- Les plateformes de streaming musicales subissent une chute du volume d’écoute dans les pays confinés.
- Coincés chez eux, les Français ont changé leur mode de consommation de musique en streaming.
- La situation oblige les plateformes comme Deezer ou Qobuz a adapté leur offre éditoriale.
- Le report des sorties d’albums va-t-il impacter le secteur ?
Un effet inattendu ! Alors que la pandémie de coronavirus profite aux plateformes de streaming vidéo telles que Netflix, Amazon Prime Video ou MyCanal, le confinement ne réussit pas aux plateformes musicales comme Spotify,
Deezer ou Apple Music. Selon les chiffres d’Alpha Data, relayés par Rolling Stone, le nombre de streams enregistrés était de l’ordre de 20,1 milliards aux Etats-Unis la semaine du 13 au 19 mars, soit une chute de 7,6 % du volume d’écoute.
Même son de cloche en Europe : en Italie, premier pays européen marqué par les mesures de confinement, les écoutes du top 200 de Spotify ont chuté de 23,1 % entre le 3 et le 17 mars, en Espagne, la chute est de 12,7 %, en France, pas encore placée sous confinement à ces dates, la baisse est de 2,4 % selon les chiffres du site Quartz. Le coronavirus pourrait-il affecter durement le streaming musical ?
25 millions de Français ont arrêté de prendre les transports en commun et leur voiture pour aller travailler. « Dans le monde du streaming audio, les transports sont des moments très importants d’écoute. Le confinement a eu un impact négatif sur le volume d’écoute », confirme Louis-Alexis de Gemini, directeur général de Deezer.
« Ce n’est pas si flagrant chez Qobuz, mais c’est effectivement une inquiétude que j’ai eue en première semaine de confinement, parce que la musique en streaming est beaucoup écoutée dans les transports. Quand j’ai vu les résultats de la semaine, c’était à peu près stable », rassure quant à lui David Servant, responsable du streaming de Qobuz. Mais d’ajouter : « Le profil des abonnés de Qobuz n’est pas forcément le même que celui de nos concurrents. » La plateforme Qobuz mise en effet sur des fichiers en haute résolution. « Beaucoup de nos abonnés profitent de leur musique chez eux sur leur système hi-fi », explique-t-il.
« Le streaming est un business de l’abonnement »
« Le streaming est un business de l’abonnement. Que les gens écoutent un peu plus ou un peu moins, ne change rien de la performance de Deezer. Les gens paient 10 euros par mois, et qu’ils « streament » 300 fois ou 600 fois par mois ne changent pas notre chiffre d’affaires », tempère de son côté Louis-Alexis de Gemini.
Qu’en est-il des revenus des artistes ? « Nous reversons 70 % de notre chiffre d’affaires aux producteurs et éditeurs qui payent ensuite les musiciens. Et il ne dépend pas du nombre de stream mais du nombre d’abonnés », détaille le patron de Deezer. Une bonne nouvelle alors que les revenus des artistes sont déjà durement impactés par l’annulation des concerts et la baisse des ventes de disques physiques, qui ont diminué de 27,6 % la semaine dernière, tandis que les ventes d’albums numériques ont baissé de 12,4 %.
« L’écoute s’homogénéise dans la journée »
Le volume d’écoute s’est cependant « stabilisé » lors de la deuxième semaine de confinement, selon Louis-Alexis de Gemini, qui observe qu’en Italie « le volume d’écoute a remonté ». « Les gens ont réorganisé leurs vies et écoutent de la musique », poursuit-il. Le confinement a modifié les moments d’écoute de la musique en streaming, exit le pic du matin et du soir lié aux transports et au sport, « l’écoute s’homogénéise dans la journée, et un phénomène se développe, la musique pendant le travail, constate-t-il. Le week-end est moins atypique aussi. »
En termes de contenus, le confinement implique aussi du changement. « On est passé de l’écoute à la chanson vers des playlists thématiques qui correspondent à nos nouveaux besoins au quotidien », remarque Louis-Alexis de Gemini.
