- Face aux jurés Chimène Badi, Blanca Li et Ibrahim Maalouf, neuf finalistes concourent ce soir pour décrocher le premier trophée de « Prodiges Pop ».
- La cheffe d’orchestre Zahia Ziouani accompagne ces jeunes talents avec les 70 musiciens qui composent son orchestre symphonique Divertimento.
- Son parcours atypique et son engagement pour l’accès de tous à la musique classique ont déjà inspiré un film, Divertimento, et un documentaire sur Canal+.
Elle est le trait d’union musical entre « Prodiges » et sa version pop. En tant que cheffe d’orchestre, Zahia Ziouani accompagne les jeunes talents des deux concours de France 2 avec les soixante-dix musiciens de Divertimento, un ensemble symphonique qu’elle a créé en 1998.
Cette artiste passionnée, qui a grandi à Pantin (Seine-Saint-Denis) entourée de deux parents mélomanes, se distingue notamment par son engagement pour l’accès de tous à la culture, et plus particulièrement à la musique classique. Alors qu’elle et son orchestre ont livré leur premier album en mai dernier (Bacchanale : Saint-Saëns et la Méditerranée) et qu’un spectacle musico-sportif les mènera sur la scène de la Philharmonie de Paris le 14 octobre prochain, Zahia Ziouani revient son parcours.
Vous dirigez l’orchestre qui accompagne les finalistes de « Prodiges Pop ». Qu’est-ce qui vous impressionne chez ces enfants ?
Comme pour la version classique, malgré leur jeune âge, ils sont déjà très passionnés par leur discipline. Ce n’est pas simple d’avoir cette expérience avec un orchestre, de jouer devant un jury et un public nombreux. Donc ce qui m’impressionne, c’est leur capacité à s’adapter et leur niveau technique. Nous, on est là, les professionnels de la musique, avec notre expérience, eux viennent avec leur fraîcheur et leur énergie, et je trouve que c’est une chouette rencontre.
Vous-mêmes, très jeune, vous vous êtes passionnée pour la musique classique. Qu’est-ce que ces jeunes talents vous évoquent de votre propre histoire ?
C’est vrai que j’ai l’impression de me revoir jeune. J’avais cette passion de la musique, cette envie de me dépasser, de faire toujours mieux. Je voulais en faire mon métier. S’il y a bien une question que je ne me suis jamais posée, c’est de savoir ce que je voulais faire plus tard. Ces jeunes aussi ont cette envie très forte de persévérer dans le chemin de la danse, de la musique, de l’instrument, du chant et c’est très beau à voir.
Après, le plus dur dans notre métier, c’est de durer, et « Prodiges pop » est juste une photographie à un certain moment. Peut-être que certains d’entre eux feront de grandes carrières, d’autres auront peut-être envie d’ici quelques années de poursuivre la musique en amateur et de se consacrer à d’autres études. L’avenir nous le dira.
Vos parents vous ont transmis leur amour pour la musique classique, mais comment est née l’envie de devenir cheffe d’orchestre ?
C’est venu naturellement. Le fait d’entendre de la musique à la maison, ça a été quelque chose d’assez évident pour moi d’avoir envie de continuer cette immersion dans l’univers de l’orchestre en tant que musicienne. J’ai commencé par la guitare mais je me suis rendu compte qu’il n’y en avait pas dans les orchestres symphoniques et c’est cette musique-là que j’avais absolument envie de jouer. Je trouvais que c’était fort, puissant, émouvant.
Donc j’ai choisi un deuxième instrument, l’alto, et ça m’a permis d’intégrer des orchestres. C’est ainsi que j’ai découvert le métier de chef d’orchestre. La bascule s’est opérée quand j’avais 14 ans. J’ai eu une opportunité dans un projet au conservatoire de Pantin, où j’étudiais, de pouvoir diriger un ensemble le temps d’un concert. Cela a été un déclic.
