Cet hiver, les illuminations de Noël ne seront pas à la fête. Même les décorations des Champs-Élysées s’éteindront à 22 heures pétantes, pour respecter les consignes de sobriété énergétique.
Et gare à celles et ceux qui se croiraient encore au château de Versailles, les militants écolos d’Extinction Rebellion veillent et grimpent la nuit sur les façades des boutiques réfractaires pour éteindre l’électricité. Alors, faut-il se préparer à passer le réveillon en doudoune et en col roulé ? Adopter un total look noir pour faire corps avec le climat d’austérité du moment ?
Pas sûr, car pour l’heure, la mode résiste et fait flamber ses couleurs, ses tissus et ses ornements les plus festifs.
Le musée des Arts décoratifs de Paris célèbre ainsi les années 80, décennie du fric, de la surconsommation, de la frime, des fêtes au Palace et des célébrités kitsch.
Quant au musée Yves Saint Laurent, il dédie une exposition à l’or, objet de fascination du couturier qui considérait que « le soir doit briller, sans cela il serait un peu ridicule… » où l’on peut admirer une incroyable robe sarcophage brodée de paillettes dorées et de fausses pierres précieuses datant de 1966 qui ne déparerait pas sur les podiums de l’automne-hiver 2022-2023.
Le retour de la tendance bling sur les podiums
Car voilà, le vêtement d’apparat et d’influence qui a fait ses preuves depuis Cléopâtre est au cœur de toutes les collections. Hédoniste, opulent voire décadent, le vestiaire de la saison brille de mille feux à grand renfort de sequins, strass, teintes fortes, vinyles sexy et corps sacralisés.
Chez Dolce & Gabbana, maîtres du genre baroque, les vestes XXL et les pantalons de « zouave » s’habillent d’or liquide, les mini-robes péplum ressemblent à des armures façon Roi Soleil chez Paco Rabanne.
Même le maquillage adopte des accents joailliers : regards cernés de perles et de cabochons de cristaux chez Simone Rocha ou tatouages-logos en strass pour Burberry.
Le multimarque en ligne Net-a-porter a trouvé une expression pour qualifier cette tendance : le trophy dressing (littéralement « vestiaire trophée »).
« Il s’agit des pièces les plus scintillantes, brillantes, parfaites pour attirer les pies des réseaux sociaux du monde de la mode », explique Libby Page, market editor du site de vente anglais.
Alors, bien sûr, la période de fin d’année est toujours propice à des collections plus glamour, mais depuis la pandémie, cette envie de briller et d’affirmer son humeur festive et son optimisme s’est imposée durablement.
« Pendant le confinement, le vêtement s’est essentiellement cantonné au rôle de pansement, nous expliquait en 2021 Nathalie Rozborski, alors directrice générale déléguée du bureau de style Nelly Rodi. Une fois les restrictions levées, beaucoup ont eu envie de renouer avec sa dimension sociale, qui consiste aussi à se faire remarquer. En ce sens, la mode est un formidable instrument de reconquête. »
On a ainsi vu revenir en force le vestiaire clinquant sur les tapis rouges, notamment au Met Gala 2022 qui, en mai dernier, rendait hommage à l’âge d’or hollywoodien et à ses stars légendaires.
De Zoë Kravitz à Kendall Jenner, les secondes peaux nude brodées de strass étaient partout. Et surtout sur Kim Kardashian, qui poussait loin le mimétisme d’un glamour ultra-érotisé en portant la robe incrustée de cristaux que Marilyn Monroe arborait en 1962.
Un clin d’œil, aussi, aux années 90-2000 qui ont exploré toutes les facettes d’un brillant opulent (piercing au nombril et mini-sac strassé), vite qualifié de bling-bling, référence aux bijoux XXL et endiamantés des stars du hip-hop (chez Taschen, un beau livre vient d’ailleurs retracer l’histoire de la joaillerie du rap : Ice Cold: A Jewelry Hip-Hop History, de Vikky Tobak).
Et dont Paris Hilton demeure encore à ce jour l’icône absolue, revival actuel des « Y2K » oblige. L’héritière et ancienne star de la télé-réalité a d’ailleurs clôturé le défilé Versace printemps-été 2023 dans une robe qui n’était pas sans rappeler le modèle en mesh de cristal réalisé par Julien Macdonald pour l’anniversaire de ses 21 ans…
Les gens s’habillent pour Internet, où la quantité d’images fait qu’il est plus difficile de s’y distinguer que dans la vraie vie. Pour s’y faire voir, il faut mettre le paquet.
