- Une sémantique qui nie la perte
- Un silence imposé
- Renommer pour mieux en parler
15%. C’est l’estimation du nombre de grossesses qui se soldent par ce que l’on nomme communément une « fausse couche » selon une récente étude publiée par The Lancet en 2021. Un nombre important qui traduit une situation fréquente pour laquelle il n’existe toujours pas de réelle considération, ni de la part du corps médical, ni plus généralement de la société.
Toutefois, depuis quelque temps, de plus en plus de femmes tentent de lever ce tabou persistant, à travers des comptes Instagram, podcasts, livres ou encore récemment une tribune, intitulée « Finissons-en avec l’expression ‘faire une fausse couche’, parce que rien n’est faux, et que tout est vrai ». (Le Monde, 27 mars 2022).
Une libération de la parole – ou une meilleure écoute de la parole des personnes concernées – rendu possible notamment grâce à un tournant féministe de l’intime, que décrit la philosophe Camille Froidevaux-Metterie dans son ouvrage Le Corps des femmes : La bataille de l’intime (Philosophie Magazine Éditeur, 2018). C’est ainsi que l’on parle plus facilement du post-partum, des violences gynécologiques, de l’endométriose, ou encore donc, des fausses couches.
Une sémantique qui nie la perte
Et pour ce dernier sujet, c’est en partie le terme qui pose problème. Une fausse couche est une interruption spontanée de grossesse qui se produit au cours des 5 premiers mois. Environ une femme sur dix subit une « fausse couche » dans sa vie. « Certes, c’est statistiquement important, concède Mathilde Bouychou, psychologue clinicienne spécialisée en périnatalité, mais le terme fausse couche me dérange beaucoup. Il vient minimiser un vécu qui, dans chaque histoire individuelle, n’est jamais banal”.
En effet, il sous-entendrait que ce que les patientes traversent est faux, inexistant. Mathilde Lemiesle, qui tient le compte Instagram @Mespresquesriens, juge également ce terme inapproprié. “Il nie ce que vit la femme, comme si elle n’avait jamais été enceinte”, estime celle qui a vécu quatre arrêts de grossesses spontanés, et dont le sujet est devenu le cœur de son travail.
[Le mot fausse-couche] nie ce que vit la femme, comme si elle n’avait jamais été enceinte.
Depuis que la notion de désir d’enfant a émergé, notamment grâce au développement de la contraception et de l’accès à l’IVG, le rapport des femmes à leur grossesse a évolué.
« De fait, quand on désire avoir un enfant et qu’on le planifie, apprendre qu’on est enceinte, c’est déjà considérer dans son cœur et dans sa tête que c’est un bébé, un enfant à venir », souligne la psychologue Mathilde Bouychou. “Le perdre à deux ou vingt semaines de grossesse n’y change rien, elles ont déjà investi affectivement cette grossesse. »
Il y a donc dans le terme fausse couche une négation de cette perte. Une mise à distance qui peut heurter.
Un silence imposé
Mathilde Lemiesle, co-autrice de la pétition “Fausse couche, vrai vécu”, note que cette expression “n’est que la partie émergée de l’iceberg. Car la façon dont on en parle induit la manière dont c’est pris en charge et dont on accompagne les femmes”.
Elle-même ne s’est jamais sentie aussi seule que lors de ses successives interruptions involontaires de grossesses notamment à cause d’un manque d’empathie, d’accompagnement psychologique et surtout, d’informations de la part des soignant.es.
“Ça me semble incompréhensible de ne pas prendre le temps d’expliquer plus en détail. On m’a dit par exemple que ça ferait l’effet de grosses règles. Pour moi, ça n’a pas du tout été le cas ! Je trouve ça dangereux”. C’est pourquoi Mathilde Lemiesle est devenue un relais d’information majeur au sujet des fausses couches, à travers ses posts Instagram et son livre éponyme Mes presques riens (Lapins, 2021).
Cette solitude, Mathilde Bouychou l’explique aussi par notre histoire patriarcale : “On préserve l’image idyllique de la maternité au mépris des vécus des femmes, dans le seul but que l’on continue à faire des enfants”, analyse-t-elle. “Les médecins sont très injonctifs et infantilisants à l’égard des femmes. Il faudrait taire ce qui se passe dans le corps des femmes, notamment au cours des trois premiers mois”.
Comme le raconte Judith Aquien dans Trois mois sous silence, Le tabou de la condition des femmes en début de grossesse (Payot, 2021), il est déconseillé par de nombreux soignant.es d’annoncer sa grossesse avant la fin du premier trimestre, considéré comme fragile. « C’est comme si on n’est pas vraiment enceinte avant d’avoir passé les trois premiers mois, puisqu’il y a un risque accru de fausse couche. Comme si avant, ça ne comptait pas », regrette Mathilde Lemiesle.
« Quand on vit sa fausse-couche, on la vit encore plus dans le silence parce qu’aux yeux des autres on n’était pas enceinte. Si on n’a pas annoncé sa grossesse, c’est d’autant plus difficile de parler de sa fausse couche ».
Renommer pour mieux en parler
Ce cercle vicieux du silence s’explique aussi par un sentiment de honte ou de culpabilité, qu’énormément de patientes de Mathilde Bouychou partagent. “On peut se sentir responsable et ne pas vouloir montrer ça aux yeux du monde, déplore-t-elle, alors que si l’on en parlait, on se rendrait compte que beaucoup de femmes vivent ou ont vécu la même chose”.
Une connotation négative que l’on retrouve dans le mot “fausse couche” en français, mais également dans d’autres langues, comme le remarque Mathilde Lemiesle. “Souvent, il y a une notion de responsabilité de la femme, qui induit une culpabilité, dans le mot. Avec “miscarriage” en anglais, il y a une notion de “mal” porter. En Espagnol, c’est le même mot qu’avortement, sauf qu’il est spontané : “aborto espontáneo”.” “Il ne faut pas oublier que le langage influence nos représentations et la façon dont les choses sont vécues !”
Changer de terme pourrait alors permettre de normaliser cette expérience souvent éprouvante, mais également d’adapter la prise en charge médicale et émotionnelle pour les patientes. « Parlons ‘d’arrêt naturel de grossesse’. Car c’est bien ce dont il s’agit et ce que nous vivons dans nos corps », proposent alors les signataires de la tribune publiée dans Le Monde en mars dernier.
Un premier pas nécessaire pour repenser notre appréhension globale de cet événement qui n’a rien de faux, ni d’anodin.
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Sortie le 15 septembre 2022 : « Désir d’enfant, 15 histoires pour questionner et mieux vivre son rapport à la parentalité » de Mathilde Bouychou aux éditions Solar.
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