Le journaliste, auteur et réalisateur dévoile, avec ce documentaire poignant truffé d’inédits, un Patrick Dewaere intime, déroutant, inattendu… Avec, en “voix off”,sa fille, Lola…
“Lola m’a laissé carte blanche pour réaliser ce documentaire…”
France Dimanche : Comment est né ce film magnifique ?
Alexandre Moix : De mon amitié avec Lola, sa fille. On se connaît depuis vingt ans et l’aventure a été très émouvante. J’avais déjà fait deux films sur Dewaere, L’Enfant du siècle et La Ballade de Fairbanks, mais dans lesquels je n’avais pas pu tout dire, car sa mère, Mado Maurin, qui était encore de ce monde, verrouillait tout. Elle a passé sa vie à couvrir de terribles secrets de famille, comme les incestes dont Patrick a été victime toute sa jeunesse. Mais je m’étais juré d’en refaire un, avec Lola qui m’avait dit : « On pourra le faire quand ma grand-mère sera morte ». Elle m’a laissé carte blanche. Ce film est comme une lettre d’amour d’une fille à son père.
FD : On a le sentiment que Lola découvre qui il était…
AM : D’où l’idée du puzzle avec une photo de lui. Car elle m’a toujours dit qu’à chaque fois qu’elle rencontrait quelqu’un qui lui en parlait, elle ajoutait une pièce… Jusqu’à cette effroyable vérité. Quarante ans après sa mort [le 16 juillet 1982, ndlr], il était temps, enfin, de lever le mystère sur son suicide. Je souhaitais un film inattendu, avec la voix off de Lola qui est incroyable. En le découvrant au 75e Festival de Cannes, on était tous touchés, mais elle plus que jamais. Et même si ça a remué beaucoup de choses, elle en est très heureuse. Heureuse qu’on ait enfin pu rendre justice à son père.
FD : Cannes, quelle belle consécration ?
AM : Oui, c’est chouette pour mon film bien sûr ; mais aussi pour rendre hommage à Patrick Dewaere, lui qui a tant souffert de n’avoir jamais eu de prix. Donc, quelque part, je lui ai fait monter les marches, à travers sa fille, et j’aime à penser que ça l’aurait ému.
FD : Vous y rassemblez beaucoup d’inédits, et particulièrement des audio incroyables…
AM : Chaque documentaire est une fabuleuse chasse aux trésors. J’essaie de trouver des choses profondes, intimes, qui n’ont jamais été vues ou entendues. Là, j’ai contacté deux anciens journalistes, Marc Esposito (Première) et Bernard Alès (Ciné Revue), qui avaient souvent interviewé l’acteur, afin qu’ils retrouvent leurs enregistrements de l’époque, ces vieilles cassettes que l’on voit à l’écran. Des “off” dans lesquels il raconte des choses absolument dingues sur son enfance, sa mère, Depardieu… De vraies pépites !
FD : On comprend alors mieux pourquoi…
AM : On ne peut pas comprendre Patrick Dewaere si on n’a pas les clefs de son enfance fracassée. On se dit qu’il était un peu secoué, schizo, psychopathe, drogué, pas très net… mais non, en fait, il a juste subi des atrocités étant enfant. Et, de là, son existence n’a été qu’un goulot d’étranglement qui l’a conduit au suicide. Lui-même met presque tout en oeuvre à répéter dans sa vie d’adulte ses névroses de l’enfance pour finir par arriver au point culminant du désespoir.
FD : Vous ne citez pas le nom de celui qui a abusé de lui, mais on le comprend…
AM : De nature très pudique, je souhaitais cette pudeur dans mon film. Je ne voulais surtout pas d’un tribunal, donc tout est sur le fil, mais oui, on le comprend… Et sa mère, qui a fermé les yeux sur tout ça, qui n’a jamais voulu non plus lui montrer la photo de son vrai père, alors qu’elle la publiera après sa disparition dans un bouquin. Il est donc mort sans savoir à quoi ressemblait son père. Comme le dit très bien Claude Lelouch : « Patrick était sans identité », s’appelant tour à tour Bourdeaux, Maurin, Dewaere, et pour finalement n’avoir sur sa tombe aucun nom. Mais lui-même confiait : « En fait, je ne sais pas qui je suis ».
FD : Quels ont été les premiers retours ?
AM : À Cannes, beaucoup de gamins de 20-25 ans consultaient Wikipédia au début de la séance afin de voir un peu qui était Patrick Dewaere, pour à la fin tous venir me dire : « Mais quel mec incroyable ! » Il plaît à la jeunesse, car son suicide l’a figé à 35 ans. Et parce qu’il était révolté, libre, désinhibé, mais aussi très tendre, romantique et sauvage. Nombreux sont ceux qui aujourd’hui sont fans de lui. Il avait d’ailleurs dit : « Dans cinquante ans, les gens diront peut-être que j’étais génial ! » Il avait raison !
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