Les fans de Radiohead le savent depuis longtemps : derrière la longue mèche de cheveux qui mange le visage de Jonny Greenwood, couve un génie. On ne s’étonne donc pas outre mesure que le guitariste et clavier du groupe d’Oxford s’avère être aussi un grand compositeur de musiques de films.
Son talent en la matière s’est résolument imposé l’an passé auprès du grand public, le musicien signant coup sur coup deux bandes originales majeures, à commencer par celle de The Power of the Dog de Jane Campion pour laquelle il est nommé aux Oscars, le film cumulant à lui seul 12 nominations. Il a également composé celle, remarquable en tous points, de la série Spencer sur Lady Di de Pablo Larrain, avec Kristen Stewart dans le rôle titre.
Le réalisateur Paul Thomas Anderson lui a mis le pied à l’étrier
Comme si cela ne suffisait pas, Jonny Greenwood a aussi signé l’an passé le thème de Licorice Pizza de Paul Thomas Anderson, qui fut le premier à le solliciter pour la bande originale de There Will Be Blood, sorti en 2007. Le réalisateur américain s’est depuis attaché ses services pour tous ses longs métrages, soit The Master (2012), Inherent Vice (2014) et Phantom Thread (2017, avec lesquels le musicien a déjà obtenu plusieurs récompenses.
Alors que Radiohead est en pause depuis la tournée de l’album A Moon Shaped Pool (2016) et qu’un nouveau projet avec Thom Yorke (autre génie) se profile dans les prochaines semaines sous le nom de The Smile, Jonny Greenwood, âgé de 50 ans, mériterait de remporter un trophée dimanche 27 mars à la cérémonie des Oscars.
Admirateur d’Olivier Messiaen et de Krzysztof Penderecki
Admirateur d’Olivier Messiaen, Jonny Greenwood est connu pour être un des rares à avoir introduit dans le rock la complexité et les sonorités de la musique savante, notamment avec la gamme octatonique.
S’adonner à la musique de films a offert à ce multi-instrumentiste une chance d’exercer son art de la composition au-delà du rock tout en explorant plus avant son intérêt pour la musique classique et d’avant-garde, inspiré par un autre de ses modèles, Krzysztof Penderecki, qu’il citait dès OK Computer (1997). Figure de la musique contemporaine, le compositeur polonais Penderecki, disparu en 2020, est devenu malgré lui un maître de la musique de films, ses compositions abstraites libérées de toutes règles étant particulièrement prisées pour souligner l’angoisse et installer le malaise dans les films d’horreur, comme L’Exorciste et Shining.
« J’ai toujours trouvé que les instruments acoustiques, et en particulier les instruments orchestraux, étaient capables d’une bien plus grande variété, étrangeté et complexité qu’aucun des logiciels que j’utilisais auparavant« , expliquait l’an dernier Jonny Greenwood à la radio publique américaine. « Et je crois que c’est peut-être pourquoi, pour moi, la musique de gens comme Penderecki et Ligeti sonne encore très étrange et contemporaine, elle sonne toujours pour moi comme la musique du futur. Alors que beaucoup de choses électroniques réalisées dans les années 60 et 70 sonnent aujourd’hui de leur époque.«
Un goût prononcé pour l’expérimentation
A l’instar de celles de ses modèles, les musiques de films de Jonny Greenwood n’observent « aucune règle » et sont intemporelles. Loin de la pop, elles sont exigeantes, plutôt sombres, parfois romantiques, parfois difficiles ou grinçantes. De la dentelle sur-mesure dominée par les instruments à cordes.
Lui qui pratique le violoncelle sans en être un virtuose l’a souvent dit en interview : rien ne l’enthousiasme plus avec Radiohead que les « string days« , les sessions d’enregistrement avec les instruments à cordes. « La variété et la couleur qu’un seul musicien peut offrir avec un instrument à corde est époustouflant« , disait-il l’an passé chez NPR. « Et la combinaison d’un ensemble tout entier et toutes les directions dans lesquelles il peut aller, est vraiment excitant« .
