Que d’eau, que d’eau ! On reparlera longtemps des orages et des pluies diluviennes qui ont marqué l’édition 2022 du festival We Love Green, qui affichait complet et attendait 100 000 festivaliers au total, dont 25 000 lors de la soirée d’ouverture jeudi.
Si la météo a contraint les organisateurs à annuler les concerts du samedi 4 juin en début de soirée, si le retour fut difficile dans la boue et la flotte jusqu’aux chevilles, si la déception était grande de ne pas avoir pu applaudir Laylow, Clara Luciani ou Dinos, rien n’aura réussi à gâcher totalement la fête. Car le ciel n’était pas le seul ce week-end à faire parler la foudre : les artistes qui ont pu se produire samedi et dimanche ont été nombreux à offrir des sets endiablés, fougueux, électrisants, enthousiasmants. Nous n’avons pas pu tout voir mais voici nos coups de cœur.
KOFFEE
On venait applaudir une prometteuse voix du reggae, on a découvert une star. Koffee (Mikayla Simpson de son vrai nom) n’a que 22 ans mais elle porte en elle toute l’histoire du reggae. Sauf qu’en jeune fille moderne, cette auteure-compositrice et interprète jamaïcaine propulse le genre dans le 21e siècle en le trempant aux sonorités électroniques actuelles, afro-beat notamment, et à des basses énormes, quand ce n’est pas aux guitares pop. Démarré avec son tube Rapture, extrait du EP du même nom qui lui a valu un Grammy de l’album reggae il y a deux ans, son set déploie une énergie si positive qu’il fait oublier le ciel menaçant. Casquette à l’envers, bagues dentaires, grosse montre en or et gourmette, elle tient la scène comme un chef, bouge beaucoup, oscillant au micro entre chant auto-tuné (le hit Pull Up) et toasting, de son flow irrésistible à l’accent jamaïcain. Lorsque la pluie commence à tomber, le public ne bouge pas, et les parapluies sautent en rythme aux premiers rangs. Koffee est un astre qui réchauffe. Elle darde ses derniers rayons sur Toast, repris en chœur par la foule sous une pluie drue. Il est bientôt 18h, l’orage se fait de plus en plus violent. Une heure plus tard, après SCH et alors que les festivaliers et le site sont noyés sous un déluge d’eau, tous les concerts du samedi sont annulés.
SCH
Un véritable soleil sous les coups de tonnerre du Bois de Vincennes. Chançard, le sudiste SCH est le seul rappeur rescapé de la météo désastreuse de ce samedi 4 juin. « Oh Paname vous avez la pêche ou vous êtes fatigués ? », lâche-t-il à son arrivée à un public bouillonnant. Queue de cheval, lunettes noires sur le nez, ensemble jean placardé de son label Maison Baron Rouge et clope au bec, le marseillais sert à son public un cocktail énergisant de morceaux récents et plus anciens. S’enchaîneront Mayday, Interlude, Marché noir, Le code, Mother Fuck ou encore le tube Champs Élysées qui visiblement n’a pas pris une ride depuis sa sortie en 2015. Sous le chapiteau, la pression monte, en dehors aussi. Des festivaliers pris au dépourvu par les pluies torrentielles, et qui n’avaient pas initialement prévu d’être de la partie, viennent s’abriter sous le chapiteau. Les voilà qu’ils sont des milliers, d’autres viennent encore s’agglutiner alors qu’il n’y a plus d’endroit où trouver refuge tant l’ambiance est folle. Coup de tonnerre quand les premières notes de Bande organisée résonnent. La voix du rappeur est immédiatement recouverte par celle du public en furie, qui hurle les paroles. Sur les écrans géants des messages d’alerte au sujet des intempéries défilent mais les spectateurs trempés jusqu’aux os n’en ont cure. Ils sont déjà sous le soleil de la cité phocéenne, bien loin de la grisaille parisienne. Bientôt 19 heures, il est l’heure d’atterrir pour le public pour qui la journée s’arrête ici. Pas le temps de traîner pour la fusée SCH, il faut vite redécoller pour arriver à temps au concert de JUL qu’il viendra honorer de sa présence quelques heures plus tard au stade Vélodrome de Marseille.
GREENTEA PENG
On ne va pas vous le cacher, c’est Greentea Peng qui nous a fait retourner dimanche au festival avec des ailes aux pieds, malgré la douche froide du samedi et la gadoue annoncée. Souvent comparée à Amy Winehouse, la chanteuse originaire du sud de Londres d’ascendance jamaïcaine rappelle davantage Erykah Badu pour ses atours de grande prêtresse afro. Sauf que là où l’Américaine, vue sur cette même scène en 2019, semble souvent sur le point de jeter des sorts vaudous, l’Anglaise n’est que positivité, spiritualité et amour. Avec son dub psychédélique riche et inventif, au sommet sur son album Man Made paru il y a un an, Aria Wells, 27 ans, veut soigner les âmes. Sur scène à We Love Green, elle a choisi de ne rien cacher de sa grossesse très avancée, sa tenue découvrant entièrement son ventre rond tatoué notamment d’une feuille de ganja. Entourée de cinq musiciens, dont un bassiste passant régulièrement à la contrebasse, elle offre un concert ensorcelant de sa voix émotive et versatile, dansant, ondulant et empruntant régulièrement l’avancée de scène. Appel à l’unité sur Hu-Man et à l’élévation sur Liberation, tout deux repris en chœur, dédicace à la jeunesse sur Make Noise et Downers, hommage au soleil avec Mr Sun terminé sur un joli clin d’œil à Sun is Shining de Bob Marley : Greentea Peng délivre son message universel avec classe et sensualité. Le ciel a entendu les appels de cette puissante magicienne. Après un long jeu de cache-cache, le soleil est à son Zénith lorsqu’elle quitte la scène en envoyant des baisers au public.
