Violences en couple chez les 16-25 ans : "quand l’amour surgit, on peut avoir envie de s’y perdre"

Interview. – Où chercher de l’aide, lorsqu’entre 16 et 25 ans on est victime de violences au sein de son couple ? En Avant Toute(s) et Safe Place s’unissent pour une campagne au service d’un site et d’un dispositif d’écoute. Ynaée Benaben, cofondatrice de En Avant Toute(s), explique comment.

Madame Figaro. Depuis quatre ans, l’association En Avant Toute(s) orchestre un tchat avec de très jeunes femmes entre 16 et 25 ans, victimes de violences sexistes et sexuelles. Ce tchat a permis d’échanger avec plus de 3000 victimes. Pourquoi prendre la parole aujourd’hui avec une campagne d’appels au don ?
Ynaée Benaben. –
J’avais 24 ans quand j’ai lancé l’association, j’en ai 31 aujourd’hui. À 24 ans, en 2013, je voyais, j’entendais, nous entendions avec la petite bande autour de moi beaucoup d’histoires d’amour se construire avec des comportements violents ou toxiques qui pouvaient surgir, et se répéter. Or, la jeune fille concernée faisait quoi alors le plus souvent ? Naturellement elle se tournait vers Google, plus facilement que vers un numéro de téléphone institutionnel, voire une antenne de police. Nous avons grandi avec Internet comme un espace de sociabilité privilégié, presqu’un second moi parfois, où l’on regarde comment va le monde autour de soi. Donc la jeune fille cherche des réponses à ses questions sur Google, où la parole s’est libérée dans des forums, des espaces de témoignages.

https://instagram.com/p/CH7qAHug5gL

Et qu’y trouve-t-elle ?
Malgré la bonne volonté, les réponses ne nous semblaient pas satisfaisantes, voire carrément sexistes. Quelque chose ne fonctionnait pas, d’autant que ces jeunes femmes ne se reconnaissent pas dans les campagnes traditionnelles sur les femmes battues. Lorsqu’on a 18 ans, qu’on est en couple depuis trois mois, on a le sentiment que ces campagnes traditionnelles concernent des femmes mariées depuis des années, avec des enfants, des habitudes si différentes… Donc, à quelques-unes nous avons voulu bâtir un réseau pour les jeunes femmes et les personnes LGBTQ+ , où échanger positivement, avec une parole fiable, des écoutants formés, tout en utilisant les codes du Net : un environnement joyeux, facile d’utilisation, décomplexé et engageant. Nous avons créé l’association En Avant Toute(s) en 2013, et en 2016 le tchat d’accompagnement «Comment on s’aime». Aujourd’hui, 6 jours sur 7, et de 10 heures à 21 heures, une jeune femme victime de violences trouvera une professionnelle formée, jeune elle aussi, avec qui échanger de manière anonyme et gratuite en posant des mots sur ce qui n’a pas encore été dit.

Vous vouliez parler des violences, ou bien d’abord parler de ce qu’est l’amour et le couple quand on démarre une vie amoureuse ?
On voulait parler d’amour. On a appelé le site à partir duquel le tchat s’enclenche «Comment on s’aime» pour cela. On y rappelle qu’il y a plein de représentations variées de l’amour, différentes façons de le vivre et de l’exprimer. L’idée de transformer la relation qui dérape en quelque chose de sain est bien là, d’explorer avec celles qui s’interrogent ce que l’amour peut bien vouloir dire, représenter, ce qu’elles en font, y cherchent. Entre 16 et 25 ans bien souvent, quand l’amour surgit, il peut prendre une place immense, une folle intensité, on peut avoir envie de s’y perdre. Reconnaître alors les violences qui s’y opèrent, s’interroger si on est «faible», ou victime, c’est difficile.

