Les documentaires, des pépites très convoitées mais sous-financées

Les documentaires ont beau avoir le vent en poupe sur les chaînes de télévision comme sur les plateformes, ils souffrent d’un « sous-financement systémique », dénoncent réalisateurs et producteurs, dont les tournages sont de plus entravés par la pandémie.

Drôle d’ambiance pour le monde du documentaire réuni cette semaine –surtout via internet– pour le Festival international documentaire de Biarritz (le Fipadoc), qui a maintenu les rencontres entre professionnels mais repoussé au printemps son ouverture au grand public, à cause du Covid.

Tous racontent une année pleine d’embûches pour arriver à maintenir les tournages entre confinements, fermetures des frontières et mesures sanitaires.

« Jusqu’à présent, on a été assez épargné car les films que l’on reçoit sont encore pour beaucoup des films pré-Covid », dont certains « terminés à distance », relate Roch Bozino, patron de la société de distribution de documentaires Java Films, lors d’une table-ronde.

Mais « le pire est devant nous », anticipe-t-il, estimant « inenvisageable de filmer (des visages) masqués ».

« Masque ou pas masque? » et que faire « pour les films d’immersion, notamment dans les écoles, les prisons? », s’interroge Catherine Alvaresse, directrice des documentaires de France Télévisions.

Sans parler des tournages sans cesse repoussés à l’étranger comme en France, faute d’autorisations ou de reprise normale des activités, notamment pour les sujets liés au sport.

– Exclusivité mal rémunérée –

Conséquence pour les distributeurs et diffuseurs: « On se retrouve avec une pénurie de programmes » et « un problème d’investissement », l’argent investi en amont n’étant pas compensé par la vente de nouveaux programmes, relève Emmanuelle Jouanole, à la tête du distributeur Terranoa.

Les diffuseurs, chaînes de télévisions et services de vidéos en ligne, sont lancés depuis deux ans dans une recherche effrénée de contenus, pour remplir leurs grilles et plateformes. Une ruée qui bénéficie largement au documentaire qui a retrouvé une nouvelle jeunesse sur les plateformes.

« Il y a un vrai marché qui se développe », constate le distributeur Roch Bozino. « On a réalisé 37% de notre chiffre d’affaires en non-linéaire » (sur des plateformes, ndlr) contre 5% deux ans auparavant.

Mais la concurrence féroce rend « les diffuseurs de plus en plus possessifs » et ils demandent de « plus en plus de droits » d’exclusivité, souligne Patricia Boutinard-Rouelle, dirigeante de Nilaya Production. « Le paradoxe, c’est qu’ils financent de plus en plus mal ».

« Les producteurs font le constat qu’ils n’ont pas les moyens de répondre aux attentes légitimes des auteurs en matière de rémunération de leur travail », confirme Stéphane Le Bars, délégué général de l’Uspa (Union syndicale de la production audiovisuelle).

Et ce parce que « le documentaire de création est historiquement sous-financé » par les diffuseurs français, ces derniers apportant moins de la moitié du budget des films, dénonce-t-il s’appuyant sur un rapport de l’Uspa.

– L’argent des plateformes –

Une appréciation étayée dans une autre étude, cette fois menée du côté des auteurs, par l’Addoc (Association des cinéastes documentaristes) et la Scam (Société civile des auteurs multimedia), qui pointe la forte variation des rémunérations moyenne brutes des réalisateurs, souvent bien en deçà du travail déclaré.

Ces données témoignent « de la précarisation de notre secteur et d’une économie trop contrainte pour que notre travail puisse être rémunéré à notre juste valeur », résume la co-autrice du rapport, la réalisatrice Ana Feillou.

Pointés du doigt, les diffuseurs publics arguent de leurs budgets contraints.

« Notre engagement documentaire global ne change pas », répond la patronne du documentaire de France Télévisions, expliquant disposer d’une enveloppe constante pour financer un nombre croissant de documentaires.

D’où les espoirs placés par de nombreux professionnels du documentaire sur la future règlementation qui devrait obliger les plateformes à investir 20% à 25% du chiffre d’affaires réalisé en France dans la production d’oeuvres françaises ou européennes.

Une manne estimée de 150 à 200 millions d’euros tous les ans pour Netflix, selon la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot.

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