CENTRAL CEE
S’il fallait décerner une médaille pour l’ambiance la plus survoltée du week-end, nul doute qu’elle reviendrait à Central Cee. Étoile du rap anglais, le jeune londonien âgé de 24 ans est aujourd’hui l’une des figures de proue de la drill. Popularisé par le défunt rappeur Pop Smoke, ce sous-genre du rap originaire de Chicago a très vite été adopté par les artistes outre-Manche. Le succès de Central Cee a vite dépassé les frontières britanniques notamment grâce à des collaborations avec des rappeurs internationaux. Parmi eux, Freeze Corleone, son équivalent français.
ARLO PARKS
Phénomène outre-Manche depuis la sortie début 2021 de son premier album, l’acclamé Collapsed in sunbeams, qui lui a valu d’obtenir le prestigieux Mercury Prize l’an dernier, la Londonienne Arlo Parks a donné très peu de concerts en France jusqu’ici. Elle était donc attendue par un public de connaisseurs sur la plus modeste des grandes scènes du festival (La Canopée). « Je ne sais pas si vous savez mais je parle français » : première surprise, la Londonienne s’exprime dans un français parfait (sa mère est née à Paris). Assurées par quatre musiciennes et musiciens, les adaptations de ses chansons réconfortantes, telles Portrat 400, Caroline, mais aussi le single Cola qui a fait décoller sa notoriété, font ressortir la section rythmique, et l’absence de cordes fait perdre hélas en subtilité, comme souvent en festival. Reste sa voix limpide, aussi juvénile et adorable que sur disque, et sa présence scénique. Souriante, vêtue confortablement d’un T-shirt, short et baskets noirs, Arlo Parks mène un set sportif. Régulièrement arc-boutée sur son micro, elle chante avec un engagement de tout le corps, quand elle ne saute pas d’un bout à l’autre de la scène, décorée de quelques guirlandes de fleurs en plastique, sa marque de fabrique. Après Black Dog, « une chanson très importante pour moi, écrite pour une amie lorsqu’elle allait mal« , nous devrons quitter le set à regrets, appelée par un autre concert programmé à la même heure. Raison de plus pour retourner la voir lors d’un prochain passage en France.
SLOWTHAI
Innarêtable ! Torse nu, Slowthaï est arrivé en guerrier, prêt à en découdre avec la pluie battante. La scène devient pendant une heure un ring de boxe dominé dès les premiers instants par le rappeur. Originaire de la banlieue de Northampton, Tyron Kaymone Frampton de son vrai nom, est le fruit d’un croisement entre hip-hop et punk. Loin du bling bling, ce sale gosse du rap britannique a suscité l’intérêt d’autres grosses têtes du milieu comme Skepta, A$AP Rocky ou Denzel Curry. Après une entrée fracassante à la Canopée, Slowthai bondit de la scène pour rejoindre le public, complètement déchaîné sous les trombes d’eau. Les gouttes rebondissent en rythme sur les parapluies pour les frileux. Pas de capuches pour les plus téméraires encouragés par la verve nerveuse du rappeur. Après avoir sauté de tous les côtés comme une bête surexcitée, le punk encourage un pogo sur le hit… Barbie Girl ! On aura également eu l’occasion de recroiser Shygirl, figure de l’underground londonien qui n’a d’ailleurs de timide que son nom, programmée un peu plus tôt. Pour Slowthai, le show s’est terminé pieds nu, avec pour seul vêtement un caleçon décoré du drapeau du Royaume-Uni. Pour les festivaliers, vêtements trempés, chaussures pleines de boue et en cadeau peut-être l’un des meilleurs moments de ce festival.
PNL
Avec Angèle, le concert de PNL restera le champion à égalité de l’affluence à cette édition du festival We Love Green. Bien que les deux frangins de Corbeil-Essonnes aient donné quatre concerts à guichets fermés le mois dernier à Bercy, après deux reports dus au Covid, nombreux étaient venus pour eux ce dimanche soir. Y compris les plus jeunes, des étoiles plein les yeux, accompagnés cette fois de bonne grâce par leurs parents, rassurés par l’ambiance bon enfant du festival. En bonnes divas du rap, Ademo et N.O.S tardent à paraître : 20 minutes c’est long (et rare) en festival. Pour leur défense, un élément du décor (une capsule mystérieuse) leur a visiblement donné du fil à retordre, jusqu’à être abandonné au dernier moment. Une immense clameur les accueille lorsqu’ils débarquent enfin, détendus, précédés de lights bleu et rose, les couleurs de leur dernier album paru en 2019. « Regardez la lune et kiffez« , demande N.O.S, invitant les festivaliers à « lever le doigt au ciel, Dieu est grand« , avant de démarrer sur Deux Frères. Très vite, on remarque que le duo a pris de l’assurance au micro. Non seulement les frangins ne se sont jamais autant exprimé entre les morceaux, mais surtout, N.O.S chante vraiment, et plutôt bien, sa voix est souvent nue et se passe de vocodeur. De son côté Ademo, qui confiait sur Mowgli « J’suis pas un rappeur, sans vocodeur j’suis claqué« , n’a jamais autant rugi en live mais le tandem accuse quelques pertes de mémoire voyantes balayées d’un « couplet oublié, c’est pas grave » (sans doute que fumer joints sur joints sur scène n’aide pas).
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