Chantre exubérant d’un néo-glam ostentatoire, Thierry Mugler a vu le jour sur scène, ou presque. Et pour cause, né dans l’austère Strasbourg d’après-guerre, un certain 23 décembre 1948, ce fils de médecin à la personnalité solitaire se réfugie très tôt dans les Arts. Il se prend de passion pour le dessin et la danse classique, au point d’intégrer le ballet de l’Opéra national du Rhin dès ses 14 ans. « Mes parents ne me l’ont pas pardonné mais cela m’a libéré et la magie de la scène ne m’a plus quitté. » confiait-il en 2013 dans une rare interview à l’Express Styles.
Cela ne l’empêchera pas de délaisser un temps les projecteurs pour les Arts décoratifs de Strasbourg où il s’imagine devenir architecte d’intérieur. Une prime vocation dont il conservera un sens aiguisé de la structure lorsqu’il commence à esquisser ses premières silhouettes féminines dans les années 60, lui qui n’hésite pas à citer les légendaires Ava Gardner et Yma Sumac parmi ses muses.
Naissance d’un style
À la vingtaine, épris de liberté, il quitte sa province natale pour mener la vie de bohème parisienne, jonglant entre petits boulots de styliste pour les fabricants du Sentier et confection de ses propres créations, qu’il porte lui-même avec fierté. Il fréquente Claude Montana, Azzedine Alaïa et Guy Paulin, déambule avec entrain dans les bars de Saint-Germain-des-Prés et affiche un style opulent, oscillant entre références futuristes typiquement sixties et influences moyenâgeuses, comme en témoigne le consultant Jean-Jacques Picart dans un article du magazine Vanity Fair.
Une façon à peine dissimulée pour ce passionné de costumes de se faire remarquer et de voir ses premières créations vendues chez Gudule, une boutique de jeunes créateurs, le « Colette » de l’époque en quelques sortes. Mais c’est en 1973 que le talent de Thierry Mugler se dévoile au grand jour avec la présentation de la première collection de sa marque éponyme, baptisée très justement « Café de Paris. »
Hommage à une certaine forme de féminité fantasmée, ses silhouettes aux coupes aiguisées et volumes extrêmes subliment une anatomie exacerbée à coups de tailleurs, de manteaux et de trench structurés, à contre-courant des coupes fluides et décontractées alors dans l’air du temps. La femme Mugler est ostensiblement sexy, moderne, active tout en s’appropriant certains codes stylistiques des divas hollywoodiennes des années 50.
Exit la beatnik des années 68, la parisienne se veut désormais ultra-féminine, confiante, sophistiquée et revendique une posture conquérante à l’image de sa nouvelle carrure ultra-galbée, ultra-épaulée et ultra cintrée. Une dégaine novatrice qui fait figure d’OVNI sur la scène mode de l’époque et qui peine à convaincre d’emblée des rédactrices obnubilées par un poétique Kenzo Takada ou un impertinent Karl Lagerfeld chez Chloé. Cela n’empêchera pas toutefois le jeune Thierry Mugler d’ouvrir une première boutique place des Victoires en 1978 et de se consacrer corps et âme à son art.
Défilés et décadence
Outre la conception et la fabrication des vêtements, celui qu’on surnomme le « créateur de choc » se charge lui-même de shooter ses campagnes publicitaires et d’organiser ses défilés, conçus tels de véritables shows à la mise en scène calibrée. « Comme des spectacles des Follies Bergères » souligne alors Kenzo Takada. En 1984, pour les 10 ans de sa griffe, Thierry Mugler présente ainsi sa collection au Zénith de Pantin à travers un show qui laissera les invités bouche bée.
En 1995, il ira jusqu’à inviter l’icône de la soul James Brown au Cirque d’Hiver lors d’un défilé au casting 5 étoiles, convoquant Carmen Dell’Orefice, Jerry Hall, Tippi Hedren ou encore Kate Moss et Claudia Schiffer. Tout au long des années 80-90, le créateur a alors le vent en poupe et voit des personnalités comme David Bowie, dont il partage l’extravagance et le sens de la mise en scène, porter ses vêtements lors de clips et d’apparitions télévisées.
Foisonnantes, ses influences vont du Hollywood des années 40 à l’esthétique futuriste transhumaniste, en passant par le constructivisme russe et les super-héros de bande-dessinée. Pourfendeur d’une nouvelle féminité exaltée, il révolutionne également la silhouette masculine, allant jusqu’à faire porter à Jack Lang, alors ministre de la culture de François Mitterrand, la célèbre veste de costume à col Mao en pleine Assemblée Nationale, en dépit du protocole l’obligeant à porter une cravate.
Un scandale qui en précédera d’autres, certains commentateurs pointant du doigt des défilés objectivant des femmes hyper sexualisées, « À l’époque, j’en ai entendu de toutes les couleurs – sexiste, fétichiste, macho, mégalo – mais, vous voyez, j’avais raison. » aurait-il confié à Paris Match dans une interview de 2009. Qu’à cela ne tienne, ses collections s’arrachent et la Chambre Syndicale de la Couture parisienne l’invite à proposer sa première collection haute-couture en 1992.
« Son travail était devenu beaucoup plus subtil, ce n’était plus seulement sexy. Le corps n’était plus moulé, dénudé ou drapé, mais caressé avec une sensualité nouvelle. » explique Jean-Jacques Picart. La même année, il lance le parfum Angel avec le succès interplanétaire qu’on lui connaît.
« The show must go on ! »
Pourtant en 2002, coup de théâtre : Thierry Mugler annonce qu’il ne dessinera plus de collections et décide de se consacrer à sa passion première, le spectacle. Il crée ainsi les costumes de Zumanity, un show du Cirque du Soleil présenté à Las Vegas, conçoit les tenues de scène de Beyoncé lors de sa tournée « I am… World Tour » et dirige certains projets pour la maison Mugler, comme le lancement de ligne de maquillage.
Celui qui s’est nourri ces 30 dernières années de gloire et d’attention disparaît peu à peu des radars pour réapparaître, en 2010, par le biais d’une photo volée, sous un jour méconnaissable. Corps bodybuildé, tatoué, visage remodelé à coups de bistouris, Thierry Mugler explique avoir voulu reconstruire « sa maison corporelle » et ne plus être reconnu. Il va jusqu’à changer de nom, se rebaptisant Manfred T. Mugler, revendiquant – à la surprise générale – l’avoir toujours porté.
Un nouveau storytelling qui s’accompagne d’une nouvelle vocation avec, en 2013, le lancement des Mugler Follies, une revue que l’ex-styliste créée et met en scène lui-même au Théâtre Comédia de Paris, avant de faire sensation à Berlin avec « The Wyld » un spectacle de cabaret au goût douteux porté par Cindy Sander, ex-figure de télé-réalité célèbre pour son inégalable tube « Papillon de Lumière. »
Fin 2019, il renoue avec la danse et la chorégraphie avec le spectacle McGregor + Mugler au London Coliseum avant d’enchaîner avec le vernissage au Kunsthal de Rotterdam d’une rétrospective, Couturissime, consacrée à ses plus belles créations mode. « Thierry Mugler a développé un vocabulaire qui n’existe plus dans la mode actuelle. » précise le commissaire de l’exposition. « Son exploration du body conscious, c’était le new-new look : les épaules larges, les tailles cintrées, les accessoires bijoux, c’est ce après quoi tout le monde court aujourd’hui. » conclut-il. On ne va pas le contredire.
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