Peu de femmes sont cheffes d’orchestre. Comment avez-vous fait votre place dans ce milieu ?
Je me la suis faite malgré les résistances et les difficultés. J’ai vu rapidement que les chefs d’orchestre étaient plutôt des hommes, plutôt assez âgés, plutôt européens, donc ce n’est pas évident pour une jeune femme comme moi, qui a grandi dans un quartier populaire, avec ma double culture, de m’identifier. J’ai vite compris qu’il allait falloir que je me débrouille par mes propres moyens. En même temps, quand on grandit en Seine-Saint-Denis, on vous renvoie souvent une image assez difficile de la vie, de notre possibilité à réussir, et moi, j’ai toujours eu mes parents qui m’ont soutenue en disant : « Fais ce que tu veux faire, mais fais-le bien, il faut travailler, ce n’est que par le travail qu’on obtient des résultats. »
On passe son temps quand on est ado en banlieue à essayer de trouver des solutions pour contourner les difficultés, les surmonter. Je me suis dit que si ce n’était pas possible par la voie normale, il faudrait en trouver une autre. Et j’ai eu l’idée de créer cet orchestre, Divertimento, car j’avais vraiment envie de diriger, de me prouver à moi-même et au monde musical qu’une femme pouvait le faire.
Vous avez créé Divertimento à 18 ans, c’est très jeune…
Bien sûr que c’est jeune, et en même temps, j’essayais de ne pas trop me poser de questions. Après, le Divertimento que l’on connaît aujourd’hui ne s’est pas construit en une journée. En tout cas, oui, à 18 ans, j’ai eu cette envie. J’enseignais la pratique d’orchestre à Paris et à Stains en Seine-Saint-Denis, donc j’ai commencé à côtoyer de jeunes musiciens passionnés et qui avaient aussi des vies radicalement différentes. J’étais convaincue que l’orchestre devait être un lieu de rencontre pour des artistes et aussi pour différents styles de musique.
Pendant très longtemps, je faisais tout, toute seule. Je conduisais le camion quand on avait des concerts avec le matériel dedans, je mettais les chaises, les pupitres dans la salle. Petit à petit, cet orchestre s’est construit. A l’époque, le maire de Stains a été convaincu de la force de ce projet et m’a proposé de l’installer en résidence dans cette ville. Cela nous a permis d’avoir un point d’attache et des moyens logistiques pour nous développer. Cela a été le début de cette grande aventure professionnelle.
Le jury de « Prodiges Pop » s’inscrit dans un esprit de transmission. C’est également votre cas au quotidien. Pourquoi est-ce si important pour vous ?
Parce que je me suis rendu compte que c’était parce que mes parents m’avaient transmis cet amour, cette curiosité de la musique que j’avais réussi. Au niveau de la musique classique, je trouvais qu’il n’y a pas assez de liens entre les grands orchestres, les grandes salles de concert et plein de jeunes, plein d’enfants, de familles qui vivent partout en France. Si ce n’est pas possible de découvrir la musique dans le cadre familial ou à l’école, nous, les artistes, on a une responsabilité par rapport à ça.
Quand je vois l’impact que la rencontre avec la musique a eu sur moi, je me dis qu’à mon tour, c’est important que je puisse permettre à d’autres jeunes de faire cette rencontre, pour sentir la beauté de cette musique, sa puissance puis, pourquoi pas, faire naître des vocations. Je me suis toujours dit qu’il ne fallait pas que je choisisse entre être artiste sur scène ou être enseignante mais qu’il fallait pouvoir faire mon travail en ayant ces deux engagements. C’est comme ça que je trouve mon équilibre aujourd’hui en tant que cheffe d’orchestre.
