« Un bon dessin de presse, c’est un coup de poing dans la gueule »

  • Cinq ans après l’attentat de Charlie Hebdo, le dessinateur de presse Jean-Michel Delambre revient sur l’évolution du métier.
  • Il estime, comme Riss, que les rédactions en chef veulent que les dessins soient de plus en plus consensuels.

Jean-Michel Delambre a perdu son ami Cabu, le 7 janvier 2015. Dessinateur au Canard Enchaîné, le Nordiste revient sur l’attentat de Charlie Hebdo et explique ce qui a changé, depuis cinq ans, dans le métier de caricaturiste pour la presse.

Cinq ans après l’attentat de Charlie Hebdo, comment avez-vous vécu cet anniversaire ?

A titre personnel, j’ai perdu des grands copains comme Cabu, Tignous ou Wolinski. La veille de sa mort, je rigolais avec Cabu au Canard Enchaîné. Comme tous les mardis, on a bu un coup ensemble après le bouclage du journal. Forcément, il y a toujours du chagrin et de l’incompréhension. Pour eux, il ne faut pas baisser les crayons et redoubler d’irrévérence.

Vous côtoyez encore des membres de la rédaction de Charlie Hebdo ?

Je connais Coco. Mais je n’ai pas eu l’occasion de la voir depuis l’attentat. Elle a beaucoup de cran d’avoir continué à garder l’esprit, à ne pas céder à la pression des imbéciles et des intolérants. Mais les gens que j’aimais ne sont plus là. Ça n’a plus la même saveur.

Qu’est ce qui a changé pour vous ?

Ma vie personnelle a été bouleversée. Je suis devenu plus intolérant avec les intolérants. J’ai plus que jamais envie de défendre la liberté d’expression. Brutalement, on a pris conscience des risques de notre métier. Même si aujourd’hui, on sait que les attentats touchent tout le monde.

Dessin de Jean-Michel Delambre.

Le métier de dessinateur est-il devenu plus difficile à exercer ?

Incontestablement. Certains journaux suppriment les postes de dessinateurs et de caricaturistes parce qu’un dessin, ça gêne. Et ça coûte de l’argent aussi. C’est pour ça que lorsque s’ouvre un espace de liberté, je m’y engouffre. Comme à LCI, où je travaille pour l’émission Le Brunch de l’actualité, deux dimanches par mois.

C’est quoi, un bon dessin de presse ?

Ce n’est pas nous qui avons du talent. C’est l’actualité. Il faut s’y adapter. Carlos Ghosn actuellement, c’est parfait. Avec son physique à la Mr Bean, l’actualité en fait un James Bond. Le problème, comme le dit Riss dans le JDD, c’est que les rédactions en chef veulent que les dessins soient de plus en plus consensuels. Or, un dessin ne peut pas faire l’unanimité. Un bon dessin, c’est un coup de poing dans la gueule.

C’est-à-dire ?

Comme dit Tignous, un bon dessin doit faire rire. Il est meilleur quand il fait réfléchir. Quand il fait rire et réfléchir en même temps, il est parfait. Et si le lecteur éprouve une sensation de honte d’avoir ri, c’est le summum.

Que pensez-vous de l’exemple du New York Times qui a supprimé les dessins ?

C’est un journal qui n’est pas réputé pour être provocateur. Le dessin politique qui a servi de prétexte montre Trump tenant en laisse Netanyahou. Or, il montre aussi l’étoile de David. Et quand on utilise un symbole, les dessins ne sont jamais bons. On peut critiquer la politique du gouvernement israélien, mais à travers l’étoile de David, on touche autre chose. On touche tout un peuple.

Il ne faut pas toucher aux symboles ?

C’est une question de précision. Si je titre, pour Le Canard enchaîné, « Israël a les mains Tsahal », par exemple, je me trompe. Il faut écrire Netanyahou et non Israël. Ce n’est pas facile non plus d’être journaliste. Le choix du mot est important. Sorti de son contexte, il peut être mal interprété. Surtout à l’époque des réseaux sociaux qui sont devenus un lieu de règlements de compte.

Dessin de jean-Michel Delambre.

Avez-vous changé votre façon de dessiner ?

Je ne pense pas. Le plus grave, c’est l’autocensure qui guette. La seule barrière que je m’impose, c’est de me moquer des bourreaux et jamais des victimes. J’ai plus que jamais envie d’être méchant avec les cons. Même si on est toujours le con de quelqu’un.

Vous n’êtes pas un dessinateur provocateur…

Je ne peux pas faire de provocation systématique dans les journaux pour lesquels je travaille. Je me souviens qu’une télé néerlandaise m’avait demandé de dessiner le prophète. C’était de la provocation un peu idiote pour montrer qu’on n’avait pas peur. J’ai dessiné un carré noir avec pour légende « Caricature du prophète censuré par les obscurantistes ». Voilà comment on peut répondre plus subtilement.

Dessinateur est-il un métier voué à disparaître ?

La France est le pays de la caricature. Ce n’est pas le cas de tous les pays. C’est pourquoi les réseaux sociaux font aussi beaucoup de mal. Des dessins se retrouvent dans des pays où ils n’avaient pas vocation à être diffusé. Les gens n’ont pas les mêmes clés, ni les mêmes codes, ni la même culture.

Que pensez-vous de l’idée d’une Maison du dessin de presse évoquée par le gouvernement ?

Le principe existe depuis longtemps à Saint-Just-le-Martel, près de Limoges. Chaque année s’y tient un Salon international de la caricature, du dessin de presse et de l’humour. J’ai eu l’occasion de rencontrer des dessinateurs du monde entier avec qui j’ai noué quelques liens. Des expos ont lieu aussi, toute l’année, fréquentées par les écoliers. C’est aux jeunes générations qu’il faut donner les clés pour comprendre la culture du dessin de presse. C’est pourquoi, je réponds souvent aux invitations des écoles pour expliquer mon métier.

Existe-il une solidarité internationale ?

Plantu a créé l’association «Cartooning for peace ». Des pétitions sont régulièrement envoyées pour défendre des dessinateurs emprisonnés à cause de leurs dessins. Récemment, ce fut le cas en Algérie où Nime vient d’être libéré après
sa caricature des généraux.

Les projets ?

Je dois justement publier un recueil avec mes dessins interdits. Ça s’appellera L’Enfer du décor. Et un autre où je détourne des contes de fées pour adultes. Par exemple, pour aborder les interdits, j’imagine bien Matzneff en grand méchant loup, attendant le petit chaperon rouge.

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