Créateur au firmament, Nicolas Ghesquière, le directeur artistique des collections femme de Louis Vuitton, nous invite au coeur de son univers. Dans son atelier, sa maison et ses lieux fétiches, il nous présente la bande avec laquelle il révolutionne la mode.
Dans quelques jours, cela fera six ans que Nicolas Ghesquière imagine la femme chez Louis Vuitton, maison polyphonique et rayonnante. Et c’est un beau cadeau que le créateur nous fait là, en nous invitant à partager son univers stylistique, amical et intime. Nous voici au coeur de sa vie, parmi les gens qu’il aime, dans les endroits qu’il affectionne. Au bar Hemigway, alcôve sophistiquée du Ritz, dans son bureau personnel, quai Voltaire, chez lui dans le Marais, ou au Pont-Neuf, l’immeuble amiral de Vuitton. Une promenade parisienne qui pourrait symboliser le parcours du designer, le narrer, voire y déceler ses confidences. Comme le bilan serein d’un directeur artistique qui annonçait l’année dernière le renouvellement de son contrat avec LVMH : « Ce sont des moments qui font partie de ma réalité et j’ai construit des relations et des amitiés avec toutes ces personnes. C’est ma famille, une famille de mode, certes, mais vraiment ma famille. Ma vie et mon travail sont étroitement liés, avec bonheur, d’ailleurs. Ils me sont tous proches. J’ai différentes interactions avec chacun d’eux, mais tous m’accompagnent. Leurs différences m’inspirent. Ils sont tous créatifs dans leurs domaines respectifs. Nos histoires s’entremêlent. Nous pouvons avoir des discussions enflammées, des accords, des désaccords. C’est une chance. »
Ses proches, sa plus grande source d’inspiration
Qu’elles soient très connues ou dans la proximité de son studio, chacune des personnes ici présentes détient une partie du paysage de Nicolas Ghesquière. « Dans le fond, un condensé de ma vie », dit-il. L’iconique Grace Coddington « que je connais depuis plus de vingt ans et que je vois dès que nous sommes dans la même ville ». Les actrices comme Jennifer Connelly, qu’il rencontre quand il réalise sa robe pour les Oscar en 2002 (où elle a été récompensée pour « Un homme d’exception ») et, depuis, très sincère amie. La fascinante Alicia Vikander. Léa Seydoux, « magnifique ! Sa sensibilité sur mon travail m’apporte beaucoup. J’aime sa légèreté et son humour ! ». Doona Bae, émouvante comédienne sud-coréenne. Marina Foïs, la super copine. Justin Theroux, le grand copain. Jaden Smith, l’adorable. Stacy Martin et Ruth Negga qu’il accueille avec joie : « Il y a un naturel, une conversation sans transition avec elles, sans posture préalable. » Il évoque également l’artiste Woodkid, « qui vient d’arriver dans mon histoire et avec qui j’ai des discussions passionnantes sur la musique ». Le footballeur japonais Hidetoshi Nakata : « Quinze ans d’amitié ! »
Et puis il y a les très proches collaborateurs, ceux qui participent à la rigueur de son travail, connaissent ses secrets de création. Florent Buonomano, son précieux bras droit, apporte et organise tout un champ d’idées, de l’élaboration des collections jusqu’à la scénographie d’un show : « Nous avons commencé à travailler ensemble quand il avait 19 ans. Il en a 31 aujourd’hui. » Marie-Amélie Sauvé, grande rédactrice de mode et amie de toujours. Nicolas Ghesquière l’avoue, ces longues histoires sont consubstantielles de son talent : « J’ai besoin de grande fidélité, j’ai besoin de pactes d’amitié. La mode est une passion dévorante et chronophage. Alors avoir la chance de s’entourer de personnes avec qui je m’entends et avec qui je peux partager, c’est une grande qualité de vie. » Et puis il y a Natacha Ramsay-Levi, aujourd’hui chez Chloé, et Julien Dossena, designer pour Paco Rabanne, qui ont fait leur éducation stylistique à ses côtés. Il est touchant, Nicolas Ghesquière, qui accepte à peine d’être une figure tutélaire : « Je le concède, j’ai du mal à laisser partir ceux que j’aime. Parce qu’ils ont grandi avec moi, et j’ai aussi évolué avec eux. J’ai pris de la bouteille avec eux. Je commence juste à réaliser que je peux moi-même engendrer une filiation créative. »
