Installé à Paris depuis trente ans, le styliste camerounais Imane Ayissi est le premier créateur d’Afrique sub-saharienne invité à défiler dans le calendrier officiel de la Fédération de la haute couture et de la mode. Rencontre avec un autodidacte au parcours atypique.
«D’abord, je n’y ai pas cru. Je suis resté bouche bée, puis je me suis mis à pleurer». Lorsqu’il a appris en novembre dernier qu’il allait rejoindre le calendrier officiel de la Haute Couture en tant que membre invité, Imane Ayissi n’a pu retenir ses larmes. Des larmes de tristesse tout d’abord en pensant au chemin parcouru depuis son arrivée en France et à ses proches disparus. Puis, très vite, des larmes de joie. «C’est une grande reconnaissance pour toute l’Afrique. C’est la première fois qu’un créateur noir d’Afrique sub-saharienne entre dans cette cour, je crois qu’il faut le célébrer. Après la collection croisière de Dior dédiée à l’Afrique, le Prix LVMH décerné au styliste sud-africain Thebe Magugu ou encore la collaboration H&M avec la griffe sud-africaine Mantsho, la haute couture se tourne elle aussi vers le continent africain.
Danseur, mannequin et styliste autodidacte
Installé en France depuis 1992, Imane Ayissi dit avoir «fait beaucoup de sacrifices» pour réussir dans le milieu de la mode. Né à Yaoundé dans une famille «modeste mais connue», il se joint à la troupe de danse familiale des «frères Ayissi», avant d’intégrer le ballet national du Cameroun. Sa carrière le conduit à l’étranger, en Afrique tout d’abord puis en Europe, où il travaille notamment avec le danseur étoile Patrick Dupont. Enchaînant les ballets, les clips et les tournées, Imane Ayissi n’oublie pas sa passion pour la couture. Une passion héritée de sa mère, première Miss Cameroun après l’indépendance. «J’ai commencé mon apprentissage en démontant et en remontant ses robes. C’est pour elle que j’ai fait mes premiers croquis de mode.» Entièrement autodidacte, il fait ses armes dans le plus grand atelier de prêt-à-porter du Cameroun. Là-bas, il apprend à prendre des mesures, à travailler sur la toile, à faire des moulages sur Stockman.
«Quand je suis arrivé en France, je suis reparti à zéro», se souvient le couturier. Tout en poursuivant sa carrière de danseur, Imane se lance dans le mannequinat et défile pour les plus grandes griffes : Dior, Lanvin, Yves Saint Laurent, Valentino, Givenchy, Pierre Cardin. Et c’est pendant les essayages en tant que mannequin cabine qu’il découvre les coulisses des maisons de couture. «J’ai beaucoup appris en observant et en faisant mes propres recherches. Le soir, dans mon studio, je travaillais sans relâche sur la petite machine que j’avais achetée.» Un an après son arrivée en France, le styliste encore amateur monte sa première collection composée de cent robes «toutes à pois sur fond bleu. Avec le recul, je pense qu’une ou deux tenaient vraiment la route», avoue-t-il en riant.
Mini-robe blouson en kente traditionnel du Ghana, collection automne-hiver 2019-2020 (bottes by Goya).
Depuis sept ans, le créateur s’est transformé en ambassadeur des tissus africains, qu’il aime associer à des étoffes venues d’Italie, de France, d’Angleterre, de Chine ou du Japon. Avec ses manteaux en kenté du Ghana, ses tops en mandjaque du Sénégal, ses robes en dentelles de raphia du Cameroun ou en fasso dan fani du Burkina Faso, il rend hommage aux artisans et les pousse vers l’excellence. «C’est très compliqué d’imposer les critères de qualité de la haute couture à des artisans africains. Il faut souvent faire plusieurs essais et plusieurs renvois pour arriver au bon résultat. C’est une perte d’énergie, de temps et d’argent. Mais on apprend et on avance ensemble.» Depuis plusieurs années, le couturier s’est lancé dans un travail de recherche sur les textiles africains afin de trouver les artisans capables de sublimer ce patrimoine et lui offrir une visibilité internationale.
Une mode encore trop « façon-façon »
«Je veux montrer que le monde est un petit village. Grâce au numérique, on peut voir mes créations jusqu’au fin fond du Japon, des États-Unis, de l’Afrique. Tout va très vite et ça veut dire qu’on a intérêt à bien faire les choses aussi. Or, la mode africaine, c’est encore trop souvent du «façon-façon», du «coupé-cloué», comme on dit chez nous. Les kenté, par exemple, sont tissés en bandes et se portent en drapé. C’est rare de voir des kente coupés en robe, car c’est dur à déconstruire. » Pourtant, le créateur en a fait l’un de ses tissus signature qu’il décline en manteau long et trois-quarts, et l’an dernier en robe-blouson faussement casual. Soucieux de l’impact de la mode sur l’environnement, le créateur impose l’utilisation de fils bio et de teintures végétales pour toute sa production.
Imane Ayissi dans son atelier du Xe arrondissement de Paris.
Veillant au moindre détail, le designer camerounais se retrouve dans les valeurs de la haute couture. «Je vise l’excellence. J’aime l’idée d’un vêtement unique porté par des clientes qui reconnaissent le savoir-faire, la valeur du travail et l’histoire du créateur, ça m’a toujours fasciné.» Inspiré par Yves Saint Laurent, Madeleine Vionnet, Jeanne Lanvin ou encore Jean Patou, le plus parisien des couturiers africains avoue sa préférence pour la tradition, qu’elle soit française ou africaine. «J’adore leur savoir-faire et tout ce qu’ils ont laissé comme héritage. Ils nous ont permis de faire notre métier aujourd’hui et ont marqué leur époque. Jean Paul Gaultier, par exemple, fait partie de ceux dont l’audace a fait évoluer la mode.»
« Akouma », la richesse
Pour ses premiers pas officiels dans la cour des grandes maisons de couture, Imane Ayissi présentera une collection intitulée «Akouma». «Cela veut dire richesse en langue béti du Cameroun. Ça peut être la richesse de tout un continent, d’un pays, d’une ethnie, de toute une famille ou d’une seule personne», explique-t-il enthousiaste. Riche d’un sourire qui le quitte rarement, le quinquagénaire espère que ce premier défilé conduira des investisseurs à s’intéresser à son travail. «Il faut que je puisse sortir deux collections par an pour faire grandir l’affaire. J’ai envie de créer pas mal de choses», dit-il tout en soulignant que cette porte qui s’ouvre à lui est aussi une opportunité pour d’autres talents. «Chez nous, le luxe vient de l’étranger. Il serait temps que l’Afrique fabrique son propre luxe, que l’on achète les créations de nos designers et que l’on prenne enfin la mode au sérieux.»
Source: Lire L’Article Complet