Révélé par la série télé Dix pour cent, Thibault de Montalembert joue le rôle d’un travesti dans Miss. Il est aussi la voix du livre audio Yoga d’Emmanuel Carrère. Conversation intime avec un comédien intello et sensible.
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Rendez-vous avec Thibault de Montalembert dans un atelier d’artiste du quartier Saint-Georges, à Paris. Barbe et cheveux ébouriffés, habillé « cool », jean et pull-over, le comédien est l’antithèse du personnage qu’il joue dans la série Dix pour cent, Mathias Barneville, l’agent artistique « requin » engoncé dans un costume trois pièces. Simple, souriant, flexible. Thibault prend tout son temps pour répondre à nos questions à l’heure du thé.
Dans Miss, le film du réalisateur Ruben Alves, vous jouez le personnage de Lola, un travesti. Pourquoi avoir choisi ce rôle ?
Travailler le genre opposé est un cadeau extraordinaire que tout acteur devrait s’offrir une fois dans sa vie. Cela m’a permis d’élargir la palette des émotions avec lesquelles j’ai l’habitude de jouer. Depuis des milliers d’années, nous vivons dans une société patriarcale où l’on nous apprend qu’un homme doit être responsable, fort, serrer les dents… Pouvoir montrer sa fragilité, pleurer comme une femme, cela a été libérateur. Un bonheur absolu ! Je suis entré en contact avec la partie féminine de moi-même. Cela m’a permis de me sentir un être humain complet.
Vous avez 58 ans, pensez-vous bien vous connaître ?
Pas trop mal. Depuis trente ans, je médite. Je me sens plus aligné, en tout cas dans l’acceptation de la personne que je suis.
La méditation c’est une recherche spirituelle ?
A 18 ans, j’ai vécu un accident de voiture dans lequel ma belle-sœur n’a pas survécu. Je m’en suis sorti avec un traumatisme crânien, et pendant six mois dans ma chambre, j’ai lu des mystiques, complètement anesthésié, désincarné. Puis je suis parti vivre avec les moines trappistes de l’abbaye cistercienne Notre-Dame d’Aiguebelle dans la Drôme. A l’âge de 9 ans, je voulais être prêtre ou acteur ! J’ai rencontré ma première femme que j’ai épousée très jeune. Cela a réglé la question : je suis devenu comédien. Pour autant, je n’ai pas abandonné ma quête spirituelle. Mais ce n’est plus une quête religieuse.
Vous avez fait une psychanalyse ?
J’ai fait une psychanalyse transgénérationnelle qui a duré six ans, selon l’approche du psychanalyste Didier Dumas. Il est l’auteur de nombreux livres dont L’Ange et le Fantôme qui m’ont fait avancer. Nous sommes le fruit de nos histoires familiales, de notre arbre généalogique. Nous portons en nous nos ancêtres. Ainsi, trois générations plus tard, un secret de famille peut déboucher sur la naissance d’un enfant avec des troubles psychologiques. C’est la surprise pour les parents !
Qu’est-ce qui distingue une psychanalyse transgénérationnelle d’une psychanalyse classique ?
Dans ce type de psychanalyse, il ne s’agit pas de se contenter d’explorer la vie de ses parents pour mieux se comprendre. Il faut travailler sur les traumatismes du passé sur plusieurs générations (deuil d’enfants morts, hommes disparus à la guerre, incestes, déshonneurs…), les scénarios dans nos vies qui se répètent, les dates qui ont du sens… Certains ont rompu les amarres avec leurs parents en suivant une analyse classique. La psychanalyse transgénérationnelle évite de couper les ponts avec ses parents. La compréhension de leur propre héritage familial permet de leur pardonner.
Vous n’hésitez pas à aller vers des chemins peu empruntés…
Effectivement. J’ai aussi participé à des week-ends de « psychanalyse et chamanisme ». La transe chamanique peut être un outil de développement personnel, le moyen de développer sa créativité. Il y aurait beaucoup à dire sur le sujet … Le fonctionnement du cerveau de Corine Sombrun, la chamane, a suscité l’intérêt des neuroscientifiques. On a constaté des similitudes entre la transe chamanique et l’état de schizophrénie. Il existerait peut-être des moyens de guérir la schizophrénie et d’autres maladies mentales.
Vous êtes la voix du livre audio Yoga d’Emmanuel Carrère, best-seller de la rentrée littéraire. Pourquoi avoir lu Yoga ? Vous connaissez Emmanuel Carrère ?
Non, je ne connais pas Emmanuel Carrère. Je n’ai pas ressenti le besoin de le rencontrer pour lire son livre. Je ne pratique pas le yoga, mais je suis un adepte des cinq tibétains, un enchaînement de cinq exercices de yoga que je pratique tous les matins. Cela me réveille et me dynamise.
La voix c’est aussi important que l’image dans votre métier de comédien ?
Depuis les années 2000, j’ai dû enregistrer une trentaine de livres. Cela s’est fait progressivement, puis j’ai accéléré le rythme avec la lecture de deux à trois livres par an. Mon frère aîné, Hugues, a été victime d’une agression à l’acide à New-York. Il a perdu la vue. Adolescent, je lui enregistrais des textes sur des cassettes. C’était ma façon de garder le lien avec lui. Aujourd’hui, il est écrivain et globe-trotter. Il part seul en voyage et se débrouille très bien. Il a assisté à tous mes spectacles et c’est lui qui, en m’entendant, a le jugement le plus sûr. Orson Welles dirigeait les acteurs à l’oreille, dos à la caméra !
Comment choisissez-vous de faire un livre audio ?
