Qui est Sofiane Pamart, le pianiste virtuose et "sans limite" que les rappeurs s’arrachent ?

Il est sorti médaille d’or du conservatoire à 23 ans en interprétant à la perfection l’Alborada del gracioso de Maurice Ravel et la 4e balade de Chopin, avant de devenir « le pianiste du rap » que s’arrachent les MC francophones. Le virtuose Sofiane Pamart, 31 ans, n’est pas artiste à se laisser enfermer dans des cases. Alors que le Lillois a sorti en 2019 un ravissant premier album en piano solo, Planet, puis sa version augmentée Planet Gold en début d’année, nous avons voulu sonder de plus près ce prodige que l’on pressent à l’aube d’une carrière retentissante.

C’est que ses mélodies, aussi délicates qu’accrocheuses, semblent touchées par la grâce. Qu’il s’agisse du néo-classicisme sentimental de son album solo, constitué de morceaux très courts capables en trois minutes de dessiner des paysages dans le cerveau des auditeurs, ou bien des thèmes expressifs sur lesquels les rappeurs aiment poser leurs rimes pour souligner un climat, Sofiane Pamart fait mouche et touche à tous les coups. Seize années de conservatoire sont passées par là.

Objectif : le monde ou rien

Dans ses compositions, on entend clairement des échos de ses modèles Chopin, Ravel et Debussy, mais Sofiane Pamart, qui évoque souvent la pureté de l’enfance, cultive avant tout la simplicité – une simplicité apparente qui n’exclut pas le travail acharné.

Il possède en outre une modernité, une souplesse et une fluidité dans le jeu qui le rendent irrésistible et éminemment accessible. Faire une musique « populaire » est d’ailleurs l’objectif principal de celui qui proclame vouloir devenir « le numéro un mondial du piano » – ne pas y voir une posture arrogante mais un mantra autoréalisateur pour sportif de haut niveau -.

La simplicité, c’est ce que je vise. J’ai envie que ma musique soit populaire, c’est très important.

à franceinfo Culture

« La simplicité est fédératrice et quand je dis que veux être numéro un du piano, c’est une manière de me mettre en transe pour réussir à accomplir mes rêves, me transcender, m’élever », poursuit-il. « Je suis un grand fan de mangas et ils m’inspirent dans cette quête, comme Luffy, héros du manga One Piece, qui veut être roi des pirates. C’est une manière de se surpasser.« 

Oreille absolue et éducation stricte

Sofiane Pamart a l’oreille absolue. Elle a été détectée tout petit, alors qu’il reprenait à l’oreille la musique entendue à la télévision. « Vers quatre ans, je jouais le générique de Dragon Ball Z et surtout la musique du Parrain sur le petit piano-jouet rouge à douze touches que m’avaient offert mes parents« , se souvient-il. Dans sa famille, personne n’était pourtant musicien. « A la maison, on écoutait de tout. Aussi bien de la musique classique que de la variété française, de la musique traditionnelle marocaine, du raï, et même un peu de rap grâce à un oncle. Mon père adore aussi Brel et Ferré, et j’aime la passion de ces voix-là« .

Son grand-père maternel, d’origine berbère, était venu du sud du Maroc pour travailler dans les mines du Nord de la France. Sa mère, professeure de lettres, a dû lutter pour « s’arracher à sa condition« . C’est elle, dont il loue l’éducation stricte, qui l’a inscrit au conservatoire à l’âge de 7 ans et l’a continuellement poussé à l’effort et au dépassement. « Ma mère a toujours cru en nous (NDLR Sofiane a un frère et une sœur plus jeunes qui sont aussi passés par le conservatoire). C’est comme un contrat que l’on a passé avec nos parents : leur sacrifice est illimité mais nous devons en échange aller le plus loin possible dans ce qu’on a choisi, et être le meilleur dans ce que l’on fait.« 

Pas que de bons souvenirs du conservatoire

Au conservatoire, Sofiane a aimé « découvrir de l’intérieur » Chopin, son musicien préféré, ainsi que Ravel et Debussy. Mais il admirait aussi les jazzmen Bill Evans, Keith Jarrett, ainsi que Thelonious Monk, dont le style et la personnalité rebelle continuent de le fasciner, et ne pouvait échapper au rap, celui du 113 ou de NTM, vers lequel sa génération le poussait naturellement.