Le don de l’écoute

Jusqu’au 23 décembre, les associations féministes En avant toute(s) et Safe Place s’unissent pour une campagne de dons en 3 mots-clés : «Je t’écoute, je te crois, je donne». La campagne vise à soutenir le dispositif d’écoute et le tchat bienveillant «Comment on s’aime» qui 6 jours sur 7 accompagne les 16-25 ans victimes de violences sexistes et sexuelles. Pour durer, ce programme a besoin d’argent et de visibilité. Safe Place lui offre sa force de frappe sur Instagram et sa communauté d’artistes engagés. Un don pour renforcer l’action et la sororité.
@enavanttoutes, @weareasafeplace.fr

Comment opérer le virage et permettre à la jeune femme d’agir ?
Notre propos est que la jeune femme concernée par la violence ne rejette pas cette réalité, mais effectivement se sente capable d’agir. Dans nos vies il existe assez peu de place finalement pour dialoguer sur l’amour et ce qu’est une relation saine sans pression. Dans un premier temps, celle qui vient sur le site répond à des quizz, pour approcher un peu mieux sa situation, ses attentes, ses espoirs. Où y-a-t-il conflit ? Douleur, chagrin ? Pratiques sexuelles qui dérangent ? L’anonymat offre une liberté plus grande, on ne dépose pas la violence d’un seul coup. Puis les écoutants, qui sont des salariés, psychologues, travailleurs sociaux, personnes formées aussi au handicap, resserrent peu à peu la problématique grâce au tchat bienveillant.

Pourquoi avez-vous aujourd’hui besoin d’argent ?
Pour faire vivre ce dispositif de tchat, nous avons des partenaires issus d’institutions, de fondations, de régions, et des fonds, mais on doit le sécuriser. Nous travaillons avec Hello Asso qui garantit la transparence de notre structure, de nos finances qui sont vérifiées. Faire appel au grand public aujourd’hui, c’est porter la voix pour dire : agissons ensemble, chacun donne à la hauteur de ses moyens. Créons une force collective face à ces violences qui globalement ont bondi de 16% en 2019. On peut donner 2, 5, 10 euros, ce qu’on veut. Par exemple 60 euros permettent de payer une heure de conversation. Pour la personne qui se livre, qui cherche de l’aide, c’est important que le tchat soit gratuit. C’est notre conviction.

Votre slogan, c’est : «Je t’écoute, je te crois, je donne». La parole des victimes jeunes est-elle encore souvent mise en doute ?
Oui, bien sûr, et si on a encore du mal à croire les récits qui émergent, c’est parce que tous, nous avons la tête pleine d’un imaginaire sur l’amour qui trompe parfois notre écoute. On a tous cette copine qui nous a fait un récit étrange, dur, où le doute a surgi mais… on n’a pas vraiment compris. On n’a pas voulu intervenir dans ce qui nous semblait une bulle d’intimité. Me Too a tout de même grandement changé la donne. Aujourd’hui, face au doute, on questionne davantage. On entend mieux. Chez nous, sur le tchat on ouvre la discussion sur l’amour pour que la personne se reconnecte à ce qu’elle ressent. Les jeunes filles victimes de violences pensent souvent qu’elles «en font trop», que le problème c’est elles. Nous, on demande : qu’est-ce que vous ressentez ? Poser la question, c’est la clé. Ensemble, on a des ressources alors pour avancer, et s’en sortir, agir.

En vidéo, les chiffres des violences faites aux femmes

Qu’est-ce qui vous rend optimiste ?
La réponse apportée aux violences faites aux femmes n’est pas une ligne droite, on gagne, on recule, on avance à nouveau. Aujourd’hui, ces violences se sont aussi déplacées sur le cyber, avec de véritables raids de harcèlement parfois. Mais les jeunes générations, on le constate dans nos interventions en milieu scolaire, ont vraiment envie d’un monde égalitaire, et là, internet est un outil puissant de partage de l’info. C’est là aussi que la question de l’amour s’impose d’elle-même : qu’est-ce que notre société fait de l’amour, qu’est-ce qu’elle nous en dit ? Nous pouvons réfléchir ensemble. Pourquoi telle relation toxique est soudain glamourisée dans les médias, «romantisée» ? Les plus jeunes sont souvent en conflit entre ce qu’elles ressentent intimement et ce qu’une empreinte confuse de la société leur dit de faire. Nous devons trouver du temps pour parler d’amour. Je crois à notre capacité collective de transformer ce sujet.

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