- Parfait inconnu ou personne proche : l’usurpateur peut être partout
- "Chez le jeune, on vole la réputation et pas l’argent"
- De l’importance de reconnaître le statut de victime
- "Je n’ai plus rien à mon nom"
- 1 an de prison et 10000 euros d’amende pour toute une vie
- Usurpation d’identité : comment protéger les plus jeunes ?
“Je n’ai plus rien, sauf une carte prépayée rechargée dans un bureau de tabac”.
Voilà comment Romain, 32 ans, résume ses possessions. Ce n’est ni la faillite professionnelle, ni les jeux d’argent qui l’ont conduit à cette précarité, mais une usurpation d’identité, orchestrée par deux proches alors qu’il n’était qu’un adolescent. “Je n’existe plus”, résume-t-il avant de raconter son histoire.
Si peu de chiffres existent sur le sujet, une enquête du Crédoc de 2009 estimait que plus de 210.000 personnes seraient victimes de ce délit chaque année en France, comme le relayait alors Le Monde.
Pour autant, ces chiffres ne mentionnent pas le nombre de mineurs touchés par ce vol d’identité. Alors que les plus jeunes sont tout autant une cible.
“On parle beaucoup de la fraude et de l’usurpation, mais jamais on ne cite le danger chez les mineurs. Pourtant, on détruit des vies avant même qu’elles ne débutent”, regrette Marie Azevedo, présidente de l’association Reso-Club*.
Parfait inconnu ou personne proche : l’usurpateur peut être partout
“L’homme qui a usurpé mon identité est un ami d’enfance que je voyais lors de mes vacances chez mon père adoptif jusqu’à mes 12 ans. Jamais je n’aurais pu imaginer ça”, contextualise Romain.
Voilà quatorze ans qu’il vit un cauchemar, car avec sa majorité arrivent aussi les premières amendes. “Ça a commencé par des rappels pour des trajets de trams non payés. Mon usurpateur donnait mon nom et l’adresse de mon père quand il se faisait arrêter, alors que je n’étais pas domicilié là-bas”, poursuit-il.
Si dans le cas présent, c’est une personne connue par la victime qui est à l’origine du délit, Marie Azevedo souligne que les risques sont partout et pas seulement dans l’entourage.
“Notamment avec les enfants qui ont accès à la technologie très vite. Ça peut partir de la tablette où ils vont avoir accès à un monde virtuel. Rien que sur des inscriptions de jeux pédagogiques en ligne d’ailleurs. Dès qu’on indique un nom, un prénom, une date de naissance et un lieu de naissance, cette trace va rester« , alerte-t-elle.
« Chez le jeune, on vole la réputation et pas l’argent »
Si ces comportements mettent potentiellement en danger les enfants et adolescents, rares sont ceux qui s’en rendent compte rapidement. Souvent, l’utilisation illicite de leurs informations n’est remarquée que des années plus tard.
“Selon les informations que j’ai pu avoir, lui et mon père adoptif ont déclaré une perte de mes documents et de là, comme mon père a le livret de famille, c’est allé très vite pour refaire des papiers. Mais je ne sais pas quand est-ce que ça a débuté”, continue Romain.
J’ai commencé par recevoir des amendes de tram et j’ai fini en garde à vue pour état d’ébriété et délit de fuite.
Et si l’on pourrait croire que c’est une histoire d’argent d’abord, car “le raccourci est souvent fait”, dans les affaires ayant pour victimes des mineurs, le son de cloche n’est pas tout à fait le même comme l’explique la présidente de Réso-Club.
« Chez un jeune, on va moins voler de l’argent, mais plus toucher à la réputation. On va agir illégalement en son nom et dans sa jeune vie d’adulte ces faits entacheront sa position sociale ». Ce que confirme Romain : “Je suis passé de recevoir des amendes de tram à me retrouver en garde à vue pour état d’ébriété et délit de fuite”.
De l’importance de reconnaître le statut de victime
“Heureusement” pour le jeune homme, le dernier crime commis par son usurpateur va faire avancer son affaire.
“Quand je suis allé faire un complément de plainte, on m’a appris qu’il avait été arrêté en flagrant délit de vol avec séquestration et qu’il avait fait 7 jours de préventive, à mon nom. Relâché pour une erreur de procédure, il était recherché pour non convocation. Et quand je me suis rendu au commissariat, on m’a placé en garde à vue. Mais grâce au dossier où figurait sa photo et ses empreintes, j’ai pu montrer qu’il usait de mon identité”.
