- L’Institut national de l’audiovisuel (INA) a analysé 400 heures de programme d’information pendant la crise sanitaire au printemps, en s’appuyant sur les bandeaux ou incrustations de cinq journaux télévisés.
- Résultat: les femmes y sont très minoritaires (28%) et surtout les femmes dotées d’une certaine « autorité » (21%).
- « On aurait pu imaginer que dans un moment de crise sanitaire les femmes puissent avoir une place plus importante », se désole Marlène Coulomb-Gully, l’une des trois universitaires à avoir travaillé sur ce bilan.
Quelle place les femmes ont-elles occupée dans les médias pendant la crise du coronavirus ? Une place faible, et encore plus faible lorsque l’on regarde les positions qui ont le plus de pouvoir, révèle une étude de l’Institut national de l’audiovisuel (
INA), dévoilée ce mardi par 20 Minutes. Dans les cinq journaux télévisés de TF1, France 2, France 3, BFM et CNEWS analysés pendant un mois, seulement 28 % de femmes apparaissent dans les bandeaux ou « incrustations », et même 21 % lorsque l’on se concentre sur les femmes dotées de la plus forte « autorité », en excluant les journalistes.
Il n’est pas possible de comparer strictement cette étude à d’autres études antérieures, aux méthodes différentes, mais le travail de l’INA vient tout de même conforter celui du Conseil supérieur de l’audiovisuel qui paraît en même temps sur le même thème, qui constate une importante diminution du taux de femmes expertes qui est passé de 38 % pendant l’année 2019 à 20 % pendant la crise sanitaire.
« On aurait pu imaginer que dans un moment de crise sanitaire les femmes puissent avoir une place plus importante », se désole Marlène Coulomb-Gully, l’une des trois universitaires à avoir travaillé sur ce bilan de l’INA effectué entre le 17 mars et le 11 avril, sur huit dates correspondant aux mardis et aux samedis. En France, près de 46 % des médecins sont des femmes, selon une étude de la Dares (Direction de l’Animation de la recherche, des Etudes et des Statistiques, rattachée au ministère du Travail), et elles sont majoritaires chez les professionnels et professionnelles de santé.
Les femmes (hors journalistes) sont très minoritaires dans les incrustations des JT diffusés pendant le confinement, et elles le sont encore plus dès qu’il s’agit de parole ayant autorité. Alors que la part d’hommes ayant une autorité forte dans les bandeaux s’élève à 77 %, elle n’est que de 55 % pour les femmes.
Dans le domaine de la santé, dont sont issues un tiers des personnes des bandeaux, et alors que la crise sanitaire a occupé près du trois quart du temps d’antenne, les femmes invitées sont près de quatre fois plus dotées d’une autorité faible que les hommes du même domaine : 14 % contre 3,5 %.
« La parole d’autorité reste masculine »
Pour analyser ce fait, les chercheuses Marlène Coulomb-Gully et Cécile Méadel ont encodé en « autorité forte » ou « autorité faible » les femmes et hommes présents dans les bandeaux. Etaient dotées d’une « autorité faible » les caissières, routiers, serveurs, aide-soignante ou encore infirmières, tandis que recevaient le label « autorité forte » les médecins, professeurs de médecine, ministres, chef ou cheffes d’entreprise ou encore les maires interviewées. Ce sont près de 400 heures de programme et 2.500 individus qui ont été analysés en « double aveugle », chaque chercheuse encodant de son côté les individus, les résultats étant ensuite comparés.
« La parole d’autorité reste masculine », résume Cécile Méadel, tandis que Marlène Coulomb-Gully estime que « comme toujours le JT creuse les disparités, qui existent évidemment ». Seulement 20 % des professeurs (PU-PH : professeurs des universités – praticiens hospitaliers) de l’APHP sont des professeuses. « Cette période de crise fonctionne comme révélateur au sens chimique du terme du fonctionnement des médias qui invisibilise encore les invisibles et cautionne la parole d’autorité, qui est une parole masculine », complète Marlène Coulomb-Gully.
Une expérimentation appelée à se développer
Cette étude de l’INA sur les bandeaux est une première du genre, avancent les chercheuses, qui estiment qu’elle permet d’analyser de gros volumes, ici 400 heures de programme. Elle a été coordonnée par David Doukhan, qui s’était fait remarquer en mars 2019 pour avoir analysé près de 700.000 heures de programme avec des outils d’intelligence artificielle détectant les voix de femmes et d’hommes. Il conduit le projet GEM (Gender Equality Monitor), visant à décrire de manière automatique les différences de représentation entre les femmes et les hommes dans les médias, et dans lequel s’inscrit cette étude.
« J’ai eu l’intuition que les bandeaux étaient des choses qu’on pouvait extraire automatiquement de manière fiable », explique le chercheur en informatique, qui explique qu’il s’agit là d’une « expérimentation » appelée à se développer. L’analyse des chaînes France info et LCI, envisagée dans un premier temps, a dû être abandonnée à cause de la trop grande transparence de leurs bandeaux.
Un rapport de la députée Céline Calvez
L’étude de l’INA intervient quelques semaines après que de vives critiques d’associations, personnalités féministes et du Haut conseil à l’égalité concernant la faible présence de femmes dans les médias pendant la crise sanitaire. Ces critiques ont en particulier été déclenchées après la une du journal Le Parisien daté du 5 avril, mettant en scène quatre hommes pour dessiner le « monde d’après ».
Télérama, Le Monde, Corse Matin ou encore CNews ont par la suite aussi fait l’objet de reproches de la part de collectifs de femmes photographes ou journalistes comme La Part des femmes et Prenons la une*. Le tollé a incité la secrétaire d’Etat Marlène Schiappa à lancer une mission sur la place des femmes dans les médias, confiée à la députée Céline Calvez.
La députée rend ce mardi un rapport d’étape qui recommande notamment de « poursuivre l’enrichissement des indicateurs du rapport annuel du CSA, en fonction notamment des études de l’INA. » « Si on peut utiliser le pouvoir incroyable de l’INA pour la recherche, on doit aussi pouvoir le faire pour faire changer les choses », dit-elle à 20 Minutes. L’idée est de décompter plus finement en période de crise, en séparant notamment les émissions de savoirs, info et débats. Afin de mieux comprendre, s’agissant des expertes ou des personnes ayant le plus d’autorité, où le bât blesse, et pourquoi, en période de crise, ces femmes disparaissent.
*La journaliste autrice de cet article est membre de l’association Prenons la une.
Source: Lire L’Article Complet