Voici pourquoi il est si difficile de maintenir le contact visuel lors d'une conversation

Lors d’une discussion, regarder son interlocuteur dans les yeux peut s’avérer particulièrement intimidant. Si bien que l’envie de détourner les yeux un instant devient irrépressible. Des chercheurs se sont penchés sur les raisons de ce malaise. Et il ne serait pas uniquement psychologique.

Combien de temps êtes vous capable de soutenir le regard d’un inconnu, ou même d’un proche, avant vous sentir mal à l’aise ? Entre 2,6 et 4 secondes, suggère une étude du University College de Londres (Angleterre), publiée dans le Royal Society Open Science en 2016. Cela ne veut pas dire qu’il est impossible de maintenir ses yeux plus longtemps. Toutefois, au-delà, le cerveau identifie cette “fixette” comme une singularité, et estime que quelque chose ne va pas. À quoi est donc due cette difficulté à se plonger dans les lucarnes de ses pairs ?

Les émotions entrent indéniablement dans l’équation. On sait que les timides, par exemple, ont tendance à éviter de fixer dans les yeux. Par pudeur, par peur du jugement. Par peur de la compétition, aussi. Certains échanges peuvent mener à une lutte, où celui qui maintient le regard est le dominant et celui qui baisse les yeux est le dominé. Le phénomène s’observe dans le monde animal : nombre d’animaux se dévisagent en signe de menace ou d’intérêt. Mais d’autres expériences suggèrent que des raisons physiologiques expliquent aussi pourquoi certains d’entre nous ont particulièrement du mal à maintenir le contact visuel.

Un trop-plein d’informations

Tout d’abord, une étude de l’Université de Kyoto (Japon) publiée dans la revue Cognition en 2016, a montré que notre cerveau n’arrive pas à trouver les aux mots justes tout en se concentrant en même temps sur un visage. Ce phénomène serait d’autant plus perceptible lorsque nous cherchons des mots que nous n’utilisons pas tous les jours. Pour parvenir à ces conclusions, les scientifiques ont mis à l’épreuve 26 volontaires. Ces derniers devaient faire des associations de mots, tout en regardant des visages générés par un ordinateur. Certains de ces faciès établissaient un contact visuel, d’autres regardaient dans une autre direction.

Il leur a été demandé de réfléchir à des associations de mots plus ou moins complexes. Par exemple, penser à “couteau” est relativement simple, car à part “couper” ou “poignarder”, il existe peu de verbes qui viennent instantanément en tête. “Dossier” est ainsi plus alambiqué, car il est possible de l’ouvrir, de le fermer, de le remplir… Il s’est finalement avéré que plus les participants maintenaient la connexion avec leurs yeux, plus ils avaient du mal à trouver des liens entre les termes. Mais ce, seulement lorsque que des associations difficiles étaient impliquées.

Ces hésitations indiqueraient que le cerveau manipule trop d’informations à la fois, soupçonnent les chercheurs. “Bien que le contact visuel et le traitement verbal semblent indépendants, écrivent-ils, les gens évitent souvent le regard de leurs interlocuteurs pendant la conversation. Cela suggère qu’il existe une interférence entre ces processus.” De plus amples recherches seront nécessaires pour confirmer que ces deux tâches, le maintien d’un contact visuel et la tenue d’une conversation, font appel aux mêmes ressources mentales.

Le cerveau s’adapte

Cette étude n’est pas la première à suggérer que le cerveau est “effrayé” par les contacts visuels. Une étude l’Université d’Urbino (Italie), publiée dans le journal Psychiatry Research en 2015, démontrait que fixer les yeux de quelqu’un d’autre pendant dix minutes, dans une pièce mal éclairée, altérait l’état de conscience des participants. Après l’expérience, ils souffraient d’hallucinations. Ils voyaient des monstres, leurs proches et même de leurs propres visages se déformer. Des manifestations proches des troubles dissociatifs.

Ce processus serait de “l’adaptation neuronale”. Notre cerveau modifierait progressivement sa réponse à un stimulus qui n’évolue pas. En fait, il s’agit du même phénomène que lorsque vous posez votre main sur une table ou que vous fixez un objet pendant une période prolongée. Au début, les sensations sont vives et claires. Mais progressivement, elles s’atténuent. Il suffit de bouger les doigts ou de cligner les yeux pour les retrouver. Si quelqu’un détourne le regard pendant votre discussion, il se peut donc qu’il ait seulement un système cognitif surchargé.

Enfin, dans leur étude, les chercheurs du University College de Londres ont mis lumière que les personnes capables de tenir le plus longtemps un regard sans se sentir mal à l’aide sont celles dont les pupilles se dilatent le plus rapidement. Toutefois, d’autres recherches, publiées dans le journal Psychological Science en 2013, suggèrent que faire des efforts pour accroître ce contact visuel serait contre-productif. La croyance populaire veut qu’un regard soutenu augmente notre pouvoir de persuasion. L’étude montre le contraire : cela diminuerait finalement les chances de convaincre l’interlocuteur, notamment car cela instaurerait… de la gêne. La boucle est bouclée.

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