Puisque plus rien ne semble avoir de sens, la chaussure la plus populaire du monde en ce moment n’est pas une collaboration habituelle avec un designer de mode comme Virgil Abloh. Ce n’est pas non plus un design d’une star de l’entertainment du niveau de Travis Scott. Ce n’est pas non plus une chaussure super-luxe, une oeuvre de design. Au lieu de ça, pour la plus grosse sortie de 2020, Nike s’est associé avec une marque que l’on voit habituellement au rayon surgelés au supermarché – Ben & Jerry’s – pour une réinterpréation de la silhouette Dunk qui ressemble au souvenir d’un trip sous LSD. Voici la Chunky Dunky.
Son design scandalisera certains. Le coloris de la chaussure emprunte à la scène de l’emballage des pots de glaces Ben & Jerry’s : une vache sur fond de prairies vertes et de ciel bleu. Le Swoosh Nike sur le côté est en train de fondre comme une boule de glace sur un cône un jour d’été. La doublure intérieur est tie dye façon hippie. Il y a plus de choses sur cette chaussure que dans un sundae dont les ingrédients auraient été choisis par un enfant en bas âge. Vu sous n’importe quel angle, c’est ridicule.
Mais la Chunky Dunky, qui a été mise en vente 100$ par Nike, s’est retrouvée immédiatement en rupture de stock. Plus impressionnant encore, elle s’échange désormais à un prix moyen de 1609$ sur le site de revente StockX. L’édition Friends & Family de la chaussure, qui arrivait dans un pot de glace de la taille des sneakers, part pour 3828$. La dernière collaboration avec une marque de grande distribution qui a aussi bien fonctionné était une paire faite avec Heineken il y a presque vingt ans.
Pourquoi donc la Chunky Dunky est la plus grosse sortie sneaker de l’année jusqu’à présent ?
Le succès de la Chunky Dunky tient en bien plus de choses qu’une chaussure : c’est une démonstration de la capacité de Nike a faire des hits en jouant sur ses silhouettes, en créant de la hype et sortant des paires au goutte à goutte. “C’est juste de l’offre et de la demande”, explique Josh Luber, le cofondateur de StockX. “C’est la base des cours d’économie. Et cette paire est vraiment limitée.” Donc voici la réponse la plus évidente : le succès de la Chunky Dunky est prédit par sa nature d’édition limitée. Malgré tout, cela ne peut pas être la seule raison. Si je vous disais que je vendais une paire de sneakers limitée à seulement cinq exemplaires dans le monde, est-ce que vous les achèteriez ? C’est peu probable. Les revendeurs professionnels qui essayent de faire partir la Chunky Dunky pour près de 2000$ n’y parviendraient pas sans ceux qui veulent vraiment porter la chaussure ou la garder comme une sorte d’investissement.
Voici donc une autre théorie : le succès de la Chunky Dunky est moins dû au design spécifique ou à la quantité qu’à sa lignée. La dernière grosse sortie populaire de Nike était la Dunk Travis Scott qui est montée à 1522$ sur StockX. La chaussure de Travis Scott étaient aussi une Dunk SB dessinée sans contrainte : elle mélangeait imprimés tartan et bandana. Peut-être sans surprise, elle s’est instantanément retrouvée au top des wishlists de tous les sneakerheads. Oubliez le design, ce qui compte peut-être le plus, c’est le fait qu’il s’agisse d’une Dunk. Parce que pour le moment, 2020 est l’année de la Dunk : en plus des paires Ben & Jerry’s et Travis Scott, Nike a sorti les “Brazils” vert-et-jaune, une collaboration avec Comme des Garçons et une édition universitaire qui emprunte les couleurs de Syracuse et Kentucky. “Il y a une grosse ré-émergence de la SB Dunk et tout particulièrement de la SB Dunk Low et évidemment Travis y est pour beaucoup”, explique Luber. “Si ça avait été le contraire, si la Chunky Dunky était sortie avant la Dunk de Travis Scott, alors elle n’aurait probablement pas eu autant de succès”. En d’autres mots : le succès de la Dunk a été prémédité et la Chunky Dunky est le dernier modèle à en profiter.
Le succès de la Dunk est aussi connecté à un plus gros changement dans le type de sneakers qui nous plaisent. “La raison pour laquelle la Dunk a toujours été le modèle idéal pour produire de super designs, et qu’elle est tellement iconique, est la même raison que pour la Jordan 1 : elle est juste très, très portable”, dit Luber. Il fait remarquer que les modèles suivants de Jordan et même de Kobe qui sont très populaires chez les joueurs pro de basketball aujourd’hui, ressemblent à de vraies chaussures pour faire du sport : les chaussures de basketball représentent moins de 4% des ventes de chaussures de sport, comparé à 13% en 2014 selon les données de NPD. D’un autre côté, les Dunks ont un attrait universel et leur popularité dès le départ fait qu’elles sont mûres pour un comeback. “Nike est le roi pour choisir les modèles gagnants en vendant une histoire, en ramenant une chaussure comme la Dunk du cimetière et à répondre au besoin d’un consommateur qui achète des chaussures en fonction de la pop culture plutôt que de la reconnaissance d’un athlète”, explique le revendeur influent Corgishoe.
Je veux bien admettre que le succès de la chaussure est un mystère pour moi, le vieil homme qui s’insurge contre le ciel bleu du pot de Ben & Jerry’s. Toutes ces couleurs excentriques sont précisément calibrées pour aller ensemble explique Corgishoe : “Strictement en terme de design”, dit-il, la chaussure est “incroyablement bien exécutée”. (Même s’il fait remarquer qu’en tant qu’“homme adulte d’un certain âge”, il “ne penserait jamais à les porter”.) Luber lui aussi est fan. Dans le monde des sneakers d’aujourd’hui régi par les réseaux sociaux, aucune chaussure ne va très loin sans être instantanément reconnaissable.
Mais peut-être que l’attrait de la Chunky Dunky est encore plus simple. J’ai, un jour ou l’autre, vidé un ou deux pots de glace donc je suppose que je comprends que pour Ben & Jerry’s, le manque de modération jusqu’à devenir un hédonisme est en quelque sorte tout ce qui compte.
Via GQ US
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