Comment les influenceuses relancent les marques de mode

Jennyfer a lancé ce 9 août 2019 une opération inédite avec l’influenceuse Léna Situations : un t-shirt gratuit à saisir en magasins. Depuis un an, la marque française renaît à travers des collaborations avec des influenceuses. Décryptage.

Dans les années 2000, le magasin Jennyfer était le passage obligatoire de toutes les jeunes filles à l’affût des tendances. Mais comme toutes les marques de fast-fashion françaises, à l’instar de Mim ou encore Pimkie, l’arrivée d’Internet et des géants du retail -H&M et Inditex- l’ont prise de court. Mais depuis maintenant quelques années, l’enseigne française Jennyfer se refait une jeunesse en s’appuyant sur les influenceurs. Ces personnalités publiques issues de la culture web, adulées par la jeune génération, se révèlent être des égéries de choix. 

Le match gagnant

Ce mois-ci, Jennyfer se lance un pari « fou » aux côtés de la youtubeuse Léna Situations, de son vrai nom Léna Mahfouf.

Sur la chaîne YouTube qu’elle tient depuis deux ans, la jeune femme défie les lois de la régularité -talon d’Achille de nombreux youtubeurs- avec ses « vlogs d’août ». L’idée : publier une vidéo par jour pendant tout le mois. Cet été, son challenge est double puisqu’en plus de publier une vidéo quotidiennement, elle dévoile chaque jour un nouveau t-shirt de sa capsule avec Jennyfer. Le 1er août 2019, le coup d’envoi est donné. Jour après jour, les t-shirts font un carton et l’ampleur de leur succès tient en deux mots : « sold out ».

C’est con de faire payer un t-shirt avec un aussi beau message, parce qu’il mérite d’être dans le dressing de tout le monde.

Le 9 août, un nouveau t-shirt né de cette collaboration déchaîne à nouveau les foules. On peut y lire : « it costs $0.00 to be a nice person ! » (cela coûte $0.00 d’être une bonne personne !). Comme un clin d’oeil à cette devise brodée, Léna et la marque française décident d’offrir gratuitement le t-shirt aux clients qui se rendent en magasins. Un pari gagnant qui se confirme en Top Tweet pour Jennyfer autant que son ambassadrice.

Une belle manière de couronner la collaboration que Léna Situations entretient avec Jennyfer depuis bientôt un an. Elle explique : « Ce t-shirt était un cadeau de notre part, parce que bien évidemment les frais ont été pris par Jennyfer pour produire tous les t-shirts. C’était un cadeau de nous à vous, et ça a plu donc je suis ravie. »

La mode au service de l’influence

Si l’influenceuse et ses fans semblent ravies, cette collaboration marque également le retour de Jennyfer, enseigne de prêt-à-porter fondée en 1985 par Gérard Depagniat et David Tordjman, sur le devant de la scène mode. Dès sa création, son style pop et romantique la hausse petit à petit au sommet des marques fétiches des adolescentes de 16 à 21 ans. Et, avec cette popularité vient son « heure de gloire dans les années 90-2000 », comme nous le rapporte Chloé Ortiz, directrice communication de Jennyfer. Au fil des années 2000, ses clientes ont bien grandi et la marque perd un peu de sa superbe auprès de celles qui la vénérait il y a à peine quelques années. La raison ? L’allure pop et acidulée des jeunes filles s’assagit et s’oriente vers un minimalisme contemporain. 

Mais, en 2018, le rachat de Jennyfer par Sébastien Bismuth, ancien dirigeant de la marque de lingerie Undiz, annonce le début d’une nouvelle ère. Nouveau propriétaire, nouvelle équipe, et nouvelles ambitions en commençant par « tout de suite renouveler l’image de marque », précise Chloé Ortiz. L’objectif : lui « redonner une seconde vie ».

Jennyfer entreprend alors une première action coup de poing comme nous explique celle à l’initiative de cette nouvelle dynamique en matière de communication : « On a décidé d’arrêter de communiquer avec les mannequins que l’on voit tous les jours dans la mode. L’idée était de mettre en avant sur toutes nos communications des filles, et maintenant des garçons, qui ont des choses à dire, et viennent de différents milieux sociaux, ont des corps tout à fait divers…. On s’est demandé comment on allait retrouver cette diversité. Notre réponse, a été les influenceurs et leurs communautés, qui représentent très bien notre clientèle. »

Jennyfer adopte une nouvelle méthode : sortir de sa zone de confort dans chacune de ses prises de positions. Dans la foulée, la marque de mode féminine créé une chaîne YouTube, car la plateforme de vidéos est elle aussi un foyer d’influence à part entière. De simples vidéastes souvent autodidactes, les acteurs de la « culture Youtube », dixit Chloé Ortiz, se sont mués en véritables influenceurs. Qu’ils parlent mode, voyages, ou littérature, on se hâte à découvrir l’avis des youtubeurs sur les tendances mode ou même le dernier jeu vidéo en vogue.

