Après les Beatles, Bob Dylan, Pink Floyd et Led Zeppelin, le duo de fins limiers Jean-Michel Guesdon et Philippe Margotin, auteurs de la très respectée série de livres érudits La Totale, se penche sur la carrière, brève mais très intense, de Jimi Hendrix, mort en septembre 1970 à l’âge de 27 ans. Comme toujours, dans cette visite guidée livresque aussi épaisse qu’un dictionnaire, les deux complices passent les 119 chansons du guitar hero, textes et musique, au peigne fin, qu’il s’agisse de l’inspiration dont elles sont issues à la technique musicale mise en œuvre pour les réaliser, sans oublier le contexte.
De son vivant, l’extraordinaire guitariste américain n’a sorti que trois albums studio (Are You Experienced, Axis : Bold As Love et Electric Ladyland) en compagnie de Mitch Mitchell (batterie) et Noel Redding (basse) et un album enregistré live (Band of Gypsys). Tout ça en l’espace de moins de quatre ans, entre 1967 et 1970. Mais ses disques posthumes abondent, dont une quinzaine sont décortiqués dans cet ouvrage.
Génie de la guitare et showman extraordinaire
On connaît plus ou moins l’ascension fulgurante de ce génie américain de la six-cordes né à Seattle, qui explosa à Londres dès son arrivée en 1966, subjuguant tous les musiciens de l’époque, à commencer par Eric Clapton, alors surnommé Dieu, qu’il réussit à éclipser, mais aussi Jimmy Page (Led Zeppelin), Jeff Beck ou Brian Jones des Rolling Stones. Mais on a encore bien des choses à découvrir sur le guitariste gaucher, auteur, chanteur, performeur et producteur audacieux, et on en découvre beaucoup dans Jimi Hendrix La Totale.
On apprend par exemple que c’est devant le public très difficile du Chitlin Circuit, où il fit ses classes en compagnie de groupes de blues et de R&B comme Slim Harpo ou Sam Cooke, qu’Hendrix vit des gars « jouer avec leur instrument derrière la tête ou avec leurs dents, ou même avec leur coude » avant de s’en inspirer plus tard pour devenir l’époustouflant showman que l’on sait. A ce sujet, on découvre également que c’est un journaliste du NME qui suggéra à Hendrix de brûler sa guitare sur scène (comme à Monterey Pop en 1967) pour faire mieux et surtout plus original que Pete Townshend des Who… qui se contentait de la casser.
Déjà, il a réussi à créer un langage singulier, à la croisée du blues, du hard rock et de la soul, et c’est à cela qu’on reconnaît les grands musiciens. Ce langage qui n’appartient qu’à lui avec un phrasé incroyable et merveilleux, est servi par une technique monstrueuse et par des mains de géant – il arrivait à barrer sa guitare avec le pouce de sa main droite, ce qui est quand même assez rare. Et puis ce guitariste était aussi doué dans des solos complètements délirants que dans des solos très lyriques comme on peut l’entendre sur Little Wing notamment, ce qui prouve toute la palette du bonhomme. Au-delà du jeu de guitare, il y a ses performances de showman hallucinantes pour lesquelles il reste insurpassé. Sa performance à Monterey en 1967 avec Noel Redding et Mitch Mitchell est absolument renversante. Là non seulement son jeu de guitare est éblouissant – sa guitare semble greffée à son bras – mais le show est dément : il fait toutes ces acrobaties, il joue avec les dents et se roule par terre avant de brûler sa guitare sur Wild Thing.
Pour Jimi Hendrix, vous sortez un La Totale au moins aussi épais que ceux consacrés aux Beatles ou à Pink Floyd alors qu’il est mort prématurément à l’âge de 27 ans. Comment l’expliquez-vous ?
Je l’explique par le fait qu’il avait la fièvre créatrice. Il a enregistré un nombre de chansons considérable en peu de temps, notamment les dernières semaines de sa vie dans son studio Electric Ladyland à New York. A la fin il n’était pas dans une très bonne passe, il avait des problèmes sentimentaux, il était crucifié par le contrat qui le liait à Ed Chalpin avec qui il avait signé en 1965 et qui s’était rappelé à son bon souvenir une fois la célébrité venue, cela le minait. Il se rendait compte qu’il allait vers une impasse musicale et cherchait à sortir de son image de guitariste des larsens et de la saturation. Ce qui est dommage, c’est qu’avant sa mort il avait plein de projets, selon Mitch Mitchell, notamment de collaborations avec des figures comme Miles Davis, Gil Evans, Taj Mahal et Quincy Jones.
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