"Les recettes de Monsieur X" : la première émission culinaire !

Pour séduire la ménagère rivée à son foyer et lui donner des idées aux fourneaux, soixante ans avant “Top Chef”, la Radiodiffusion Télévision française mitonna une émission sur la cuisine qui ne fit pas frémir son auditoire…

Monsieur X. C’est sous ce pseudonyme anonyme et incongru que d’octobre 1953 à novembre 1954, le comédien Georges Adet – que l’on reverra dans Les Cinq Dernières Minutes – est chaque semaine aux manettes de la première émission culinaire de la petite lucarne durant une vingtaine de minutes.

En 1952, Jean d’Arcy, tout juste nommé directeur des programmes de la Radiodiffusion Télévision française (RTF), décide de favoriser la création d’émissions spécialement destinées aux ménagères et contribue à l’édification d’un modèle national de télévision de service public.

Aussi vient-il de donner son feu vert à Maïté Célérier de Sanois, journaliste de mode à Marie Claire depuis la fin des années 1930, pour son programme Magazine féminin qui sera diffusé jusqu’en 1970 – elle fournira sur la même période des sujets sur la mode au journal télévisé.

En 1953, l’un des collaborateurs de Jean d’Arcy lui parle d’une émission qui embrasse un beau succès en Allemagne : un acteur célèbre mitonne, devant un public et sous l’œil des caméras, un plat dont il détaille la recette dans ses moindres détails.

Toque, toque, y a quelqu’un ?

Jean d’Arcy décide de reprendre ce principe, en l’adaptant aux moyens particulièrement modestes dont l’unique chaîne en noir et blanc, dispose alors. À la suite d’un casting, le choix se porte sur Georges Adet. Il a une soixantaine d’années et poursuit une carrière de comédien qui a débuté en 1920 au théâtre dans des pièces classiques mises en scène par Firmin Gémier, au cinéma dès les années 30, puis à la télévision au seuil des années 60.

Ce ne sont toutefois pas ses talents d’acteur qui lui valent d’être retenu : il a démontré, lors de l’audition, qu’il était un cuisinier amateur, certes, mais incapable de maîtriser un sujet dont le vocabulaire lui était familier.

Dans le décor d’une cuisine parfaitement équipée, vêtu d’un costume sous son tablier, Georges Adet explique les recettes d’un ton lent et professoral, voire ennuyeux comme un bonnet de nuit. Les plans sont statiques.

Il ne se contente pas de mitonner un plat. Jouant le rôle d’un historien de la gastronomie, il se lance dans des explications assommantes sur l’origine des ingrédients qu’il utilise, avec un vocabulaire rasant et une armée de termes souvent abscons (abricoter, araser, barder, beurre manié, blondir, bouler, cardinaliser…), au risque de faire suer la ménagère.

Des pétitions pour sa suppression

La mayonnaise ne prend pas pour cette ragougnasse. Il y a à peine cent mille téléviseurs en France, ce qui n’empêche pas leurs propriétaires d’être nombreux à se plaindre. Des pétitions parviennent à la direction pour exiger la suppression d’une émission dont ils ignorent jusqu’à l’identité du présentateur. Il faut dire qu’à l’exception du titre sur fond noir, au début et à la fin, aucun nom ne figure en effet au générique.

Une opération de la dernière chance est tentée avec un changement d’horaire. Diffusée à l’origine à 19 heures 30, elle est déplacée à 18 heures 30, donc moins exposée à la vindicte populaire. Le résultat ne se révèle guère plus encourageant.

À toute faim utile

En novembre 1954, une grève des comédiens touche les tournages de cinéma, mais aussi la télévision. La direction saisit cette opportunité pour se séparer de Georges Adet. La première chaîne en remet néanmoins une louche en confiant cette émission culinaire à Raymond Oliver, chef à l’accent rocailleux du restaurant Le Grand Véfour au Palais-Royal à Paris, qui vient d’obtenir sa troisième étoile au Michelin. Ce sera Art et magie de la cuisine qu’il animera durant quatorze ans, aux côtés de Catherine Langeais, dans le rôle de la maîtresse de la maison un tantinet nunuche et faire-valoir qui pose des questions sur la meilleure façon d’accommoder le bœuf mironton.

Cette fois-ci, la mayonnaise monte bien et l’audience frémit. Si le duo est congédié en 1967, la formule demeure. Le célèbre chef est alors, sans le savoir, à l’origine d’un type de programme qui perdurera jusqu’à saturer le petit écran en mettant en scène deux personnes devant le plan de travail d’une cuisine. Il s’agit pour un chef ou un expert de présenter des recettes devant l’œil de la caméra, la seconde personne ayant le rôle du quidam et d’aide-cuisinier, ce qui permet à la ménagère de s’identifier.

Si l’époque actuelle est à la perte des repères et à l’individualisme, la cuisine semble néanmoins, et plus que jamais, s’affirmer comme valeur refuge. Parce que la cuisine est, depuis toujours, le goût de la vie.

Et aussi…

Les petits plats dans l’écran

Depuis les années 50, les téléspectateurs sont friands d’émissions culinaires, jusqu’à l’indigestion aujourd’hui. Sur les chaînes historiques et la TNT, ces programmes se sont diversifiés (jeux, Robuchon. téléréalité, concours, talk-shows, documentaires…) et s’adressent à un public jeune, et non plus seulement aux retraités ou femmes au foyer.

Dans les années 80, la gastronomie « terroir » fait son apparition avec La Cuisine des mousquetaires présentée par la pétulante cheffe landaise Maïté, avec son exubérance shootée au gras e canard, et son assistante Micheline Banzet.

©Frederic REGLAIN

L’émission, où les lamproies sont assommées sous les yeux des téléspectateurs, restera à l’écran de 1983 à 1997. À partir de 1996 et jusque dans les années 2000, Pâtissier. Joël Robuchon décide de désacraliser la haute cuisine et de transmettre son savoir-faire dans ses émissions Cuisinez comme un grand chef, puis Bon appétit bien sûr.

©LEROUX PHILIPPE/SIPA

Depuis le milieu des années 2000, prime est faite aux adaptations anglo-saxonnes, sous forme de concours et de téléréalité. Le premier programme du genre, Oui Chef, un docuréalité présenté par le jeune et alors inconnu Cyril Lignac, apparaît en 2005 et ouvre la voie à une télévision du spectacle avec mise en scène, « personnages », narration, suspense, compétition, rires et larmes pour allécher le téléspectateur et le tenir en haleine, semaine après semaine – Le Meilleur Pâtissier et Top Chef sont parmi les plus notoires.

©RACHID BELLAK / BESTIMAGE

Dominique PARRAVANO

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