite pour des montants allant de 80 000 à 150 000 dollars (entre 71 762 et 134 656 euros). Le compte bancaire personnel de son frère Bob Weinstein a permis de financer certains des accords, selon une enquête du New Yorker publiée en novembre 2017.

L’actrice américaine Rose McGowan, première femme à accuser publiquement Harvey Weinstein de violences sexuelles, lors de la marche des femmes de Détroit, dans le Michigan (Etats-Unis), le 27 octobre 2017.  (RENA LAVERTY / AFP)

Rose McGowan, première comédienne à avoir publiquement accusé Harvey Weinstein de violences sexuelles, fut l’une de ces signataires. Le 15 août 1997, un accord est passé entre l’actrice de Charmed et celui qu’elle accuse de viol dans une chambre d’hôtel, quelques mois plus tôt lors du festival du film de Sundance. Le document* promet le versement de 100 000 dollars (89 795 euros), si la jeune femme – alors âgée de 23 ans – s’engage à ne poursuivre aucune action en justice contre Harvey Weinstein. La comédienne souhaite porter plainte, mais son avocat lui conseille d’accepter la transaction.

Sa plainte abandonnée, Ambra Battilana Gutierrez a elle aussi signé un tel accord pour un montant d’un million de dollars (896 580 euros). Depuis 2015, elle n’était plus autorisée à évoquer publiquement son agression sexuelle. En mois d’octobre 2017, elle finalement a accepté de témoigner à visage découvert.

• D’anciennes salariées d’Harvey Weinstein concernées. D’après les enquêtes du New Yorker, les contrats de travail des salariés d’Harvey Weinstein, au sein de Miramax et de The Weinstein Company, contenaient tous des accords de confidentialité. Ces documents leur interdisaient de divulguer toute information « concernant les activités personnelles, sociales ou professionnelles » des fondateurs des deux sociétés, Harvey et Bob Weinstein. 

Plusieurs jeunes femmes ayant travaillé avec Harvey Weinstein, et l’accusant de violences sexuelles, ont été incitées par les avocats des deux parties à signer de nouveaux accords achetant leur silence. Ce fut le cas de Zelda Perkins et de son assistante, en 1998. A l’époque, Zelda Perkins, assistante d’Harvey Weinstein à Londres, subit un harcèlement sexuel « quasiment constant » de la part du producteur, dit-elle, vingt ans plus tard, au New Yorker. Sa propre assistante affirme avoir été agressée sexuellement. Toutes les deux ont démissionné et menacé Harvey Weinstein de poursuites. Face à l’influence immense de l’homme, leurs avocats les ont incitées à passer un accord financier. Au total, 250 000 livres (293 100 euros) leur ont été versées pour enterrer leurs accusations. 

• La fin de tels accords avec la faillite de The Weinstein Company. La faillite, en mars 2018, de la société d’Harvey Weinstein, The Weinstein Company (rachetée depuis), a entraîné l’annulation de ces accords et ouvert la voie à d’éventuelles nouvelles poursuites. Rose McGowan a finalement attaqué en justice Harvey Weinstein, le 24 octobre 2018, ainsi que ses anciens avocats et une société de renseignements privée. Elle les accuse d’avoir mené « des efforts diaboliques et illégaux », afin de « réduire au silence les victimes d’agression sexuelle »

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