Forcément, pour cette forte personnalité éprise de liberté, le conservatoire n’est pas toujours allé de soi. Il a fallu ronger son frein et aller contre sa nature. « Au conservatoire je me sentais à la fois super à ma place et pas du tout« , rembobine-t-il. « J’apprenais beaucoup et j’avais la chance d’y côtoyer de grands maîtres. Ce qui était pesant c’était le côté scolaire, la culture de l’erreur et l’injonction à jouer d’une certaine manière en étant constamment comparé à d’autres. »

Moi, j’avais besoin de composer mes morceaux et d’imposer mes propres interprétations. Or la manière d’enseigner au conservatoire n’encourageait pas la composition. Il fallait d’abord que je gagne le droit de m’exprimer en maîtrisant le répertoire classique.

à franceinfo Culture

« Lorsque je me suis retrouvé professeur au conservatoire j’ai eu plutôt envie de transmettre la confiance en soi et la création dès le plus jeune âge. Je pense que ce n’est pas incompatible avec l’exigence ou la culture de l’excellence. Lorsque la passion vient de l’enfant, les efforts sont ensuite sans limite. »

Les voyages, puissante source d’inspiration

L’inspiration, aujourd’hui, lui vient souvent de façon « fulgurante« . « Mais tout le reste du temps je me mets en condition pour que ces moments-là adviennent« , confesse-t-il. Sauf pour Medellin, que l’on peut qualifier de « tube » de son premier album, qui lui est venue en rêve, comme Yesterday était venue en songe à Paul McCartney. « La mélodie de Medellin, j’en a rêvé, elle m’est venue la nuit et je n’arrivais pas à m’en défaire. J’avais trop hâte de la jouer et de m’enregistrer au piano« , raconte-t-il. « Mais Medellin est très liée au morceau La Havane. J’avais vu à Cuba un concert du Buena Vista Social Club dont le jeu rythmique et la manière de raconter le vécu m’ont inspiré ces deux thèmes, arrivés dans la foulée. »

Les voyages sont les principales sources d’inspiration de son premier album, Planet, et de son édition enrichie Planet Gold, dont la plupart des morceaux portent des noms de villes ou de lieux. « Chicago, Berlin, Le Caire, Carthage : je connais toutes ces villes et elles m’ont inspiré ces mélodies. Le seul endroit où je ne suis pas allé c’est l’Alaska, un fantasme de désert glacé. J’aime voyager mais j’aime aussi le fait d’être dans un endroit et de devoir le quitter à un moment donné. Cela crée chez moi un sentiment d’urgence qui fait que j’ai envie de capturer ce quelque chose d’éphémère et de l’immortaliser dans ma musique. »

Il suffit d’une seule écoute pour être séduits par ses mélodies accrocheuses. L’effet est instantané. Est-ce une science ou une sorte de magie ? « Je pense qu’après le conservatoire il faut désapprendre ce qui nous empêche de transférer nos émotions de manière directe. Car la technique est à la fois un atout et un frein« , explique Sofiane Pamart.

Je m’efforce d’être le plus instinctif possible pour transférer mes émotions en musique. J’ai donc essayé de renouer avec la pureté brute de l’enfance mais avec la technique que j’ai derrière.

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Quand le piano se cabre

Le piano est le partenaire privilégié avec lequel il a choisi de s’exprimer. Un choix exigeant. « Le piano est un instrument incroyable qui renvoie constamment le musicien à ses propres limites. Même au plus haut niveau on ne se trouvera jamais assez fort parce que l’instrument est à dompter, il est vraiment très sauvage : peu importe le niveau, il y a toujours quelque chose qu’on n’arrive pas à faire« , confesse-t-il.

