Hommage à Jean-Paul Belmondo : le choix des Invalides est "une solution de facilité", selon un historien

Fabrice d’Almeida, historien, professeur et vice-président de l’université Paris II Panthéon-Assas, a estimé jeudi 9 septembre sur franceinfo que le choix des Invalides pour rendre hommage à Jean-Paul Belmondo est « une solution de facilité » pour le pouvoir. La cérémonie débutera à 16 heures 30 dans la cour d’honneur de l’hôtel des Invalides. Le lieu est habituellement réservé aux cérémonies d’hommage aux militaires mais, depuis l’hommage à Charles Aznavour en 2018, des personnalités civiles du monde du spectacle reçoivent aussi ce privilège de la République.

franceinfo : Pensez-vous qu’il y a une inflation mémorielle ?

Fabrice d’Almeida : Il y a en tout cas des émotions publiques très fortes. Cela a commencé sous Nicolas Sarkozy, avec le dernier « poilu » pour qui un hommage a été organisé aux Invalides. Et puis, cela a rebondi avec les événements de 2015-2016 qui ont meurtri la conscience nationale. Sous Emmanuel Macron, il y a eu plusieurs moments et personnalités importantes : Simone Veil, Jean d’Ormesson ou Charles Aznavour. Il s’agit de trois civils, ce qui fait une différence dans l’usage traditionnel des Invalides, nécropole des grands généraux et maréchaux français.  

Comment expliquez-vous ce glissement ?

D’abord, on trouve un précédent sous Jacques Chirac, en 1997 avec l’hommage au commandant Cousteau. Mais c’est un cas singulier parce que Cousteau a été officier de marine, il fait un peu partie de l’institution et surtout ses découvertes ont beaucoup servi à l’armée française. Quelque chose change vraiment avec Charles Aznavour. Jean d’Ormesson est diplomate, il a représenté la France à l’Unesco, a eu des fonctions officielles et il a été en cabinet ministériel. Simone Veil était aussi une grande ministre d’État. Mais Charles Aznavour est une personnalité populaire. Normalement, les hommages aux civils sont au Panthéon. On sent bien qu’il y a une gêne du côté des pouvoirs publics par rapport à ces personnalités qui ont marqué le siècle et que tout le monde connaît, pour avoir entendu une chanson, vu un film, entendu une réplique, gardé une voix dans sa tête. On répugne un peu à les faire entrer au Panthéon. Sont-ils vraiment de grands hommes ? C’est le même problème pour Johnny Hallyday, dont l’hommage a été organisé à [l’église de] la Madeleine. C’est pour ces personnalités hybrides que l’État se réfugie derrière ce qu’il y a de plus sûr, de plus rapide. Les militaires sont habitués aux Invalides et ils ont des structures qui fonctionnent bien. Au fond, c’est une solution de facilité.  

Pour Samuel Paty, l’État avait choisi un autre lieu, la Sorbonne.

Cette fois là, le gouvernement a pris le temps de la réflexion. On a fait cet hommage dans la cour de la Sorbonne parce que le recueil de la pensée française était là. Pour ce professeur, on voulait un lieu symbolique. On aurait pu en chercher un pour Jean-Paul Belmondo. Peut-être réfléchir à un salle de spectacle, une école de cinéma ou de théâtre. Mais effectivement, c’est plus compliqué à organiser. De plus, il y a le Covid-19…

Emmanuel Macron a-t-il un goût prononcé pour les cérémonies et les hommages ?

Il a changé. Au départ, en 2017, il dit : « Je ne serai pas le président des commémorations, je ne serai pas comme Hollande. Les Français veulent des solutions, ils ne veulent pas d’histoires ». Et puis, au fur et à mesure du quinquennat, les grandes cérémonies, la fonction le rattrapent. Nous sommes un peuple très mémoriel, très solennel. Finalement, il se retrouve aligné sur ses prédécesseurs qui avaient eux aussi été rattrapés par les commémorations, celles de la Première puis de la Deuxième Guerre mondiale. Sous François Hollande, tout cela avait énormément pesé sur le fonctionnement même de la présidence.

C’est aussi l’occasion pour Emmanuel Macron d’être associé à une personnalité consensuelle, pas clivante ?

Il y a toujours cette notion, mais ce n’est pas de l’électoralisme. C’est aussi être à la hauteur de l’émotion. Un président est aussi obligé d’être à la hauteur de l’émotion de son peuple. Pour beaucoup d’entre nous, Belmondo a été le marqueur d’une époque. Qui n’a pas en tête une réplique du Magnifique, une scène de l’Homme de Rio ou la musique du Marginal ? On a des souvenirs, on a des attitudes. Il avait une gouaille, une manière de parler qui était tellement française. C’est aussi cela qu’Emmanuel Macron est obligé de prendre en compte. On peut toujours reprocher un électoralisme, mais je pense que cela va au-delà de ça. Au fond, il est contraint par l’émotion générale.

Les Français veulent pouvoir se recueillir sur le cercueil après la cérémonie. Est-ce important ?

C’est un aspect très important. On dit que les grandes figures populaires de la chanson ou du cinéma entrent dans notre intimité. Il faut se souvenir qu’on les a vues au cinéma, mais aussi à la télévision, qu’on les a vues au théâtre, que leur existence nous a été détaillée dans les magazines people. Une espèce de proximité s’est créée avec eux. Pour beaucoup de personnes, pas seulement des fans, il est important de dire au revoir à quelqu’un qui a rythmé notre existence.

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