« Le bling, c’est un plaisir immédiat qui n’est pas du tout rationnel, explique Olivia da Costa, fan de mode et fondatrice de Pleaseness, une marque de bijoux vintage qui vient de s’installer au Printemps Haussmann. Je suis attirée par tout ce qui brille comme une enfant par une boîte de bonbons. C’est pour cela que j’aime autant les bijoux : il me suffit de mettre, le matin, une paire de boucles d’oreilles dorées ou avec des strass pour me sentir de bonne humeur. Si la tendance Y2K a autant de succès auprès des filles qui ne l’ont pas vécue, ce n’est pas par hasard : pour s’évader de notre époque inquiétante, elles ont envie de s’amuser en assumant un côté kitsch et second degré. »
Mettre des paillettes dans la vie en regardant vers le ciel. Telle est l’inspiration de Massimo Giorgetti. Le créateur de MSGM, qui s’est passionné pour l’astronomie durant la pandémie, est devenu « fou » quand la NASA a découvert au début de l’année Earendel, l’étoile la plus éloignée jamais observée.
Il en est né une collection qui célèbre l’évasion vers des mondes merveilleux à travers des modèles brillants comme des étoiles qu’on n’avait jamais vus chez le créateur, connu pour ses influences streetwear.
Cela passe par des robes laquées de noir explosant de galaxies argentées, des broderies de sequins en forme d’étoiles mais aussi des résilles en cristal, l’une des obsessions du moment, qu’on a observées aussi chez Miu Miu ou Ludovic de Saint Sernin (en version lingerie).
Pourquoi le bling revient en force ?
Une tendance difficile à s’approprier ? Qu’importe, car la question ne se pose peut-être pas vraiment IRL (dans la vraie vie).
Pour Benjamin Simmenauer, professeur à l’Institut français de la mode, le désir est à chercher ailleurs : « Si le goût pour l’ostentation revient aujourd’hui, c’est parce que ce style correspond à une attente propre à notre époque. L’explication la plus simple, selon moi, est que l’on ne cherche pas seulement, à travers la manière dont on s’habille, à capter le regard dans l’espace physique, mais aussi dans l’espace virtuel. Les gens s’habillent pour Internet, où la quantité d’images fait qu’il est plus difficile de s’y distinguer que dans la vraie vie. Pour s’y faire voir, il faut mettre le paquet ».
Car des influenceur·ses qui mettent en scène leur existence dorée à Dubaï aux mannequins qui ouvrent leur dressing de luxe à Vogue en passant par les émissions de téléréalité sur les ultra-riches, l’exhibition d’une opulence décomplexée est devenue aujourd’hui la règle.
« Descendez du jet privé et entrez dans un cercle social de haut vol à Dubaï, où les fêtes somptueuses, les horizons époustouflants et la mode à couper le souffle sont la norme », teasait ainsi Dubai Bling, la série de Netflix qui suit la vie de dix millionnaires autodidactes dans la ville.
« J’ai l’impression qu’une partie de la jeunesse ne se sent vraiment exister qu’à travers l’extension de soi sur TikTok, Instagram… D’où cette « mode augmentée » que l’on compose plus pour le virtuel que pour le réel, poursuit Benjamin Simmenauer. En 2023, cela passe par la nudité ou la quasi-nudité, la couleur « chair » qui la mime, l’ultra-moulant, les gros logos, les opérations de chirurgie plastique qui augmentent les dimensions des lèvres, des seins et des fesses, mais aussi le “liquide” (le vinyle, le cuir) et le « brillant » (les paillettes, les sequins). »
Une manière de s’affirmer de plus en plus fort – et de moins en moins subtilement ? – qui n’en finit pas d’influencer la mode. Et ne semble pas près de s’arrêter.
Avec ses robes de sirène aux textures iridescentes, ses tenues de scène ultra-glam inspirées par Elvis Presley (Helen Anthony), ses capes ruisselantes de glitter (Valentino) ou ses motifs animaliers scintillant comme au bon vieux temps des années 70 (Gucci), le printemps-été 2023 sera spectaculaire ou ne sera pas. The fashion show must go on !
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