Pouvoir travailler pour et avec de grands orchestres est une des raisons qui poussent Jonny Greenwood à composer pour le 7e art. Mais ce n’est pas la seule. Une autre est le fait d’être en contact avec un réalisateur ou une réalisatrice « pendant des mois« , et « d’échanger des idées avec enthousiasme pour divers instruments et différents styles de musique« , confiait-il en décembre au New Yorker. Car le pilier de Radiohead a la chance d’avoir toujours été appelé jusqu’ici dès l’élaboration des films, avant même le tournage. Un privilège qui lui permet d’expérimenter en amont dans toutes les directions, sans frein, une liberté qu’il compare à celle de se trouver « dans un magasin de bonbons« .
Baroque et jazz entremêlés pour « Spencer »
Pour la série Spencer, Jonny Greenwood a composé une bande originale éblouissante, qui s’écoute volontiers sans les images. Il y aborde autant la musique baroque que des rivages plus jazz, quand il ne les entrelace pas ensemble de la plus merveilleuse façon. Jamais à court d’idées, il s’est ainsi amusé à commencer certains morceaux avec un orchestre baroque, dont il remplaçait au fur et à mesure les musiciens un à un pour des musiciens de jazz, comme sur les magnifiques Arrival et New Currency (ci-dessous).
En maître des imperfections heureuses, Jonny Greenwood joue également, comme chez Radiohead, à essayer de s’approcher d’un style de façon non conformiste – par exemple les groupes des années 80 comme Wham ! prisés par la princesse Diana, interprétés en style baroque. Cela ne marche jamais ou rarement, reconnaît-il, mais le processus pour y parvenir offre toujours quelque chose d’éminemment personnel. Sa musique peut même alors devenir la force motrice de certaines scènes, comme celle du dîner du nouvel an de cette série.
Le banjo joué au violoncelle en picking pour « The Power of the Dog »
Pour The Power of the Dog de Jane Campion, ses compositions soulignent l’étrangeté et les lignes de tension du film avec finesse, et de façon là aussi audacieuse. Dans ce long-métrage, on se souvient d’une scène clé : celle durant laquelle Rose (Kristen Dunst) tâtonne au piano en bas, alors que son beau-frère Phil (Benedict Cumberbatch) lui répond note pour note au banjo à l’étage pour la tourmenter. Alors que Jane Campion lui avait suggéré « un morceau de musique reconnaissable instantanément mais pas très bon« , c’est Jonny, il en est fier, qui a trouvé la « terrible » Marche de Radetzky de Richard Strauss.
Le banjo étant donc avec le piano un instrument clé du récit, Jonny Greenwood a tenté de composer pour un quatuor à cordes et un banjo. Cela n’a pas fonctionné. « Mais cela m’a conduit à jouer du violoncelle comme un banjo, (…) à jouer le rythme du banjo sur le violoncelle en picking« , explique-t-il (comme dans 25 Years ci-dessous). « Le résultat offre une certaine confusion – c’est un son que l’on reconnaît, mais ce n’est pas un style dont on est familier », analyse-t-il dans une conversation avec Jane Campion en vidéo pour Netflix. Le piano désaccordé est quant à lui symbolique de Rose et de son malaise social, puis de son mental embrouillé. Le piano finit par sonner « inhumain« , souligne Greenwood dans le même entretien.
Le cor, un symbole de la masculinité du cowboy Phil
La pandémie ne lui a pas non plus facilité la tâche, raconte-t-il. La présence des musiciens étant très limitée en studio, il a passé des jours entiers à enregistrer lui-même les parties de violoncelle, pour donner l’illusion d’un orchestre d’une centaine de musiciens. Toujours prêt à prendre des risques, il a également enregistré un duo de cors dans une église d’Oxford, « avec l’intention que la réverbération de l’église soit le troisième instrument« . Le cor, un symbole de masculinité qui donne une profondeur aux scènes de grands espaces et d’intimité du cowboy Phil, et dont l’apport inattendu a bluffé Jane Campion.
Tête chercheuse chez Radiohead, Jonny Greenwood a toujours cultivé un style singulier. Il nourrit désormais le 7e art de ses trouvailles, avec une grâce inouïe. Son coup double de 2021 pourrait, devrait, l’établir en nouveau sorcier du climat au cinéma.
Source: Lire L’Article Complet