Festival de Cannes 2021 : à l'affiche du film "Benedetta", l'actrice Virginie Efira parle d'une "œuvre politique très forte"

C’est l’un des chocs du Festival de Cannes et le film pourrait même peut-être faire polémique : Benedetta de Paul Verhoeven. Le long-métrage est présenté en compétition sur la croisette vendredi 9 juillet. Il est inspiré de la vie de Benedetta Carlini, religieuse catholique italienne, mystique et lesbienne, ayant vécu au XVIIe siècle. Plusieurs scènes de sexe sont présentes dans le film, et le réalisateur néerlandais a toujours eu un certain sens de la provocation. La comédienne Virginie Efira, qui prête ses traits à Benedetta, préfère un art dérangeant plutôt qu’aseptisé.

Franceinfo : Le film est très attendu d’autant qu’il a été reporté. Ça fait du bien qu’il arrive enfin ce film ?

Virginie Efira : Oui, je m’étais presque habituée à ce que ça soit une œuvre secrète. C’est vraiment bizarre, et ça comportait une forme de romantisme pour un film comme ça. On a tous pris un plaisir tellement fou. Et puis le propos, la manière de le faire qui est tellement spéciale. C’est joyeux et c’est excitant. Mais le plus excitant, c’était de tourner le film.

Le film a été tourné avant la pandémie et il y a dedans tout ce qui a trait à la peste qui résonne étrangement avec l’actualité.

C’est vrai que c’est incroyable. Il y a un moment où Benedetta, pendant la peste, dit qu’elle va protéger les gens comme Jésus avec elle. Mais en fait, ce qu’elle fait, c’est qu’elle ferme les portes. Elle décide en fait d’un confinement. Quand il y a une maladie contagieuse, si on ferme les portes et qu’il n’y a pas la peste, la maladie ne viendra pas. Tout le monde prend ça comme une sorte d’appel du divin alors que c’est une décision politique.

Benedetta lutte avec beaucoup de choses. Il y a les interdits de l’Église, son propre désir et son propre corps. Le film commence d’ailleurs quand elle arrive au couvent avec cette phrase très marquante : « Ton corps est ton pire ennemi. » Elle est tiraillée entre plusieurs choses mais on a l’impression qu’elle a toujours le contrôle justement sur ce corps, sur ce désir.

Je ne sais pas si elle a toujours le contrôle. Cette histoire est tirée de faits réels, il y a un livre vraiment passionnant de Judith C. Brown où elle a retrouvé des écrits et des témoignages sur ces premiers procès en lesbianisme. Pour Benedetta, la question est de savoir comment les dogmes religieux, qui sont une réalité politique, peuvent faire corps avec justement ce désir qu’elle ressent, c’est pratiquement de l’ordre de l’impossible. C’est comme si elle transformait sa foi pour tout d’un coup que ça soit autorisé. Après, elle en tire une puissance et une gloire, comme si ça la rapprochait totalement de Dieu. D’ailleurs, la vraie Benedetta avait probablement une schizophrénie profonde, ce n’était pas quelque chose de simple.

Le fait qu’elle ait des relations homosexuelles, ça rajoute à ce que l’Église pouvait à l’époque lui reprocher. Ça rendait le fait plus grave ?

L’homosexualité masculine, évidemment, ne fait pas bon ménage avec la religion. L’homosexualité féminine n’était même pas envisageable, c’est-à-dire que sans pénis qu’est ce qui peut bien se produire ? Elle n’était même pas concevable. Dans les écrits qui ont été retrouvés, la personne qui expliquait les actes, on voit que son écriture tremblait. Ce que le film raconte beaucoup, c’est cette idée que le corps ne doit plus exister.

Il est beaucoup question du blasphème dans le film. On sait que il y a eu des actualités en France ces dernières années, venant d’ailleurs de plusieurs religions. Il y a des voix qui réclamaient un retour du délit de blasphème.

Il y a plusieurs choses à dire, à la fois de manière propre au film et puis en dehors. On sait que l’idée de la laïcité est quelque chose qui est parfois mal compris. Qu’est-ce que exactement cette laïcité ? Sur l’idée qu’en France critiquer une croyance n’est pas critiquer une personne ou des individus. Moi, ce qui me plaît terriblement, c’est l’idée de la liberté de croire ou de ne pas croire. Dans la croyance, l’idée est de croire ce n’est pas savoir.

