- Le trouble dysmorphique du corps, un trouble qui naît dans l’enfance
- Pourquoi la mode rend le quotidien des dysmorphophobes difficile
- Une errance vestimentaire
- Les séquelles de la dysmorphophobie perdurent
« Je ne me vois jamais comme les autres me voient. À aucun moment de ma vie je n’ai aimé mon corps, jamais. » confiait Megan Fox à Sports Illustrated en mai dernier. En tenant ces propos, celle qui a été élue plus belle femme du monde en 2010 a fait comprendre à tous qu’être une icône de beauté n’est pas un bouclier contre les troubles liés à l’apparence.
Comme elle, 1,7 % à 2,9 % de la population mondiale souffrirait de ce que l’on appelle un trouble dysmorphique du corps (TDC). Une déformation de la perception de sa propre image qui fait des ravages à tous les niveaux, que ce soit sur le plan social, amoureux, professionnel…
Pour ces femmes, vivre avec un trouble dysmorphique du corps a des conséquences considérables sur leur rapport à la mode.
Le trouble dysmorphique du corps, un trouble qui naît dans l’enfance
Passer devant une glace et y voir son corps deux à trois fois plus gros qu’il ne l’est vraiment : c’est le concept des miroirs déformants dans les parcs d’attraction. Sauf que pour les dysmorphophobes, terme employé pour désigner celleux qui éprouvent une phobie de leur propre morphologie, c’est loin d’être un amusement.
« Souvent, les personnes dysmorphophobes ont eu un problème de narcissisation dès l’enfance » explique Valérie Grumelin, psychanalyste spécialisée en thérapies comportementales. « C’est un symptôme qui se transmet par rapport au regard du parent ou du grand-parent sur l’enfant ou le petit-enfant. Cela veut dire que la personne ne s’est pas sentie valorisée ou reconnue en tant que telle. »
Stella* a rencontré des problèmes familiaux difficiles étant enfant qui ont provoqué chez elle un trouble du comportement alimentaire (TCA). « J’ai un gros problème avec mon corps et mon poids depuis que j’ai 6 ans. Je n’avais pas encore conscience de ce qu’était la dysmorphophobie mais j’ai commencé à devenir boulimique. »
Même refrain pour Jade*, étudiante de 23 ans. Elle, ce sont les constants reproches de ses parents sur son alimentation et son apparence qui sont à l’origine des TCA qu’elle manifeste à l’adolescence.
Les deux femmes développent alors une détestation de leur propre corps. Elles se voient plus grosses qu’elles ne le sont et se retrouver face à un miroir les angoisse.
« Ces préoccupations peuvent avoir un impact négatif sur des domaines importants de la vie. Elles peuvent, notamment, rendre difficile l’établissement de relations sociales ou amoureuses » analyse Maria Hejnar, psychologue clinicienne-psychanalyste.
Si Jade comprend dès ses 13 ans de quoi elle souffre, Stella le comprendra très tardivement mais il s’agit d’une dysmorphophobie.
Ce trouble va impacter un pan de leur vie qui repose essentiellement sur l’image extérieure : la mode.
Pourquoi la mode rend le quotidien des dysmorphophobes difficile
L’industrie de la mode a toujours voué un culte aux corps très minces. Ils sont partout : sur les podiums de défilés, dans les magazines, et jusque dans le sizing des vêtements où les corps gros ne sont absolument pas pris en compte.
Résultat ? Le manque de représentation des différentes morphologies créent des complexes à tous ceux qui n’ont pas « le » look.
Pour les dysmorphophobes, cela ne fait que rendre encore plus complexe la perception qu’ils ont de leur apparence.
Dans le cas de Jade, voir des filles minces dans des campagnes publicitaires a nourrit des désillusions.
Elle raconte : « Quand j’étais au collège est apparue la mode des hoodies oversized. Évidemment sur une fille fine et sur une fine grosse, ça ne rend pas pareil. Je me sentais mince dans mon pull étant donné qu’on m’avait vendu cette image du hoodie trop grand, j’avais l’impression de pouvoir m’approprier un corps en achetant le vêtement alors que c’était faux. »
« Parce que mon corps était mal fait, j’étais rejetée par l’industrie de la mode et par mes camarades de l’école »
Stella elle s’est retrouvée au carrefour de deux problèmes. Il y a une dizaine d’années, à l’époque où elle est au collège, les marques en vogue comme Naf Naf, Pimkie et Jennyfer ne proposent pas de vêtements en taille 44. « Je ne pouvais pas porter ce qui était à la mode » précise celle qui est chargée de communication.
Elle explique : « J’avais la sensation que mon corps n’était pas fait pour ces vêtements et que, parce qu’il était mal fait, j’étais rejetée par l’industrie de la mode et par mes camarades de l’école. »
Pour compenser, c’est sur des vêtements standards achetés à Carrefour qu’elle a dû se rabattre mais ses camarades ont profité de ce décalage pour faire d’elle l’objets de moqueries répétées.
La seule solution qu’elle a trouvé pour être dans le coup aura été d’acheter un sac Eastpack comme tous les autres enfants.
On en vient à se poser une question simple. Comment s’habiller quand la vision qu’on a de soi est incorrecte ? Les personnes atteintes de dysmorphophophobie adoptent presque systématiquement la même astuce vestimentaire.
Une errance vestimentaire
« Cachez ce corps que je ne saurai voir ! », c’est en quelque sorte le leitmotiv des personnes dysmorphophobes. Puisque leur regard vis-à-vis d’eux-même est biaisé et peu supportable, le meilleur moyen est de porter des vêtements larges.