« Prendre la charge de travail à la maison dans de meilleures conditions »
Une tendance observée également chez Qobuz. « Dès le début, on a mis en ligne une playlist un peu pop et soul intitulée « Légèreté ». Ce titre a beaucoup plu. Cette playlist, plutôt calme pour déstresser, marche très fort chez nous tout comme “Voyage virtuel », qui invite les gens à s’évader avec des titres qui évoquent les grands espaces, la plage, ou des capitales au travers le monde. Ce genre de choses marche, les gens ont envie de penser à autre chose », détaille David Servant.
Même son de cloche chez Deezer : « La playlist « Travail au calme » marche très bien, parce que cela permet de déstresser et de prendre la charge de travail à la maison dans de meilleures conditions », souligne Louis-Alexis de Gemini.
« Il n’était pas question de se lancer dans des playlists « confinement” »
Les services de streaming ont adapté leur offre éditoriale. Deezer propose un espace dédié baptisé “On reste à la maison” avec un contenu audio de circonstances. Les playlists « Travailler au calme », « Ensemble en famille », « Sport motivation », « Chansons et comptines pour les enfants », « Ménage en musique » et « Cuisine en musique » cartonnent sur la plateforme. Deezer propose aussi trois mois d’essais gratuits jusqu’au 30 avril.
Qobuz mise sur l’évasion musicale. « Il n’était pas question de se lancer dans des playlists « confinement”. On a essayé de trouver des choses qui égayent les gens », explique David Servant. Et d’annoncer : « La semaine prochaine, on va mettre le paquet sur les enfants. Il faut pouvoir les occuper et les journées sont longues. » Au programme, « Apprendre en chansons », « Danser avec les tout-petits », une playlist « Berceuse » et un best-of « Disney ».
Les gens s’amusent-ils à faire leurs propres playlists pendant le confinement ? « J’ai juste remarqué que les gens font des playlists sur le thème du confinement », s’amuse David Servant. « Les gens gèrent à la fois leur travail et leurs enfants et ont moins de temps. Ils ont besoin de playlists toutes faites, estime Louis-Alexis de Gemini. Pour les gens seuls, je n’ai pas de data spécifiques. »
« On voit remonter les gold »
Pas d’hymne du confiné. « Aucune chanson particulière atypique ne remonte dans le classement des tops », constate Louis-Alexis de Gemini. Les auditeurs ont besoin d’écouter des morceaux qu’ils connaissent.. « Il y a plus d’écoute du back-catalogue, des albums plus anciens », observe David Servant. « On voit remonter les gold, les chansons qui ont plus de deux ans, observe Louis-Alexis de Gemini. Il y a peut-être un besoin de se rassurer », remarque Louis-Alexis de Gemini, qui note également « une explosion des radios d’information sur Deezer ».
Face à la pandémie, certains artistes, comme Lady Gaga ou Alicia Keys, ont décidé de reporter la sortie de leurs albums. « Pour les maisons de disque, le physique représente encore 40 % du business. Il y a donc une réflexion à sortir la musique dans des temps plus cléments lorsque la distribution physique sera à nouveau accessible. Ils sont conscients du risque d’embouteillage avec des sorties reportées après l’été », explique Louis-Alexis de Gemini.
« Une occasion de mettre beaucoup de découvertes en avant »
« On a effectivement des gros albums repoussés, mais sur le volume qu’on a de sorties par semaine, cela reste, à l’heure actuelle, infime. Il y a encore énormément de choix », tranquillise David Servant. A l’instar de The Weeknd, Childish Gambino, Ninho ou encore Pearl Jam, d’autres artistes maintiennent leurs sorties, Dua Lippa a même avancé la sortie du sien.
Afin d’éviter un engorgement une fois la crise sanitaire passée, « Deezer propose à tous les producteurs français de soutenir la sortie de leurs artistes en digital, en utilisant notamment nos réseaux sociaux, soit un million de followers sur Facebook et 100.000 sur Instagram », propose Louis-Alexis de Gemini. Et de rappeler : « Ce n’est pas grave si le volume général d’écoute baisse, l’enjeu pour un artiste est d’avoir une part de marché importante sur toutes les écoutes. » « C’est une occasion de mettre beaucoup de découvertes en avant, qu’on n’a pas forcément la place de mettre en temps normal, mais qu’on a envie de défendre », souligne David Servant. « Quand on est un artiste très digital, c’est une bonne période pour sortir un disque. Les gens ont envie de se faire du bien et la musique y contribue », conclut Louis-Alexis de Gemini.
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