Vous parlez de l’académie que vous avez ouverte à Stains…
Oui. Cet engagement pédagogique, je l’ai fait sous plusieurs formes. J’ai été directrice du Conservatoire de Stains, et ce pendant dix ans. J’ai aussi été enseignante. Aujourd’hui, depuis plus de quinze ans, cet engagement se fait au travers de l’Académie Divertimento. Ce sont des dispositifs que nous portons avec l’orchestre. On met en place des parcours qui se déclinent dans les écoles, les collèges, les lycées, les centres sociaux, les conservatoires de musique. On permet aux jeunes de découvrir la musique, de la pratiquer aussi.
Je suis pleinement investie dans cette académie. Même si, historiquement, elle a élu résidence en Seine Seine-Saint-Denis, aujourd’hui nos projets se déclinent aussi partout en France. Ce n’est pas forcément un bâtiment où les gens viennent étudier mais c’est nous, les musiciens de l’orchestre et moi-même, qui nous déplaçons avec nos ressources pédagogiques. On va là où les jeunes sont, et on leur transmet cette passion de la musique.
L’an passé, votre vie a fait l’objet d’un film, Divertimento, de Marie-Castille Mention-Schaarr. Dernièrement, Canal+ vous a aussi consacré un documentaire, Zahia, un temps d’avance. Que retenir selon vous de ces deux portraits ?
Ce film et ce documentaire parlent de musique, de ma personnalité. Cela raconte mon parcours avec mes difficultés, les doutes qu’on peut avoir, les interrogations et, en même temps, la force aussi. Quand on veut quelque chose, on peut y parvenir, avec du courage et du travail. Ma famille à une place importante également dans mon parcours. Cela montre que l’excellence à sa place même dans les quartiers populaires, même en banlieue parisienne, même en milieu rural. C’est ça que j’ai envie de montrer. Bouger les lignes, c’est bien, mais ce n’est pas toujours facile. Il faut déployer beaucoup d’énergie, de combativité, d’idées novatrices pour y parvenir.
Dans le film, on voit aussi d’où est venue cette passion de la musique, cet accompagnement de mes parents, cette exigence qu’ils avaient avec moi, que j’avais avec moi-même. On voit que vivre de sa passion, vivre une passion, c’est faire parfois beaucoup de compromis, c’est être aussi dans une quête de dépassement de soi sans cesse. Le film raconte tout ça jusqu’à la création de Divertimento. J’ai toujours dit que le plus difficile n’avait pas été de créer l’orchestre mais de l’avoir porté jusqu’à aujourd’hui, vingt-cinq ans après. Je trouve aussi que dans une société où on interroge la possibilité des femmes à mener des carrières ambitieuses et avoir aussi une vie de famille, une vie privée, le documentaire montre que c’est un équilibre pas forcément facile à trouver mais qu’on peut y arriver.
Selon vous, quel morceau vous résumerait le mieux ?
Ce n’est pas simple… J’aime beaucoup la Danse Bacchanale de Saint-Saëns. Camille Saint-Saëns est un compositeur français, le pays dans lequel je suis né, j’ai grandi, qui incarne un peu cet héritage de notre culture française si riche ; et dans ce morceau, il y a des influences, des mélodies, des rythmes, des instruments de l’Algérie. Donc cette musique représente un peu mon histoire.
La rencontre entre la France et l’Algérie en musique, c’est aussi que je suis. C’est une musique belle, émouvante, forte, qui a du caractère. Puis, j’aurai envie de citer aussi le compositeur Beethoven, parce que c’est avec ce compositeur-là qu’est née l’envie de me plonger dans la musique.
Bacchanale : Saint-Saëns et la Méditerranée est également le titre de votre album paru en mai dernier…
Pour le premier projet discographique de l’orchestre Divertimento, j’ai souhaité justement l’appeler ainsi. C’est l’œuvre emblématique de cet album, avec d’autres œuvres de ce compositeur-là qui a fait ces voyages en Méditerranée, en Espagne, en Italie, en Egypte, en Algérie, et qui permet de voir que la rencontre avec l’autre, ça peut aussi nourrir de belles réflexions, de beaux projets, de belles œuvres.
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