Une course à la to-do list la plus débordante a débuté depuis les premiers jours du confinement généralisé. Il faut "faire" pour continuer d’exister dans ce contexte si particulier. Et si on se laissait un peu vivre ?
8h. Méditation du matin. 9h. Yoga du matin 10h. Ménage dans toute la maison. 11h. Lecture de La Pléïade. Midi. Repas sain maison à base de superaliments. « Pénible, et tellement révélateur, le nombre d’articles sur les manières d’occuper son confinement qui commencent par ‘Et maintenant, plus d’excuse pour…' », constate la journaliste et auteure Mona Chollet sur Twitter. « Pas question de laisser les personnes expérimenter une vie sans injonctions permanentes à rendre chaque moment productif », abonde un internaute, en commentaire.
Depuis le début du confinement, les challenges en tout genre, calendriers « positifs » et autres cours de yoga en ligne pleuvent sur la toile. Ces activités destinées à nous divertir, nous détendre, ou même nous améliorer sont tellement nombreuses à être mises en avant que cela en devient presque culpabilisant pour celles et ceux qui n’avaient pas prévu, il y a 15 jours encore, d’apprendre la guitare sur YouTube ou de se muscler frénétiquement fesses et abdos dans leur salon durant la pandémie.
D’où vient ce besoin urgent d’optimiser ces heures et ces jours, de rendre « utile » – autrement qu’en évitant de propager le virus – le confinement ?
Surcharger son planning pour combler ses angoisses
« C’est parfois plus facile de dire que nous sommes débordés plutôt que de prendre le temps de se tourner vers les autres ou de faire un bilan de sa propre vie », analyse la psychologue et auteure Camille Rochet1.
Tenter de conserver nos habitudes, avoir « des choses à faire », permet de se protéger et de renvoyer une image importante et valorisante de soi : « Je suis utile, je fais beaucoup de choses, on a besoin de moi (…) Derrière cette suractivité se cache une peur de la mort, du vide, du sens de sa vie… », décrypte la spécialiste.
Derrière cette suractivité se cache une peur de la mort, du vide, du sens de sa vie
Forcément, avec le flot d’informations alarmantes, le nombre de morts du Covid-19 qui grimpe ici et ailleurs, l’absence de vaccin et de traitement spécifique, se divertir est un moyen de faire barrage à l’angoisse, de l’évacuer, de la remettre à plus tard. En pleine séance de gainage, qui penserait à l’épidémie ?
Ce « barrage » est similaire à l’usage de l’humour en temps de crise. « Il n’est pas rare que les soignants fassent preuve, entre eux, de beaucoup d’humour dans les services des urgences, par exemple, pour parer aux difficultés auxquelles ils sont confrontés. Là, nous n’arrêtons pas de voir circuler des vidéos humoristiques sur le confinement. C’est en effet une façon de continuer à mettre de la vie dans une ambiance particulièrement anxiogène. »
En tête à tête avec soi-même
Et puis, il y a ce changement de rythme brutal. Qui n’a ni été anticipé, ni préparé. « Contrairement à des vacances prévues et maîtrisées de longue date, là cette période nous est imposée, on la subit. Il faut donc accepter un lâcher-prise exceptionnel et surtout la frustration de ne pas achever de nombreuses activités ou projets importants en cours. Or, l’abandon n’est pas simple dans notre société où nous avons l’illusion de tout maîtriser », analyse Camille Rochet.
Habituellement, nos agendas sont remplis et le temps nous file entre les doigts. L’ennui, au XXIème siècle, est l’ennemi n°1 à abattre. Scroll intempestif sur Instagram, messages WhatsApp par milliers, sorties plurielles et séries Netflix jusqu’à plus soif : nous ne savons plus ne rien faire – ni être en tête à tête avec nous-même. Se retrouver alors coincé chez soi, à tourner en rond pendant ce confinement à peine commencé et pourtant déjà si long : c’est effrayant.
Vouloir remplir nos journées à tout prix peut être une fuite de soi-même
« Attention à ne pas tomber dans l’extrême avec une peur de l’ennui, de se retrouver seul ou en face à face avec ses proches, sans activité, explique la psychologue. Vouloir remplir nos journées à tout prix peut être une fuite de soi-même et une façon de s’empêcher de penser. »
Cette crainte de l’ennui, de la solitude, de ce vide que nous tentons tant bien que mal de combler témoigne aussi – étrangement – d’une capacité d’adaptation que nous avons. Sans attendre, des élans de solidarités se sont créés, nos divertissements se sont adaptés et notre manière de communiquer avec les autres aussi.
La nécessité de garder un rythme
« Nous avons profondément besoin de travailler, d’avoir des objectifs, de continuer à faire fructifier nos talents. Cette période peut faire peur en effet car tout est à l’arrêt. Donc chacun cherche à continuer à avancer à sa façon et à faire en sorte de se sentir utile ! C’est plutôt positif », souligne la psychologue.
Selon nombre de spécialistes, sans aller jusqu’au planning militaire, garder un rythme est nécessaire dans cette période partie pour durer. « S’habiller, mettre son réveil, entretenir la maison, se fixer des horaires pour garder un sommeil réparateur et suffisant, prendre les repas à heure fixe… Tout cela le corps en a besoin donc l’esprit aussi. Un relâchement le week-end, oui, mais pas au quotidien », préconise Camille Rochet.
Car se projeter ne serait-ce qu’au lendemain rassure, les habitudes sécurisent et permettent de ne pas sombrer dans des états de tristesse, d’angoisse.
S’autoriser ce temps d’arrêt
Néanmoins, chacun trouvera, au fur et à mesure, le rythme qui lui convient. Et si nous n’avons pas envie de boire un thé en pleine conscience tous les jours à 16 heures, ni de remplacer les afterwork par des apéros Skype ; quelle police – outre celle d’Internet – viendra nous blâmer ?
Tout ce temps est un luxe dont nous devons prendre conscience
Ce confinement, pour celles et ceux qui ont finalement la chance de le vivre sereinement à demeure, est aussi et surtout l’occasion de lâcher du lest. De ne pas être trop dur envers soi car nous ne contrôlons rien de la situation, si ce n’est de rester à la maison.
« Nous récupérons beaucoup d’heures qui, en temps normal, sont utilisées dans les transports, activités sportives, sorties amicales ou professionnelles… tout ce temps est un luxe dont nous devons prendre conscience. Profitons-en pour nous poser, faire chez nous ce que nous aimons mais que nous avons abandonné par manque de temps. Savoir s’arrêter, prendre un bon livre, faire un jeu en famille… rien d’exceptionnel mais ce sont des activités qui sont gratuites, sans objectif particulier, mais tellement enrichissantes et reposantes ! », conclut Camille Rochet.
Vous l’aurez compris, le confinement n’est pas un stage de développement personnel, et personne ne viendra évaluer votre productivité à la fin – sauf si vous êtes en télétravail. Sans injonction, aucune : n’hésitez donc pas à vous ficher la paix.
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1Camille Rochet, psychologue et auteure du livre « Ma boîte à idées: être un couple épanoui », Intereditions.
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