- Le documentaire Homothérapies, conversion forcée est disponible sur arte.tv jusqu’au 24 janvier 2020
- Il raconte les souffrances de nombreuses personnes homosexuelles, incitées ou forcées à se convertir à l’hétérosexualité, ou à pratiquer l’abstinence
- Les journalistes Jean-Loup Adénor et Timothée de Rauglaudre expliquent que ce travail les pousse aujourd’hui à prendre position sur le sujet
« Vous êtes jugés dignes d’être les martyrs de la chasteté » lâche un prêtre aux participants homosexuels venus l’écouter, dans le documentaire Homothérapies, conversion forcée,
visible jusqu’en janvier sur arte.tv. Deux ans d’enquête qui ont conduit Bernard Nicolas, Jean-Loup Adénor et Timothée de Rauglaudre aux États-Unis, en France, en Allemagne, en Pologne et en Suisse, pour infiltrer des groupes qui tentent de
convertir les homosexuels à l’hétérosexualité ou prônent l’abstinence.
A travers des témoignages poignants, le film montre les vies détruites de celles et ceux qui ont subi ces « thérapies ». Timothée de Rauglaudre et Jean-Loup Adénor, deux jeunes journalistes (23 et 28 ans) ont aussi publié sur le même sujet le livre Dieu est amour, [Infiltrés parmi ceux qui veulent «guérir» les homosexuels], aux éditions Flammarion, et ont répondu aux questions de 20 Minutes.
Que raconte Homothérapies, conversion forcée ?
Timothée de Rauglaudre : C’est une enquête qui dit la brutalité des thérapies de conversion.
Jean-Loup Adénor : Nous racontons comment ces groupes chrétiens nés aux Etats-Unis ont proliféré et se sont implantés en Europe.
Timothée de Rauglaudre : Nous n’aimons pas le terme de thérapie de conversion, créé dans un contexte où la médecine et la psychiatrie utilisaient des techniques de torture. Nous préférons parler de « thérapies de guérison » ou d’« homothérapies ».
Vous êtes aussi les auteurs d’un livre sur le même thème, Dieu est amour. Comment votre documentaire et le livre ont-ils été reçus par le public et par les médias ?
J-L. A. : La réception médiatique a montré une vraie méconnaissance du phénomène. Beaucoup de journalistes nous ont dit « mais ça n’existe pas en France ». C’est un des apports du documentaire. Sinon la réception a été très bonne, les journalistes utilisant souvent les termes « glaçant », « terrifiant, ou parlant de « pratiques moyenâgeuses ».
T de R. : Le public a été sidéré. Des groupes très conservateurs en revanche ont eu beaucoup de mauvaise foi. Un membre de l’association Courage, qui encourage l’abstinence, nous a attaqués sur les réseaux sociaux, sans avoir connaissance du contenu. Il a demandé un droit de regard avant la publication du livre.
J-L. A. : On a aussi eu des réactions de chrétiens qui attendaient un changement de position de l’Eglise. On a appris récemment qu’un monastère allait diffuser le documentaire ! C’est précieux pour nous. Et il y a eu la réaction des témoins du film, qui se sont rendu compte qu’ils n’étaient pas tout seuls. On a envie qu’ils prennent contact, qu’ils se parlent…
Un livre, un docu… C’est plus qu’une passion, c’est un vrai sacerdoce ! Pourquoi avoir choisi ce sujet ?
J-L. A. : J’avais vu le phénomène américain, et je me suis rendu compte que la question ne se posait pas du tout en France. On cherchait un terrain neuf. C’est le premier travail grand public et au long cours sur ce sujet.
T de R. : J’ai une foi chrétienne et je suis attiré par les garçons, mais ce ne sont pas les raisons principales de mon choix…
Votre documentaire se termine notamment sur les paroles d’une députée, Laurence Vanceunebrock-Mialon (LREM), qui veut dissoudre les groupes qui pratiquent les thérapies de conversion. C’était votre but d’avoir un impact politique ?
J-L. A. : Laurence Vanceunebrock-Mialon a évolué sur la question. Nous avons été auditionnés par l’Assemblée nationale récemment : nous ne sommes pas pour la dissolution des groupes, mais pour l’interdiction des thérapies de guérison. La dissolution est simplement administrative, elle n’empêche pas les personnes de se voir, et cela les victimise, ce qui est une de leurs armes fétiches pour faire parler d’eux. Un des groupes qui faisait ça à Malte a vu son nombre de followers exploser après avoir été pris pour cible. On pense qu’il faut interdire cette pratique et travailler avec les victimes, en leur ouvrant un moyen juridique pour qu’elles puissent porter plainte et obtenir réparation. Il faut que la République reconnaisse le statut de victimes des gens qui sont malheureux depuis dix ans à cause de cela.
T de R. : L’étape d’après c’est que les églises qui comptent parmi leurs rangs des thérapies de guérison de ce type prennent leurs responsabilités. Pour l’instant une seule a réagi, l’Eglise protestante unie de France. Il faudrait que la Conférence des évêques (constituée des cardinaux et évêques de France) ou le Conseil national des évangéliques de France (CNEF) leur emboîtent le pas, dans un sens ou dans un autre. S’ils soutiennent ces groupes, qu’ils l’assument.
Est-ce que vous vous définiriez comme des journalistes militants ?
J-L. A. : Je me suis rendu compte que j’avais complètement changé d’avis sur le sujet en deux ans. Je ne me considère pas du tout comme journaliste militant, mais disons que travailler longtemps sur un sujet te force à prendre position. Quand on commence un sujet, ce n’est pas bon d’aborder les choses de façon militante. Au départ, il faut un regard neuf. Je suis passé par des millions de sentiments différents dans cette enquête. Je pensais tomber sur des méchants cathos et des méchants évangélistes homophobes et je me suis rendu compte que la réalité était mille fois plus complexe. Il y a eu des moments où je vrillais, où j’étais d’accord avec certaines choses qui ont été dites par ces groupes en infiltration. Alors quand on me demande de parler de ça, je me rends bien compte que je ne suis plus uniquement dans mon rôle de journaliste. Donc non je ne suis pas militant, mais je ne suis pas juste un stylo ou une caméra, évidemment il se passe d’autres choses derrière. J’ai envie de continuer à me laisser transformer par les sujets que je fais.
T de R. : Peut-être que la différence entre journalisme militant et journalisme engagé c’est que le journaliste engagé est capable de remettre en cause ses préjugés au fil de l’enquête. Quand on commence une investigation, on peut avoir des présupposés, mais quand on est dans une démarche journalistique et qu’on veut raconter le réel, nos sensibilités de départ sont forcément chahutées, questionnées par l’enquête. On a pris conscience vraiment tardivement du fait que c’est important d’avoir un impact, le terme de « journalisme d’impact » nous porte. Le fait que le livre ait été utilisé pour les auditions, que l’église ait réagi, nous conforte dans le fait qu’on fait un travail utile.
Source: Lire L’Article Complet