- Photographe de street style, un business à l’arrêt
- Guerre d’influences
- Le street style est mort, vive le street style
« Le bilan de mon année est très simple : il est à zéro. » Entre fatalisme et résignation, Julien* donne le ton. « Habituellement je fais le tour des Fashions Week deux fois par an : New York, Londres, Milan et Paris. En dehors de ça, je n’ai pas de boulot. » Son métier ? Photographe de street style.
À chaque Fashion Week, il fait partie de ces dizaines de professionnels de l’image qui immortalisent les looks flamboyants et dégaines pointues des invités se pressant à l’entrée des défilés. Des clichés stylistiques pris sur le vif, qui au-delà de leur portée aspirationnelle, font l’objet d’un juteux business.
Photographe de street style, un business à l’arrêt
Et pour cause, revendus aux magazines, bureaux de tendances et autres entreprises modeuses, ces photos d’happy fews au dress code savamment étudié font l’objet d’une désirabilité attirant toujours plus de lecteurs, notamment sur les versions digitales de ces grands noms de la presse éditoriale.
Or, qui dit plus d’audience, dit fatalement plus de revenus pour ces parutions financées majoritairement par la publicité.
En parallèle, ces photos permettent aux personnalités qui y apparaissent de développer leur visibilité, leur hype au sein du petit milieu de la mode, et de développer des partenariats lucratifs avec les maisons de luxe qui organisent ces shows ultra-médiatisés.
« Ceux qui travaillaient en flux tendu, à envoyer leur photos au compte goutte aux magazines, ne gagnent plus rien. J’ai aussi de la chance d’être français et d’avoir des aides de l’Etat. Je te dis pas que je fais pas non plus des petits boulots à côté qui n’ont rien à voir. Mais, pour ce qui est de mes potes photographes à l’étranger, j’en ai vu plein d’un chialer via Facetime. C’est la merde, il n’y a pas d’autre mot. » conclut-il.
Et même la pandémie se termine et le monde entier s’immunise, rien ne dit que le street style et son tambourinant fashion circus feront leur grand retour comme si de rien n’était, le Covid-19 ayant porté un coup fatal à un phénomène déjà en perte de légitimité.
Guerre d’influences
Concurrencée par des influenceurs qui n’ont eu de cesse de mimétiser cette esthétique photographique au gré de la digitalisation de l’industrie du luxe, le genre même du street style est régulièrement accusé de perdre en authenticité et spontanéité, sacrifiant sa pertinence au profit d’intérêts purement commerciaux.
Ce qui était autrefois conçu comme de la photographie de rue visant à prendre le pouls modeux du moment s’est peu à peu mué en industrie para-stylistique visant à fabriquer à la chaìne des micro-stars aux milliers de followers virtuels sans que ces dernières n’ait de réels connexions avec ce milieu de la mode réputé très fermé.
Le streetstyle est juste devenu une caisse de résonance pour des gens qui n’ont de style ni très authentique, ni très original
« Quand tu as 30 influenceurs qui débarquent à un show tous habillés par la marque et qui sont en front row, tu vois bien qu’elle est finie la spontanéité. Tant que les marques pourront avoir cette visibilité gratuite, ils en profiteront. » ironise Julien, qui confirme voir ces célébrités 2.0 se changer discrètement entre chaque défilé pour revêtir la tenue envoyée par la marque du show suivant.
« Le streetstyle est juste devenu une caisse de résonance pour des gens qui n’ont de style ni très authentique, ni très original. » confirme dans un article du Business of Fashion l’américaine Taylor Tomasi Hill, ancienne rédactrice mode du Teen Vogue et l’une des premières figures du street style pre-Instagram.
Selon elle, le fondement même de ce genre photographique n’a cessé d’être mis à mal tout au long des dernières années. « Il y a eu trop de personnes qui venaient juste pour gagner de l’argent ou se faire offrir des vêtements et faire leur auto-promo d’influenceurs sans rester fidèle au style qu’ils aimaient. » détaille-t-elle, dénonçant des looks de rue devenus moins synonyme de style que de marketing.
Le street style est mort, vive le street style
Côté magazines et parutions presse, le photographe reste pourtant plutôt confiant. « Ça fait 5 ans qu’on entend dire que le street style est mort. Ça fait aussi 5 ans que mon chiffre d’affaires ne cesse d’augmenter et l’année 2019 a été un record ! » lâche-t-il. « Mes clients c’est la presse, or la presse achète des images en fonction de besoins précis, comme une photo d’un pantalon vert par exemple. Ils vont donc chez des revendeurs d’images, comme moi. » explique-t-il.
Encore faut-il avoir la possibilité de photographier et de produire ces clichés dont ses clients raffolent tant, ce qui est évidemment impossible en tant de pandémie… et qui pourrait le rester. Les marques pourraient bel et bien privilégier sur le long terme ces formats de défilés digitaux, diffusés en streaming et tournés sans invités.
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