Le plus souvent, c’est un éditeur qui me sollicite et m’envoie un livre. Comme un scénario de film, je le lis et je décide de m’engager ou pas. Si je m’engage, je le lis une à deux fois seul. Puis je me rends dans le studio d’enregistrement réservé par la maison d’édition. Je démarre à 10 heures, avec une pause déjeuner vers 13 heures. En général, je lis environ six heures par jour. Je plonge dans l’univers du livre, cela me demande une grande concentration, une énergie physique. Si je fais une erreur, je me reprends tout seul et le montage suit. Quand ma voix fatigue, je m’arrête. Après une journée de lecture, je suis vidé. En deux à trois jours, j’ai lu l’intégralité du livre. Je vais vite, j’ai l’habitude.
Vous êtes Président du tout nouveau prix Ginkgo du livre audio, remis à Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon de Jean-Paul Dubois, lu par Jacques Gamblin en 2020. Le livre audio semble rencontrer un engouement. C’est un phénomène de société ?
Le livre audio n’est pas réservé aux non-voyants, aux personnes âgées ou aux handicapés. Les smartphones, les podcasts, tout ce qui s’écoute plait aux jeunes et amène un public rajeuni vers le livre audio. Sous forme de CD ou de façon dématérialisée, l’audio digital est amené à se développer.
Le livre audio a pris du retard en France. Nous sommes à la traîne par rapport aux USA, à l’Allemagne, aux Pays Nordiques. Pourtant, nous pouvons écouter facilement des livres sur nos téléphones que l’on soit dans la rue, dans le train ou sur notre canapé. C’est un bon moyen de s’éloigner des écrans qui souvent prennent trop de place dans nos vies. Le confinement a boosté le besoin et, par ricochet, la vente de livres audio.
Vous êtes la voix française de Hugh Grant dans 17 films, vous avez doublé Antonio Banderas dans cinq films, Pierce Brosnan dans trois films, Brad Pitt dans deux films … En tout, une soixantaine de films.
J’ai rencontré un peu par hasard Hervé Icovic, le pape du doublage. Il m’a demandé de doubler Hugh Grant dans Coup de foudre à Notting Hill. Ca s’est bien passé, nous sommes devenus amis. C’est comme cela qu’a démarré l’aventure, il y a 25 ans. J’ai été la voix de Guy Pearce dans Le Discours d’un roi. J’aime bien cet exercice. Il faut transcrire l’humeur, les émotions du personnage avec seulement un jeu de bouche.
La série Dix pour cent connait un succès mondial que vous n’imaginiez pas au départ ?
Pour la première saison, les stars que l’on sollicitait venaient sur la pointe des pieds. Mais la série a eu les plus grands avec Nathalie Baye, Isabelle Huppert, Monica Bellucci, José Garcia, Gérard Lanvin… Sigourney Weaver a donné son accord en deux heures. Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, Sophie Marceau ont décliné.
En quatre saisons, avec six épisodes par saison, la série est passée à une vitesse fulgurante. On a eu une chance formidable que Canal + n’en veuille pas et que le service public la prenne. Au lieu d’avoir 800 000 téléspectateurs, on en a eu 8 millions. Et Netflix a acheté la série, dès la première saison, qui s’appelle outre-Atlantique Call my agent !.
Qu’est-ce que cette série a changé pour vous ?
A Hollywood, ils nous connaissent tous, car ils adorent que l’on parle du métier. La série est devenue populaire à travers le monde. Je me fais arrêter dans la rue par des Chinois, des Israéliens… Partout où je vais, il y a quelqu’un qui me dit « I know you from Call my Agent. So great ! » J’ai l’impression que le monde est un village. Je ne pense pas être devenu une star, mais c’est vrai j’ai plus d’opportunités. J’ai tourné The King en 2019 avec David Michôd grâce à Dix pour cent.
Votre fils Névil est agent artistique. Ca ne s’invente pas ce genre de chose…
Non c’est vraiment le hasard. Névil voulait être producteur, c’était au début de la série Dix pour cent. Il a été pris comme stagiaire chez Adéquat, mon agence (l’une des plus importantes agences de talents à Paris, ndlr). Je lui ai conseillé de découvrir l’autre côté du métier avec les agents qui mènent les négociations avec les producteurs. Aujourd’hui, il est l’assistant de mon agent, Gregory Weill. Il adore son métier. Il commence à avoir ses propres clients. Le métier d’agent est un métier de service où l’on n’a pas de vie personnelle. C’est la même chose pour les agences de communication. Il faut savoir poser des limites. A ce prix, on a une vie équilibrée ! Ce qui n’empêche pas de réussir.
Bio Express
Benjamin d’une fratrie de six frères et sœurs, Thibault Charles Marie Septime de Montalembert est né le 10 février 1962, à Laval (Mayenne). Issu d’une famille noble qui remonte à la première croisade, il est le fils d’un ancien militaire devenu entrepreneur et d’une mère irlandaise. Il se forme à la classe libre du cours Florent et a pour professeur Francis Huster. Il rejoint l’Ecole des Amandiers dirigée par Patrice Chéreau. Puis il est pensionnaire à la Comédie-Française où il reste deux ans. Comédien et metteur en scène de théâtre, il joue également au cinéma notamment avec Arnaud Desplechin, Jacques Doillon, Régis Wargnier, Costa-Gavras. Avec son épouse Hélène Babu, il fonde la compagnie de théâtre Célébration 43, en Bourgogne, qui propose des représentations dans des lieux en plein air. En 2015, il incarne l’agent artistique Mathias Barneville dans la série Dix pour cent de Cédric Klapisch, rôle qui le fait connaître au grand public.
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