Sur ses réseaux sociaux et dans ses campagnes, Jennyfer s’embarque avec une bande d’influenceurs dans de nouvelles aventures qui impliquent plusieurs collections capsules dans lesquelles la marque se met « au service de l’influence ». Et elle n’est pas la seule marque de prêt-à-porter à s’intéresser à cette stratégie.

En juin dernier par exemple, Emily Ratajkowski est l’invitée d’honneur de l’enseigne américaine Nasty Gal. Face aux acteurs du retail, même combat pour les marques de e-shopping. De son côté, le site ASOS possède son propre réseau d’insiders qui, sur le e-shop comme via un compte Instagram dédié, partagent leur univers vestimentaire et leur singularité. On peut également citer les britanniques PrettyLittleThing et Missguided, ainsi que l’américain FashionNova qui a recruté comme ambassadrice l’extravagante rappeuse Cardi B dont la devise « je pourrais m’acheter du designer mais FashionNova me convient » est devenue iconique. À son tour, la marque de e-shopping anglaise Boohoo a su parier sur des capsules avec des influenceuses, notamment les françaises Chloé Bleinc et Noholita. 

Une influence éphémère ? 

Avec l’essor des réseaux sociaux et plus précisément d’Instagram, les marques ont bien compris que l’influence est une thématique à intégrer dans leur stratégie. Pour redorer son image, et même donner un nouveau souffle à une marque, les influenceurs deviennent des agents de taille. Selon une étude de Nielsen Catalina Solution (NCS), 88% des marques multinationales envisagent d’augmenter leurs investissements sur les campagnes d’influence au cours des 12 prochains mois. 

L’influence doit se réinventer si elle veut perdurer. On a oublié que l’influence n’est pas une simple question de popularité mais une relation de confiance, d’authenticité. Les marques doivent prendre conscience des enjeux, de même que les influenceurs qui parfois se sont perdus dans la course aux abonnés et aux likes.

Qui de mieux placés que les influenceurs pour expliquer les tendances à des millenials ? Tiphaine Cazanave, en charge de la stratégie influence chez Fabernovel, accompagne de grandes entreprises à trouver les influenceurs les plus pertinents pour optimiser leur stratégie marketing. « Chez Fabernovel on pense qu’un influenceur permet d’humaniser un discours de marque, de le légitimer. Il apporte une expérience tangible au consommateur, et, le plus important, il crée une réelle proximité avec le consommateur dans cette espace de confiance », nous précise-t-elle.

Depuis leur apparition, qu’on pourrait faire remonter au début des années 2010, les influenceurs sont devenus incontournables et s’intègrent à la majorité des stratégies marketings à travers le globe. Pourtant, le vent pourrait bien tourner. Instagram, la maison mère des influenceurs s’engage à faire disparaître les likes d’ici 2020. Un outil indispensable aux marques dans le recrutement de leurs ambassadeurs 2.0. De plus le marché du marketing d’influence est tellement grandissant que les marques s’y perdent parfois. Selon Tiphaine Cazanave, la stratégie d’influence est devenue biaisée. Elle est détériorée par la demande des marques, qui selon elle « brident l’authenticité et la créativité des influenceurs ». 

L’influence a toujours existé mais sous différentes formes. On a eu les top models, les pop stars, maintenant les youtubeurs, et ça ne va qu’évoluer.

La stratégie d’influence est-elle vouée à n’être qu’un simple effet de mode ? La question se pose mais c’est sur un autre constat qu’il faut s’arrêter. Aujourd’hui, la génération connectée ne tourne plus les pages, elle double clique. On scroll, on screen, on harcèle son clavier, puis on aime, encore et encore. Sur nos réseaux sociaux favoris, les influenceurs ont su former avec leur communauté un lien d’amitié pas si virtuelle. Si les plateformes d’aujourd’hui changeront demain, la jeune génération d’influenceurs a cristallisé l’idée que la créativité et l’authenticité sont deux nouveaux outils de pouvoir. 

« Je ne sais pas si Instagram et YouTube vont durer mais je pense que le métier d’influenceur va rester et les plateformes vont évoluer, affirme Léna Mahfouf. Reste à chaque influenceur d’utiliser sa créativité à bon escient pour la faire perdurer. » Chloé Ortiz, elle, loue les valeurs prônées par la jeune génération d’influenceurs et leurs abonnés : « ils sont plus ouverts notamment sur les questions d’acception de soi à travers la diversité des corps et des genres. » Preuve que la génération connectée est ouverte d’esprit, et garde un œil sur l’avenir, même si l’autre est rivé sur son cellulaire.

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