Aujourd’hui encore, l’étudiante de 23 ans use de ce stratagème. Jade : « Je n’ai pas un style qui cherche à s’effacer mais il y a des jours où dès le réveil, je ne le sens pas. Dans ce cas j’opte pour des vêtements amples et des pièces coupe baggys pour ne pas sentir mon corps et ne pas me sentir enfermée dans un vêtement. »
Ironiquement, ses proches admirent sa singularité stylistique et pensent qu’elle a choisi ce look « de skateuse » parce qu’elle l’affectionne.
Stella, 36 ans, a adopté cette méthode la majeure partie de sa vie, si bien que c’est ce qui a retardé sa prise de conscience vis-à-vis de son TDC. Après avoir quitté son noyau familial au terme du lycée, les problèmes de boulimie de la jeune femme s’atténuent et elle se met à mincir naturellement.
Pendant de longues années, elle continue pourtant à acheter des vêtements en taille 44. Du moins, jusqu’au jour où elle a le déclic.
« Je continuais à acheter des vêtements dans des tailles qui n’étaient absolument pas les miennes mais celles de mon esprit »
C’est lors d’une virée shopping aux Galeries Lafayette qu’elle prend conscience de sa dysmorphophobie. Au sortir des cabines d’essayages, la vendeuse du magasin interpelle Stella et lui demande si ses essayages se sont bien passé. « Je lui répond que rien n’allait et elle me dit « Mais pourquoi vous n’avez pas pris votre taille ? »
En un coup d’oeil, la vendeuse remarque que Stella a choisi des vêtements beaucoup trop grands pour sa morphologie. Dans ses mains, des vêtements en 42 alors qu’elle fait en réalité du 36-38.
« J’avais trop peur de l’humiliation que ça aurait été de ne pas réussir à enfiler un pantalon ou d’avoir la cuisse qui coince. » avoue la jeune femme atteinte de dysmorphophobie depuis l’école primaire.
Elle conclut : « C’est à ce moment là que je me suis rendu compte que je continuais à acheter des vêtements dans des tailles qui n’étaient absolument pas les miennes mais celles de mon esprit. »
Depuis un peu plus de deux ans, la chargée de communication se dit en paix avec son corps et sa relation aux vêtements.
Les séquelles de la dysmorphophobie perdurent
La prise de conscience du trouble et les années qui passent ont permis aujourd’hui à Stella et Jade de prendre du recul sur la situation.
L’étudiante en histoire pense que les premiers signes de dysmorphophobie se sont présentées plus tôt qu’elle ne le croyait : « récemment j’ai retrouvé des photos de moi en primaire. Sur la photo, je rentre le ventre et mes côtes ressortent. En voyant cette image j’ai compris que ça devait déjà me travaillé à cette époque-là. »
Si ce n’était pas le cas à l’époque, elle porte aujourd’hui un regard bienveillant sur le corps qu’elle avait au collège.
Pour autant, la jeune femme a encore du mal à se libérer complètement des règles vestimentaires qu’elle s’est imposée. Contrairement à son groupe d’amies, elle ne s’autorise pas à porter des vêtements courts et moulants parce que ses jambes la complexent encore. Le simple reflet de son corps dans une vitrine peut « casser totalement [sa] confiance en [elle]. »
Raison pour laquelle elle a trouvé un remède qui l’aide à mieux vivre avec son trouble dysmorphique du corps : « J’appelle ça des jours sans miroir. Ce sont les journées où je vais esquiver absolument tout ce qui me représente, c’est-à-dire que je ne regarde pas les miroirs et je ne prends pas de photos. »
Encore aujourd’hui, Stella porte un regard assez difficile sur son rapport à la mode.
« Tous les matins, ça m’obsède. Quand j’ouvre mon placard je me dis que rien ne me va alors que je possède des vêtements dans toutes les tailles. » Même sa perte de poids n’a pas achevé de mettre un terme à ses traumatismes liées à sa boulimie et son surpoids.
« J’ai cette haine enfouie de mon corps et cette crainte qu’il me fasse subir la même profonde tristesse et solitude que j’ai ressentie par le passé. J’ai conscience que je devrais m’en libérer mais quand je rencontre de nouvelles personnes, j’ai peur qu’ils découvrent ce passé dont j’ai très honte. »
Faire une thérapie en ouvrant le livre intérieur de soi à soi
Actuellement enceinte de son premier enfant, elle angoisse à l’idée de revoir les chiffres de la balance grimper et de devoir se séparer des vêtements qu’elle portait enfin à sa taille. Pour ne pas créer d’angoisse, elle les a caché à l’abri de son regard.
Les deux femmes qui ont accepté de délivrer leur expérience n’ont jamais pensé à s’adresser à un psychologue.
Maria Hejnar, Psychologue clinicienne-Psychanalyste, explique que dans les cas où la dysmorphophobie est très prononcée, « le traitement par des antipsychotiques peut s’avérer nécessaire pour éviter les automutilations et les suicides. »
Son homologue Valérie Grumelin, psychanalyste, soutient que l’unique solution pour se réconcilier avec son corps et, par le même temps son rapport à la mode, est d’entreprendre une thérapie.
« Pour s’apprécier, le seul remède est d’arrêter de se laisser influencer par le regard des autres et commencer à avoir un vrai regard sur soi-même donc faire une thérapie en ouvrant le livre intérieur de soi à soi et comprendre pourquoi on ne s’aime pas. »
*Les prénoms Jade et Stella ont été donnés pour respecter l’anonymat des témoins
Source: Lire L’Article Complet