Mais toutes les victimes n’ont pas cette “chance”, conçoit le trentenaire. Voilà à quoi l’association Réso-Club travaille. En plus d’offrir un espace d’échange et de soutien aux usurpé.es, sa présidente peut aider à dénicher la preuve qu’ils sont bien des victimes.
“On accompagne sur les diligences immédiates comme la prise d’acte au commissariat. Puis je peux tracer un document précis. Si je ne peux communiquer les données à une victime, je peux lui indiquer qu’il a un usage suspect d’usurpation ou de contrefaçon. Sur réquisition par les services de police, je peux également aider à accélérer les choses. Mais surtout, je valide que la personne est bien victime”, explique-t-elle.
« Je n’ai plus rien à mon nom »
Cependant, avoir cette preuve ne résout presque rien, comme le souligne Romain. « Tant qu’il n’est pas jugé, je suis encore reconnu comme l’auteur des faits reprochés : alcoolémie avec délit de fuite, de multiples amendes (feu rouge, stop, alcool). J’ai un dossier de surendettement et je rembourse 100 euros tous les mois. Je n’ai plus rien à mon nom. Je n’ai pas de compte en banque pour ne pas être saisi, je n’ai pas de travail. Mes seules allocations sont touchées par ma femme ».
Mon usurpateur pourrait voler l’identité de toute ma famille.
Une descente aux enfers qui a également empêché Romain de construire sereinement sa famille. Aujourd’hui il est père de deux enfants, mais il n’a pas pu leur donner son nom.
« Comme mon usurpateur a des enfants du même âge que les miens et qu’il a accès à mon état civil, il pourrait usurper l’identité de toute ma famille. J’essaie de protéger ce que je peux. Alors je les ai reconnus (il avoue avoir hésité pour les préserver encore plus, ndlr) mais ils portent le nom de ma compagne », confie-t-il.
1 an de prison et 10000 euros d’amende pour toute une vie
À ce jour, des procédures sont en cours contre l’usurpateur de Romain. Mais les délais sont longs et les condamnations « insignifiantes ». « Aujourd’hui c’est 1 an d’emprisonnement et 10000 euros d’amende pour toute ma vie. Je me suis renseigné : faux et usage de faux c’est l’État qui se retourne contre la personne », soupire le trentenaire.
Il explique avoir appris à vivre « comme ça », n’ayant rien connu d’autre. Et Marie Azevedo appuie, cette « vie qui n’en ai pas une » a des répercussions psychologiques difficiles à évaluer. « L’identité représente un patronyme, une filiation, des valeurs par rapport à une culture. Lorsqu’une personne souille ce nom, c’est une rupture de notre éthique et on est même honteux de ce qu’il nous arrive », assure-t-elle.
D’autant que la charge mentale de justifier constamment d’être sa propre personne restera toujours. « Il faut constamment avoir une preuve du jugement quand on voyage à l’étranger par exemple. Vous imaginez vivre comme ça dès vos premiers pas dans la vie adulte ? », illustre-t-elle.
Usurpation d’identité : comment protéger les plus jeunes ?
Mais le plus pernicieux, selon Romain, reste d’être dans l’attente, à vie.
« Présentement, je suis dans une accalmie. Dans ces moments-là, on pense qu’on peut réinvestir sa vie. On fait des projets, puis des oppositions sur le compte bancaire ou des saisies sur salaire sont faites et tout recommence. Pour toujours je vivrais dans l’attente, je reçois encore des amendes pour des faits qui datent de 5 ans« .
Alors, aux côtés de Marie Azevedo, Romain milite pour que les réflexes changent quant à la protection de nos identités et notamment celles des plus jeunes.
« Il faut sensibiliser les parents et les enseignants. Concrètement, on informe les jeunes, on leur dit qu’avec seulement quelques informations une tierce personne peut ruiner notre vie et surtout, on rappelle qu’on ne ‘prête’ pas son identité à un copain en ligne. Du même genre, on n’envoie pas de papier d’identité par mail, on ne sait pas qui peut réellement les réceptionner », liste la présidente de Réso Club.
Et dans le cas où on est victime, Marie Azevedo recommande de déposer plainte et de demander un nouveau document d’identité pour pouvoir justifier de sa bonne foi. « Envoyez ce dépôt de plainte à la Banque de France », ajoute-t-elle. Et surtout « n’attendez-pas. Il ne faut pas prendre ça à la légère car ça ne se tasse jamais. Enfant, ado ou adulte, c’est un traumatisme à vie », termine-t-elle.
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