Il raconte ses jeunes années chez Jean Paul Gaultier, ces jeunes années auxquelles il a rendu hommage à travers la collection de cet hiver, défilant dans un Centre Pompidou reconstitué, qui illustre pour lui toute la vigueur stylistique des années 1980 à Paris. C’est son école : « En fait, je viens de là, profondément. Je ne suis pas resté longtemps et j’ai eu un rôle mineur chez Jean Paul, mais je le revendique, parce que je suis très fier d’être passé chez lui. Il a été fondateur, je suis dans cet esprit, et je m’inscris dans cette lignée. »
Aujourd’hui, il assiste avec bienveillance aux défilés de Natacha Ramsay-Levi et de Julien Dossena. Il se souvient de Natacha, « toute petite, elle avait 19 ans et venait faire un stage… », et de Julien, il y a treize ans, réservé, mais à l’assurance déjà affichée. Il a créé sa propre bande. Les discussions entre créateurs lui sont essentielles. « Ils viennent me consulter, et réciproquement. On parle de choses assez techniques, spécifiques, parfois obsessionnelles ou stratégiques. On échange aussi sur les aléas des relations diplomatiques et politiques de la mode et du luxe. On se rassure, on s’encourage, on se questionne, on aime le jeu de la compétition. On se retrouve, on s’engueule, on se réconcilie. Il n’y a pas de distance de sécurité. C’est une bonne émulation. Oui, c’est un langage qui n’appartient qu’à nous et me remplit de bonheur. J’ai tellement attendu cela. J’ai attendu cela depuis très longtemps. Cela me rend heureux et j’éprouve de la fierté à les voir s’exprimer, avancer, forger leur style. C’est une belle dynamique qui, à mon avis, va continuer, car d’autres vont prendre leur envol. C’est un challenge chez Vuitton : garder cet esprit vivant. Une volonté de partage, de ne pas être dans une tour d’ivoire et de créer l’échange. »
Le Vuitton de Nicolas Ghesquière
Cette interactivité, il l’anime au coeur même de son studio où tout est dialogue, jusqu’aux mannequins qu’il n’hésite pas à consulter pendant l’élaboration d’une collection. Il reviendrait même à cette idée un peu surannée de la mannequin maison que l’on pouvait trouver dans les salons d’Yves Saint Laurent ou d’Azzedine Alaïa. Ces mannequins fidèles à un seul homme qui participent à la culture d’une certaine mode. Il y a Oudey, 22 ans, qui a créé sa marque de vêtements masculins (Sainte Sévère). Klara, 27 ans, actrice et musicienne, qui sortira un album prochainement. Clémentine, 20 ans, qui vient de Belgique et est étudiante en photographie à Tournai. Mariam, 21 ans, élève ingénieure à l’ESPCI (Ècole supérieure de physique et de chimie industrielles), qu’on s’amuse à surnommer « la future Marie Curie ». Ambar, 21 ans, découverte par Louis Vuitton il y a trois ans. Et Krow, 23 ans, mannequin canadien en transition, si charmant, qui sort un documentaire sur son évolution de femme à homme à la fin de cette année. « Ces mannequins sont tous en exclu chez nous. J’y tiens. Je tiens à les présenter. Ce sont de vraies personnalités qui me suivent, qui grandissent ici et sont partie prenante dans ma création. Ça me plaît de les voir sortir avec l’équipe, créer des liens. Ils sont tous copains. La plupart font des études, et cette exclusivité leur permet de continuer sereinement dans leur voie. C’est une sorte d’incubateur junior qui répond à des choses plus établies. C’est une jolie histoire que je construis chez Louis Vuitton. Ils sont plus ou moins francophones ou francophiles, j’aime cette sorte de culture française qui émane de cette cabine particulière. »
