La cérémonie, qui devait être celle du renouveau, avec une nouvelle direction à sa barre, a connu sa pire audience en 10 ans : 1,6 million de téléspectateurs. La soirée devait permettre de tourner la page de l’opacité et de l’entre-soi, un an après l’affaire Polanski, accusé de viol et récompensé du César du meilleur réalisateur pour son film J’accuse.
Entre la crise sanitaire et les salles de cinéma fermées depuis fin octobre, « ça pouvait difficilement être une réussite« , analyse Frédéric Sojcher, professeur de cinéma à la Sorbonne et auteur de Cinéma français, les dérives d’un système. C’était presque « mission impossible ».
Des gages de changement ont été donnés, avec le couronnement de deux acteurs noirs, Jean-Pascal Zadi et Fathia Youssouf, comme meilleurs espoirs, ou une tribune de Jeanne Balibar sur les actrices de plus de 40 ans. Fait rare, une comédie grand public, Adieu les Cons, d’Albert Dupontel, a reçu le César du meilleur film.
« Pas utile au cinéma français » ?
Mais, en pleine pandémie, la cérémonie a laissé un goût amer à beaucoup, à commencer par le milieu. Isabelle Adjani a déploré, vendredi dans une tribune, une soirée (qui) laissait « flotter le sentiment d’un entre-soi où l’on ne s’adressait qu’aux siens, sans vraiment parler aux autres » quand Gérard Jugnot, présent pour un hommage au Splendid, a déploré le nombrilisme de la soirée. Le coup d’éclat de la comédienne Corinne Masiero, qui s’est entièrement dénudée en soutien aux intermittents, a lui aussi profondément divisé.
Fait inhabituel, la ministre de la Culture Roselyne Bachelot, présente en coulisses, y est allée de sa volée de bois vert après la cérémonie, rythmée par les interventions potache de Marina Foïs, maîtresse de cérémonie : soirée « pas utile au cinéma français« , « rupture avec le public », « antipathie ». Dans son viseur, l’ingratitude supposée du monde du cinéma envers l’Etat, qui maintient le secteur sous perfusion financière en pleine crise.
Avec ces César, « on n’est plus dans le rêve »
« Qu’une ministre soit interpellée, c’est presque dans le protocole ! » : « il est sain qu’une fois par an, des revendications s’expriment, de façon plus ou moins subtile« , relativise Frédéric Sojcher. Mais avec ces César, « on n’est plus dans le rêve, mais dans le retour à la réalité« , constate de son côté le sémiologue François Jost.
De la cinéphilie des débuts, avec des présidents comme Orson Welles ou Jean Gabin dans les annés 1970, les César ont ensuite été confiés à des comiques comme Gad Elmaleh ou Valérie Lemercier pour « faire moins compassé, moins ennuyeux » mais ont « perdu beaucoup de sacralité », retrace ce spécialiste de l’audiovisuel. Ils deviennent « un lieu politique », avec le conflit des intermittents. « Ce qu’on a vécu va exactement dans ce sens, avec une exagération, et un public qui se restreint« , juge-t-il. Car l’audience des soirées de remise de prix s’essouffle un peu partout. Voire s’effondre, comme aux Etats-Unis, avec les Golden Globes, ou côté musique, les Grammy.
« Entre strass et contexte anxiogène »
Mais pas de quoi les enterrer, selon François Jost : « Même si l’équilibre est difficile à trouver entre les choses amusantes pour le téléspectateur et le rituel sacré de la remise des prix« , « pour la profession, cela reste quelque chose de très légitimant« . « Les César ont toujours été critiqués« , abonde Frédéric Sojcher, qui convient que « le déphasage était peut-être plus grand encore cette année entre le strass et le contexte anxiogène de la pandémie« .
Corinne Masiero, elle, est devenue un symbole de la soirée, un an après Adèle Haenel quittant la salle pour dénoncer le couronnement de Roman Polanski. L’interprète de Capitaine Marleau ne regrette rien, et a répliqué dès mardi 16 mars, dans un théâtre occupé de Lille : « laisser crever des gens comme ça, (…) des artistes mais aussi des étudiants qui sont en train de crever de faim, des gens qui travaillent dans la santé, à l’Education nationale (…) Ça, c’est navrant, c’est vulgaire ».
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