« Il y a dans la croyance et la foi une chose que je respecte et dont je me sens proche qui est de penser qu’il y a quelque chose de plus grand que nous. »

à franceinfo

Il y a une forme d’humilité aussi sur l’idée qu’on ne détient pas une vérité. Quand Benedetta dans le film, crie ce mot de blasphème, elle est face à une institution religieuse qui dit savoir comment être proche de Dieu. Cette institution religieuse, à l’époque, détient totalement le pouvoir.

Dans le film, la question de savoir si Benedetta était vraiment l’épouse du Christ ou une affabulatrice manipulatrice reste ouverte. Est-ce que cela vous convient ?

Bien sûr ça me convient. Après Paul Verhoeven filme ce qu’il veut, et moi je joue ce que je veux, c’est ça qui est intéressant. Je crois qu’il faut une croyance énorme. Je ne sais pas si les manipulateurs, par exemple se disent qu’ils sont des bons manipulateurs. Parfois, ils pensent qu’ils sont dans quelque chose d’extrêmement juste. Pour moi, il y a une défaillance qui vient du pouvoir propre, comme on a vu des hommes politiques très mal agir alors qu’ils se battaient pour des idéaux justes, pour la solidarité et pour que les égalités soient plus fortes. Quand ils détiennent le pouvoir, ils ne veulent plus entendre une voix qui conteste ou ils font des actes en pensant qu’il n’y aura pas d’impunité. Il y a un peu de ça chez elle aussi.

Il y a aussi pas mal de scènes de sexe dans le film. Dans le dossier de presse vous expliquez que « vous n’êtes pas là pour choquer le bourgeois » que « c’est ringard ». Est ce que vous pensez que le film va faire scandale à Cannes et qu’il va être mal accueilli par certains milieux catholiques intégristes ?

Je ne pense pas qu’il puisse être bien accueilli par les intégristes catholiques. Sur l’idée de vouloir choquer, il y a des gens que je peux admirer, qui ont une sorte de rébellion constante que je trouve chouette. Mais, je ne vais pas m’inventer une personnalité car je ne l’ai pas. Il y a une polarisation très forte avec les réseaux sociaux. On dit mille choses sur un film sans aller le voir. On sait que Paul Verhoeven va utiliser des images qui ne sont pas des images naturalistes qui parfois peuvent même avoir de l’humour. Il va chercher les images les plus fortes pour symboliser quelque chose.

« Si on doit faire un geste artistique en disant qu’on va faire attention à ne pas heurter la sensibilité de qui que ce soit, on ne fait plus rien. »

à franceinfo

On peut critiquer c’est normal. Je n’ai pas spécialement envie d’avoir un rejet massif ou une agressivité folle à mon égard. Mais bon, je comprends que quelque chose puisse déplaire. Je crois que je préfère quand même des gestes libres qu’une uniformisation polie du fond et de la forme.

Il y a des scènes où votre personnage crie et parle avec une voix qui apparaît comme plus masculine. Le film est vraiment sur un fil entre le fantastique et le grotesque.

Il y a toujours dans le cinéma de Paul Verhoeven une forme d’exagération de certaines choses. Quand on le joue, c’est comme s’il fallait être au premier degré. On ne peut pas jouer le second degré, il faut une croyance quand même. J’adore quand ça flirte avec des limites un peu incertaines. Il y a quelque chose de kitsch par moments aussi dans l’imagerie. Je trouve que c’est ça qui me plaît terriblement. Je trouve que c’est une œuvre politique très forte, d’une grande intelligence. À la lecture du scénario, je me suis dit quel travail incroyable. Ils ont réussi à faire quelque chose qui ne dit jamais : « Nous détenons une vérité. Nous sommes parfaits. » 

Votre performance est excellente. Est-ce que vous pensez au prix d’interprétation à Cannes ? Ou est-ce que si ça ne se fait pas ce n’est pas grave ?

C’est comme Benedetta, on n’est pas obligé de choisir. On peut dire : « Oh, j’adorerais ! Et si il n’y a pas, c’est pas grave. » Parce qu’en fait, c’est ça la vérité. Mais je pense vraiment que c’est un type de films où la vedette est vraiment le film. J’espère avoir fait du bon travail, mais je pense aussi que des gens pourront ne pas l’aimer. Parfois les choses qui vont être récompensées sont des choses qui sont plus naturalistes et qui font rendre compte d’un état du monde de manière plus premier degré. J’aime beaucoup qu’on utilise dans le cinéma parfois de l’humour ou quelque chose de plus baroque, ce n’est pas forcément plus fort mais au moins autant.

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