Venin : bientôt plus de piquant dans nos médicaments ?

Les toxines produites par certaines espèces animales pour tuer leur proie ou se défendre servent de base au développement de nouveaux traitements. Qui s’y frotte s’y guérit !

Abeilles, serpents, scorpions, araignées… Toutes ces bestioles vous donnent la chair de poule ? On leur doit pourtant une fière chandelle ! Car leur venin est à la fois un poison, qui peut tuer en quelques minutes ou quelques heures, et un antidote ! Ainsi, une sécrétion animale qui paralyse en « anesthésiant » le système nerveux d’une proie peut être détournée pour développer une molécule antidouleur. « Mais aucun médicament n’est produit directement à partir du venin, car ce serait trop long et compliqué : on identifie la molécule intéressante, qui est ensuite synthétisée, ce qui limite aussi les risques de réactions allergiques ou d’effets indésirables », précise la Dre Aude Violette, directrice scientifique du laboratoire belge Alphabiotoxine, spécialisé dans ce domaine.

Les techniques ont beaucoup évolué ces dernières années, permettant une exploitation plus facile de ces précieux cocktails. « Avant, il fallait collecter au moins un gramme de matière, ce qui est énorme pour des petites espèces comme les araignées. Aujourd’hui, on peut travailler en recherche avec moins d’un milligramme », ajoute la spécialiste. D’où un essor des publications prometteuses sur ce sujet.

Une piste contre les cancers du sein agressifs

La nouvelle, reprise dans tous les journaux à la fin de l’été, a suscité pas mal d’espoir : le venin d’abeille pourrait agir contre le cancer du sein, en particulier ceux dits « triples négatifs », les plus invasifs et difficiles à traiter. Une dose de méllitine, substance qui provoque la douleur et parfois les chocs respiratoires lorsqu’on est piqué, supprimerait les signaux favorisant la prolifération tumorale et détruirait 100 % des cellules cancéreuses, a priori sans attaquer les cellules saines, affirment des chercheurs australiens dans la revue Nature Precision Oncology. À confirmer.

« En oncologie, on cherche en effet à utiliser des molécules cytotoxiques (qui tuent les cellules) extraites du venin, généralement couplées à des anticorps ou d’autres traitements, pour mieux s’attaquer aux tumeurs, explique la Dre Aude Violette. Mais la méllitine d’abeille est assez peu spécifique, elle a tendance à tuer également les autres cellules autour. » Ce traitement n’en est de toute façon qu’au stade préliminaire : difficile d’espérer une application réelle avant sept à dix ans.

Une parade contre l’obésité

D’autres travaux sont plus avancés. Le projet européen Venomics a permis de concocter une banque de plus de 3 500 toxines prometteuses issues de venins d’animaux. Nicolas Gilles, pharmacologiste et chercheur au CEA, s’affaire à les tester et à trouver de possibles applications médicales. Dernière découverte en date : des substances toxiques, présentes chez des scorpions, araignées ou mollusques marins, agissent sur les récepteurs de la mélanocortine de type 4, qui joue un rôle clé dans la sensation de faim et la régulation de la prise alimentaire. En activant ce récepteur, elles pourraient aider des personnes en obésité (qui ont souvent une mutation au niveau de ces récepteurs), un domaine où il existe encore peu de solutions médicamenteuses. Et au contraire, en bloquant ce récepteur, servir à ceux qui perdent l’appétit, donc beaucoup de poids, par exemple au cours de chimiothérapies.

Un bouclier pour les reins

Nicolas Gilles étudie également depuis dix ans une autre toxine. Ses recherches vont prendre un nouveau virage d’ici l’année prochaine, avec la création d’une start-up pour lever des fonds et en faire un médicament. « Cette toxine, qui vient du mamba vert, a un effet diurétique sur le rein et bloque l’évolution d’une maladie génétique qui touche environ une personne sur mille : la polykystose rénale », détaille le pharmacologiste. De quoi éviter des complications qui peuvent aller jusqu’à l’insuffisance rénale et la dialyse ou la greffe. « L’originalité de cette approche, c’est qu’on administrera la toxine via une pompe externe, sur le modèle des pompes à insuline, afin de délivrer le juste dosage en fonction du mode de vie (boissons, alimentation…) et de pouvoir suspendre le traitement quelques heures en cas de besoin », précise Nicolas Gilles. Un gros plus par rapport au médicament existant par voie orale, souvent abandonné car certains patients ne supportent pas de devoir aller aux toilettes trois fois plus souvent. Si tout va bien, les essais cliniques pourront commencer chez l’être humain d’ici trois ans.

Et un espoir pour les pathologies neurologiques

Suite au projet Venomics, au moins 280 substances actives contre le diabète, l’obésité, l’inflammation ou les allergies ont été identifiées. Les venins étant particulièrement actifs sur le système nerveux, les chercheurs aimeraient aussi les utiliser pour traiter les maladies neurologiques comme Parkinson ou la sclérose en plaques. Enfin, une toxine d’anémone de mer est en cours d’étude pour fabriquer un médicament contre les pathologies immunitaires telles que le lupus ou le psoriasis. « Nous sommes nombreux dans le monde à regarder les venins comme une source de futurs médicaments. Il y a beaucoup de projets, et tous n’aboutiront pas. Il faut rester prudent car le chemin est très long entre la découverte scientifique et l’application, mais les grands labos s’y intéressent de plus en plus », résume Nicolas Gilles. Avec 200 000 espèces environ venimeuses sur la planète, y compris celles auxquelles on pense moins comme les batraciens, animaux marins, lézards et scolopendres, on peut parier qu’il existe encore plein de remèdes à découvrir.

Une présence déjà remarquée

Sans le savoir, vous avez peut-être pris un médicament qui puise son efficacité dans ces sécrétions empoisonnées pour…

  • Réguler votre tension. Dans les années 1960, après avoir observé que les victimes mordues par une vipère (Bothrops jararaca) voyaient leur tension dégringoler, un pharmacologiste brésilien a développé le captopril, pour la prise en charge de l’hypertension artérielle.
  • Protéger votre cœur. Le tirofiban (Agrastat), élaboré à partir d’une protéine aux propriétés anticoagulantes découverte chez la vipère des pyramides, aide à prévenir les risques d’infarctus du myocarde, notamment pour les malades qui attendent une opération des coronaires.
  • Maîtriser votre diabète de type 2. La salive du monstre de Gila, un gros lézard d’Amérique, a permis de créer Byetta, un médicament injectable prescrit en association avec la metformine ou l’insuline quand la glycémie est mal contrôlée.
  • Calmer une douleur intense. Le venin du cône de mer, un petit mollusque, a donné naissance à un antidouleur hyperpuissant, le ziconotide, administré à l’hôpital aux patients chez qui la morphine ne suffit plus.

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