« Le piano auquel je suis le plus attaché est mon premier vrai piano, celui que j’avais à la maison durant toutes mes années d’apprentissage au conservatoire. Il est très imparfait, mais avec son toucher lourd, qui demande plus d’effort pour obtenir un son, il m’a permis de me muscler davantage les doigts. »

Un look anticonformiste qui déjoue les clichés

Sa différence, cet anticonformiste la cultive aussi avec panache dans l’apparence : dans ses clips, on découvre ses tenues flamboyantes, mi-rappeur flashy mi-dandy chic, et ses « grillz » (les bijoux de dents des durs à cuire), qui peuvent surprendre. Le rap et la culture urbaine, Sofiane Pamart baigne dedans depuis longtemps en parallèle à la musique classique. Son look, « c’est ma manière de me mettre en scène, c’est ma façon de raconter mes émotions visuellement« , s’amuse-t-il. « Depuis tout petit, je suis habitué à ne pas être pris pour ce que je suis, ce n’est que lorsque je m’installe au piano que les regards changent. »

En cultivant un style inattendu pour un pianiste de sa trempe, cet insoumis contribue à déconstruire les clichés. « En raison de mon histoire singulière avec le rap, j’en amène les codes dans mon style. Enfant, j’aurais trop aimé qu’il existe quelqu’un avec un look différent auquel j’aurais pu m’identifier. Aujourd’hui je veux représenter ça pour d’autres.« 

Le pianiste des rappeurs… et des autres

Le Lillois est d’ailleurs une des bottes secrètes du rap francophone actuel. Des rappeurs comme Vald, Kery James, SCH, Médine, Grand Corps Malade, Demi-Portion, Laylow, Dinos ou Scylla (avec qui il a réalisé deux albums), ont fait appel à ses services ces dernières années et bénéficié de ses harmonies sensibles pour poser leurs rimes.

« Ce que j’aime dans le rap et chez les rappeurs, c’est la spontanéité. On ne va pas à l’école pour apprendre à rapper et ça crée par conséquent quelque chose de très direct dans l’émotion. On est dans l’expression pure, brute. Cela m’a beaucoup aidé dans ma manière de raconter les choses sans filtre avec mon piano« , analyse-t-il. Entre la rigueur qu’il a acquise au conservatoire et le côté dissipé des rappeurs, il n’y a aucune friction, assure-t-il.

Mon énergie naturelle est très proche de celle des rappeurs. De nature je ne suis pas du tout scolaire ni rigoureux et je déteste la routine. Comme eux, je travaille énormément mais je ne m’en rends pas compte parce que tout est fait par passion.

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Pour autant, le pianiste aux idées larges ne travaille pas qu’avec des rappeurs. Il a récemment collaboré avec la chanteuse Kimberose, « une des plus belles voix soul en ce moment« , et avec le collectif électronique Bon Entendeur. Il a également revisité cette année le répertoire du chanteur belge Arno en versions piano-voix sur un album entier (Vivre). « Je ne suis pas du tout limité à un style de musique« , confirme Sofiane Pamart. « Mes collaborations sont souvent des histoires de rencontres car pour moi la musique peut prendre toutes les formes possibles, je n’ai aucune limite.« 

Aujourd’hui, le musicien qui sera sur scène en octobre avec Joey Starr à la Seine musicale pour une création autour de grands textes de poésie, fourmille de projets, y compris dans la musique de films (même s’il ne peut encore en dévoiler les détails). Lui qui avoue son admiration pour James Blake et les chanteuses Jorja Smith et Rosalia, dit réfléchir « à plus de collaborations internationales« . Aucun signe de relâchement chez ce bourreau de travail. « C’est vrai, je n’arrête jamais mais je suis tellement passionné que ça me rend heureux d’être comme ça.« 

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