Tout quitter pour vivre au plus près de la nature

Depuis toujours, je rêve d’habiter dans une cabane. Dès 5 ou 6 ans, je me nourrissais de ces histoires d’enfants perdus dans la forêt qui, au détour d’une clairière, découvrent une maison… La campagne, c’est chez ma grand-mère que j’en ai fait l’expérience : les longues marches dans les bois, le nom des arbres, le sens de l’orientation… Sinon, j’ai grandi dans une HLM de la banlieue de Nantes, entre un père alcoolique et une mère à la volonté de fer : c’est à travers elle que j’ai découvert qu’on peut aller au bout de ses convictions et construire la vie qu’on s’est choisie.

Amoureuse de la nature : je suis devenue la fille des bois

La révélation m’est tombée dessus pendant ma première année de doctorat en neurosciences comportementales. Grâce à un livre, « Cabanons à vivre« 1, dans lequel on explique comment bâtir sa tanière, son refuge, et montre qu’on peut vivre simplement sans avoir froid. Un an plus tard, comme j’ai un peu d’économies, je décide de m’acheter un terrain. Je sais que la Creuse n’est pas chère, je sillonne le département et tombe amoureuse de cette nature rude, de ces forêts et de ce granit. L’endroit est très peu peuplé, mais fourmille d’associations, de réseaux d’entraides et de chantiers alternatifs.

Dès 2008, je démissionne donc de mon laboratoire de recherches et pars vivre en Creuse, logée et nourrie chez les uns et chez les autres, en échange de coups de mains. Je découvre alors une manière de vivre fondée sur la gratuité, la solidarité et l’authenticité. Un an plus tard, je déniche mon terrain, neuf hectares à l’orée d’un village du Parc naturel régional de Millevaches. Dès que je l’arpente, je sais que je suis chez moi. Le boulot est colossal. Je défriche au croissant, à la faux et à la houe. 

6m2, sans eau ni électricité : un rêve réalisé

Mon amoureux de l’époque, lorsqu’il se rend compte que j’ai réellement l’intention de vivre dans les bois, s’enfuit en courant. Je me retrouve donc seule, digérant ça en bossant comme une dingue. Je plante ma tente sur le terrain et commence la construction, en mars 2010, en m’aidant de bouquins et de ce que j’ai appris sur les chantiers associatifs. Je dresse des pilotis en bois, une ossature en sapin de Douglas et en mélèze, me procure des plaques de verre que je scelle avec du plâtre pour les fenêtres, construis une petite terrasse que j’isole avec des pneus, acquiers des tuiles pour le toit. En tout, ça me prend six mois d’essais, d’erreurs, de galères, de découragement et de reprises d’énergie. 

Je récupère un poêle à bois en échange de services rendus à des voisins et, en octobre 2010, pose une serrure sur la porte et des tapis au sol. J’ai réussi à me mettre à l’abri moi-même. J’ai sécurisé mon cabanon en abattant les arbres qui auraient pu tomber dessus. Je suis moulue, cassée, je peux à peine bouger les bras mais, pour la première fois de ma vie, je me sens enfin chez moi. 

Alors que mon existence est plus que spartiate, j’ai parfois l’impression d’un confort inouï.

Dans le village, les gens m’acceptent bien, surtout les vieux paysans qui me donnent plein de trucs à manger. C’est du côté du maire que ça coince. Il va jusqu’à me dénoncer aux impôts parce je ne paie pas de taxe d’habitation. Mais l’administration fiscale confirme : sans eau ni électricité et sans fondations en dur, je ne suis pas redevable de taxes. Mais le maire renchérit. Dans le bulletin de la commune, il se fend d’un article sur « les dangers de la cabanisation ». Peu après, deux types menaçants arrivent sur le terrain. Pendant quelques semaines, j’ai eu peur qu’ils brûlent ma cabane. Certains nourrissent un fantasme vis-à-vis des « marginaux », une hostilité complètement irrationnelle à l’égard des gens qui ne vivent pas dans les rails.

Aujourd’hui, mon rêve est réalisé. Ma cabane fait environ 6m2, j’ai une minuscule mezzanine pour dormir, un divan pour les invités, un poêle à bois et une belle chatte grise. On me pose souvent la question de la solitude. En fait, je vois beaucoup plus de monde que lorsque j’étais étudiante en région parisienne. Je connais plein de gens chez qui je peux aller à pied, dans un rayon de cinq kilomètres. Des maraîchers, des paysans et aussi des gens qui, comme moi, ont quitté la ville pour venir ici.

Vivre d’orties et de fruits

Mon changement de vie radical a provoqué un tri parmi mes anciens amis. Il y en a que je ne vois plus du tout, d’autres qui aiment me rendre visite. Je n’ai pas le téléphone, bien sûr, mais j’ai une adresse internet que je consulte chez des gens du village voisin. Pour les déplacements indispensables, on se partage une voiture.

Alors que mon existence est plus que spartiate, j’ai parfois l’impression d’un confort inouï. L’hiver dernier, il a fait jusqu’à – 20°C dans ma forêt. J’avais tellement chaud dans ma cabane que je sortais régulièrement me rouler dans la neige pour me rafraîchir. Ça me donnait une énergie extraordinaire. Je faisais fondre la neige pour avoir de l’eau, j’avais toujours une soupe délicieuse qui mijotait sur le poêle… Le reste du temps, je vais chercher mon eau à la source et travaille du matin au soir. Je cueille des orties et des baies sauvages, cultive des patates et des arbres fruitiers, et j’ai l’intention de me mettre à la chasse pour me fournir en viande. J’ai également planté des saules pour créer une oseraie et pouvoir me lancer dans la vannerie.

A l’origine, j’avais même l’ambition de vivre absolument sans argent

Dans l’idéal, j’aimerais être totalement indépendante sur les plans énergétique et alimentaire, installer un panneau solaire, fabriquer mes propres bougies, produire assez de légumes pour me nourrir toute l’année. A l’origine, j’avais même l’ambition de vivre absolument sans argent. Mais comment payer des pneus neige, le vétérinaire pour la chatte, le café pour les amis les jours de marché ? Je me suis finalement résolue à demander le revenu de solidarité active,­ environ 450 euros par mois. Ça m’a plongée dans un cas de conscience intense. J’avais presque honte de demander de l’aide à la société. J’éprouve toujours le besoin de me justifier, de rappeler que je travaille du matin au soir, que je crée, aide, construis, que j’ai ma place dans la société, même si je choisis des chemins de traverse.

Savoir qui on est : l’état sauvage

En ce moment, à la lumière d’une bougie, je lis un roman qui me touche profondément, « Le mur invisible »2. Ça raconte l’histoire d’une femme qui, après qu’une guerre a fait disparaître l’humanité, se retrouve seule avec quelques animaux. Elle surmonte toutes ses peurs, ne vivant que dans le présent. Je me reconnais dans ce personnage. Parfois, j’ai l’impression que je revis en accéléré l’évolution de l’être humain : création de la clairière, premiers habitats en dur, microagriculture… Si j’en étais capable, je ferais mon feu moi-même, avec des morceaux de silex.

Ce lieu me crée autant que je l’ai créé. C’est un endroit où on est obligé de savoir qui on est. Je ne sais pas de quoi les prochaines années seront faites, mais ce que je sais, c’est que je serai enterrée ici, que je ne ferai plus qu’une avec cette terre.

1. «Cabanons à vivre, Rêveries, écologie et conseils pratiques » de Christian La Grange (éd. Terre Vivante). / 2. De Marlen Haushofer (éd. Babel).

Témoignage publié initialement dans le magazine Marie Claire, avril 2014  

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