Depuis des années, Carla Shapreau recherche un Stradivarius volé sous les nazis à la famille Mendelssohn-Bohnke. À Paris, cette experte participe à un colloque sur la spoliation des instruments de musique, bien moins connue que celle des œuvres d’art. Où se trouve également le violon classé Stradivarius, confisqué à Vienne à Oscar Bondy, entrepreneur et collectionneur autrichien persécuté par les Nazis ? Les deux violons ayant appartenu à Johann Strauss fils et confisqués à sa belle-fille d’origine juive ? Le Stradivarius offert par Goebbels à la prodige japonaise Nejiko Suwa en 1943 aurait-il appartenu à une famille juive ?
Un colloque à la Philharmonie de Paris
« Près de 80 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, la recherche dans ce domaine a tardé à se développer et un grand nombre d’instruments de musique spoliés restent introuvables », indique à l’AFP Carla Shapreau, qui documente ces spoliations et traque les instruments et partitions volés. Cette chargée de cours à l’Université de Berkeley fait partie de la trentaine d’intervenants français et internationaux – historiens, musicologues, archivistes mais aussi marchands et luthiers – participant au colloque organisé jusqu’à samedi par la Philharmonie de Paris sur ce sujet. Un dossier complexe en raison de la disparition de témoins directs et l’absence de numéros de série sur de nombreux instruments.
Le colloque est inédit car diffusé en direct en ligne et traduit simultanément en anglais pour permettre à un plus grand nombre d’y participer et de poser des questions, voire de témoigner.
Des milliers d’instruments saisis par le « Commando musique » du Reich
Le violon ayant appartenu aux Mendelssohn-Bohnke avait été localisé pour la dernière fois selon les archives de la famille en 1940 au 51 Jaegerstrasse, un bâtiment berlinois qui leur appartenait et qui avait été saisi par le ministère des Finances du Reich. Monika Löscher, membre de la Commission autrichienne pour la recherche de provenance au Kunsthistorisches Museum de Vienne, a travaillé pour sa part sur le cas du piano-forte de la chanteuse Frida Gerngross, assassinée dans le ghetto d’Izbica en Pologne, et dont les héritiers sont recherchés pour une éventuelle restitution.
En 1996, l’ouvrage du musicologue Willem de Vries, Sonderstab Musik (le commando musique, traduit en français en 2019), détaillait l’activité de cette cellule formée de musicologues allemands, qui a localisé et fait confisquer aux juifs plusieurs dizaines de milliers d’instruments et de partitions. Parmi eux, la riche collection de la célèbre claveciniste Wanda Landowska qui a vécu à Saint-Leu-la-Forêt (Val-d’Oise). « Dans la France de l’après-guerre, le ‘Répertoire des biens spoliés durant la Guerre 1939-1945’ liste, sans être exhaustif, près de 1.500 instruments perdus », indique Carla Shapreau.
Les retrouver est comme chercher une épingle dans une botte de foin. Première complication : « Si les pianos ont un numéro de série qui identifie la pièce ; il faut que la personne ait des papiers qui attestent ce numéro », explique à l’AFP Christine Laloue, conservatrice au Musée de la musique de la Philharmonie de Paris. Des documents souvent perdus, rendant difficile de retracer la chaîne de propriété.
« Pour la lutherie, c’est encore plus difficile, car les violons ou violoncelles portent rarement des numéros », dit-elle. « L’instrument de musique a en plus pu subir des réparations importantes au fil des années. » Le Musée conserve un étui de cistre et une harpe Erard classés comme MNR (Musées Nationaux Récupération), c’est-à-dire des objets potentiellement spoliés ou indiqués comme spoliés.
Une valeur hautement sentimentale
Selon Christine Laloue, une des clés pour avancer est « de travailler en réseau » pour recouper les archives : celle des luthiers, les archives administratives sur les questions juives, les archives nationales et celles de Paris. Encore plus que pour les tableaux, les instruments ont une valeur hautement sentimentale.
En Angleterre, Benjamin Hebbert, expert et marchand de violons qui participe également au colloque, affirme à l’AFP avoir rencontré des propriétaires de violons arrivés grâce au « Kindertransport », ces opérations de sauvetage qui ont permis de transférer d’Allemagne nazie vers le Royaume-Uni des milliers d’enfants juifs réfugiés. « Pour certains enfants, le violon de la grand-mère était tout ce qu’ils avaient », dit-il. « Pour une famille qui a ramené un violon, cet instrument est probablement la seule chose qui les connectait à leur vie avant les nazis. »
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