Six ans donc dans la plus grande maison de luxe du monde, qui compte plus de 400 magasins dans une soixantaine de pays. Il y a six ans, il traversait la Seine, passait le seuil de ce bel immeuble qui domine le fleuve, navire amarré au Pont-Neuf, un peu impressionné quand même. Il parle de sa rencontre avec Delphine Arnault, directrice générale adjointe de la maison, savoure la fierté d’avoir « oui, été choisi par elle », la remercie pour ses encouragements et le respect qu’elle a pour les créateurs : « On réfléchit ensemble. Il y a une vraie complicité entre nous. Nous sommes arrivés quasiment en même temps chez Louis Vuitton. C’était une nouvelle aventure pour nous deux. Nous avons beaucoup travaillé pour installer de nouveaux codes de maroquinerie. Et le travail a payé avec les succès des nouveaux sacs comme le ‘Twist’, le ‘City Steamer’ ou le ‘Dauphine’. C’est très gratifiant. »
Tant de saisons ont passé depuis, autant de collections qui se juxtaposent. « J’espère que ce qu’il reste, c’est un style. Ce qui m’importe, c’est la somme de travail qui contribue à l’avancée de cette maison, développer un vocabulaire, qui m’appartient, certes, mais forge un caractère pour Vuitton. C’est une histoire de mode récente, qui a à peine plus de vingt ans. Il y a eu Marc Jacobs qui a été le premier bâtisseur. Je suis le deuxième. Et c’est un rôle très intéressant, une fonction neuve, donc très désirable. » Nicolas Ghesquière ne répond plus à une figure majeure de la couture, si imposante comme le fut Cristobal Balenciaga, dont il tint la maison pendant quinze ans. Il participe aujourd’hui à un autre genre de récit. Il répond à un artisan, Louis Vuitton, attaché à la fonctionnalité et au savoir-faire. Une histoire qui le touche, celle d’un homme, autodidacte comme lui, dont la création est née d’interrogations sur l’amélioration de ses malles. L’approche est différente : « Ici, c’est une histoire de mouvement, et mon inspiration part de là. Il y a toujours une idée de fonction sous-jacente, un vestiaire global. Le vêtement doit participer à ce mouvement. Une garde-robe assez classique à laquelle je vais ajouter des choses plus hybrides et expérimentales. Un collage qui correspond à des voyages dans le temps, des mélanges d’époque. C’est mon collage à moi. » Tout comme sa collection de l’été prochain part de la maison familiale de Louis Vuitton, à Asnières, une ode architecturale à l’Art nouveau qui l’a emporté vers la Belle Èpoque, période élégante et enthousiaste. Il en exhale l’esprit pour façonner des vêtements d’aujourd’hui. « Louis Vuitton est une maison assez fascinante, qui part dans plusieurs directions et il faut savoir bouger à l’intérieur. Une célébration du patrimoine, mais une volonté d’avancer sans cesse. Ce sont des voyages physiques, mais aussi virtuels. Et puis ce Louis Vuitton, instinctif et visionnaire, qui regarde le monde évoluer autour de lui et qui s’y adapte. Un inventeur qui, à des questions personnelles qu’il se pose, fournit des réponses universelles. J’adore cette idée-là, elle me passionne. »
Sa maxime : ne jamais oublier que ce qui est intemporel aujourd’hui a été nouveau un jour. C’est ainsi qu’il a envisagé la fameuse « Petite Malle », exemple notoire de sa réflexion. Ou comment adapter la malle Vuitton initiale à notre vie moderne. Garder la consistance du message en le transposant dans le XXIème siècle. Son tout premier sac que l’on découvre dès son premier défilé et qui devient un classique. Réussite hallucinante où l’on voit le noble rôle du directeur artistique « faire découvrir des choses qui sont de l’ordre de l’esthétique et de l’émotion. Et quand on y adhère, c’est la plus belle des récompenses ». Nicolas Ghesquière continue sa route de fashion designer, il n’y a que cela qui l’intéresse avec le voeu secret de laisser une empreinte stylistique. Il s’y attelle consciencieusement et l’avenir qu’il aime à imaginer dans sa mode lui ouvre tant de perspectives. Faites-lui confiance, l’aventure continue…
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